L’Europe fantôme
Une solide expo pose la question du colonialisme belge au Congo.
Publié le 21-08-2015 à 17h24 - Mis à jour le 23-08-2015 à 09h00
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C’est au Mu.ZEE, à Ostende, que cela se passe et le public devrait répondre présent en masse à une initiative longue durée qui en appelle à notre histoire et replace dans son contexte - objets, livres et documents - une colonisation qui fit, dès le début, couler pas mal d’encre, Léopold II étant apparu aux yeux du monde sous la figure d’un géant tortionnaire et brutal : vrai ou faux ?
Mais pourquoi "L’Europe fantôme" ? Parce que Michel Leiris avait intitulé un de ses livres "L’Afrique fantôme". Un livre publié en 1934. Il relatait ses expériences africaines nées de sa participation à la mission française Dakar-Djibouti montée par Marcel Griaule entre 1931 et 1933.
Loin d’imposer une interprétation définitive sur une époque qui ébranla l’Afrique dans ses traditions et croyances, dans son existence en tant que continent épris de valeurs particulières, l’exposition nous interroge subtilement sur le regard que l’être humain, d’où qu’il vienne, pose sur l’étranger.
Un regard différent
Alors que l’ouvrage passionnant de Leiris explicitait le regard d’un Blanc sur l’Afrique noire, l’exposition ostendaise articule son contraire en ayant invité des artistes africains contemporains à nous proposer leur vision décalée d’un colonialisme à l’occidentale.
Exposition avant tout visuelle avec ses chapitres déclinés par décennies, ses photos et documents épinglés sur les murs, ses objets sacrés présentés dans les belles vitrines Art nouveau qui firent les délices des premiers visiteurs d’un Musée de Tervuren inauguré en 1910, après la mort du roi des Belges, l’expo d’Ostende est une exposition qui encourage à la réflexion au vu des documents exhibés.
La scénographie est épatante et nous invite à circuler à travers une suite de salles agrémentées de documents et d’objets qui frappent les consciences.
La première salle propose une suite de grandes photos signées Patrick Wokmeni, un Camerounais basé à Gand. Ses photos nous montrent des statuettes de Tervuren manipulées, sur fond de textiles africains, par des mains noires ou blanches, gantées. Pas innocent !
Ethnographique, sacré, artistique ?
Quand on sait les tribulations vécues par les statuettes et masques africains depuis leur découverte par les explorateurs, une question s’impose d’office : qu’est ce qui est art ou ne l’est pas et pourquoi ceci ou cela ? Une chose est sûre : en exposant les arts africains dans des musées, en les dévoyant de leurs rituels et raisons d’être, l’Occidental a posé un acte qui, quelque part, est un crime à l’encontre de l’authenticité.
Et l’expo entière de se dérouler comme un long fleuve tranquille en apparence, car frappé par les soubresauts de l’histoire et la mainmise des uns sur les autres. Habilement entremêlées, les études européennes ou américaines sur les réalités africaines et les ripostes noires aux convictions extérieures.
Accompagnée de musique, variée par ses pôles d’intérêt, par la qualité des objets et documents réunis, par l’implication occidentale tout au long d’un XXe siècle d’occupations et de remises en question, "L’Europe fantôme" énonce ses constats au fil du temps. Et si Léopold II fut accusé d’ignominies par les Anglais, les Américains, les Français, le colonialisme à la belge ne fut certes pas pire, certes non, que celui de ses accusateurs !
D’où, sous vitrines, des livres signés Freud ou Roussel, Conan Doyle ou L’Assiette au Beurre, Stanley, Césaire ou Senghor, Malraux, Cendrars ou Levi-Strauss, Lumumba ou Hochschild et Van Reybrouck.
Leur font face des statuettes et masques Kuba, Yaka, Luba, Songye… Et des œuvres de Mwenze ou Bela et, actuelles, de Sven Augustijnen, Otobong Nkanga, Jan Vercruysse, Sammy Baloji, Lisi Ponger, Wangechi Mutu… Un choc des cultures, des pensées et des gens.
Au Mu.ZEE, Romestraat, 11, à Ostende. Jusqu’au 3 janvier 2016. Infos : www.muzee.be