Giacometti noir sur blanc
A Landerneau, petit bourg breton, Giacometti en géant des arts. Cent cinquante oeuvres pour un parcours rétrospectif., didactique et émouvant. Carnets de croquis, ébauches, dessins, peintures, sculptures et repentirs content l'homme et son art.
Publié le 25-08-2015 à 15h55 - Mis à jour le 25-08-2015 à 15h56
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A Landerneau, petit bourg breton, Giacometti en géant des arts. Cent cinquante oeuvres pour un parcours rétrospectif., didactique et émouvant. Carnets de croquis, ébauches, dessins, peintures, sculptures et repentirs content l'homme et son art.
Comment bouder son plaisir face à un ensemble Giacometti prospectif, révélateur d’un art aussi multiple qu’uni dans sa simplicité unique et légendaire !
Paradoxal sa vie et son art durant, Alberto Giacometti (1901-1966) est à l’art ce qu’aucun autre ne fut, ne sera, avec autant d’intensité : un homme qui travaillait comme il respirait. La peur au ventre de ne point aboutir.
Peu importait au Suisse des Grisons, où il naquit et se ressourçait, ou de la rue Maindron, à Montparnasse, où nichait son atelier de 25 m2, le bénéfice substantiel de ses actes, pourvu qu’ils soient assortis, un jour, de cette réussite vitale qui le taraudait autant qu’elle le fuyait (disait-il, contrarié).
Giacometti créait pour vivre en accord avec sa mission sacerdoce : parvenir à exprimer ce que son œil percevait dans l’œil du modèle. En fait, l’au-delà de l’œil et de l’apparence. La tête et l’être.
Un art jusqu’au-boutiste
Encouragé par la carrière de son père Giovanni (1868-1933), néo-impressionniste, dans l’atelier duquel il ébaucha ses premiers tableaux, modela ses premières têtes, Alberto n’eut de cesse de parfaire son ouvrage en variant les expériences. Certaines lui furent cruelles.
En 1921, après un voyage en Italie avec un homme qui décéda dans le train, il ne put, plus jamais, faire abstraction de cette mort qui côtoyait la vie. Et vingt années plus tard, victime d’un accident de circulation, claudiquant, il perçut une autre dimension du mouvement de l’homme qui se déplace.
En quête obsessionnelle du phénomène existentiel, l’artiste jusqu’au-boutiste ne cessa de traquer une vérité qui le plus souvent nous échappe, l’illusion jouant sans cesse des coudes pour nous en distraire.
Pas dupe de la difficulté d’être dans le bon, Giacometti s’échina, tempêta, soumit ses modèles à des exercices éprouvants de maintien longue durée de la pose souhaitée.
Cette quête inassouvie de l’authenticité fut la marque d’une vie vraie de vraie. Naturelle et sans besoins ni de richesse, ni de confort. Il ne quitta jamais son atelier du pauvre. S’en fit une signature. Un point de rencontre et d’estime partagée.
Heureux élus qui furent les commensaux éblouis du poète de plâtres marqués de son pouce inimitable, de la ligne crayonnée avec sagacité, de l’huile grise sur noire avec, ci et là, la touche de couleur qui enveloppe le tout, engage la peinture, la sculpture, vers ses lendemains lumineux !
A Landerneau, dans le magnifique bâti hérité des Capucins, le Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour l’art assouvit, depuis trois ans, l’amour des donateurs pour une création sans filet qui regorge d’attraits.
Deux expos l’an et, déjà hôtes du lieu, Fromanger, Kersalé, Miro, Métal Hurlant, Dubuffet, Monory et, à présent, Giacometti : l’art y trouve son comptant de satisfactions.
Parcours rétrospectif et ciblé
Montée par la Fondation Giacometti, l’exposition tient ses promesses, que balise une suite d’œuvres qui, du primitivisme et du surréalisme de la fin des années 20 au retour à la tête et à l’humain de l’époque de la guerre et après, donne une idée du cheminement d’un homme à travers ses urgences, ses doutes, ses échecs. L’idée de réussites qui ne l’auront réjoui que faute de mieux.
Dans cette expo, on suit l’homme pas à pas, des quêtes formelles de l’époque Breton aux dernières centrées sur le nœud du problème, le mouvement de l’être dans son espace existentiel. L’homme est l’épicentre de l’art de Giacometti, homme avant d’être artiste ou les deux de pair. Un créateur qui n’eut aucun souci de l’environnement quel qu’il fut, sinon celui qui l’encadre face à lui-même.
Carnets de croquis, ébauches, dessins, peintures, sculptures, repentirs : tout est à sa place pour nous conter un homme et son art.

Problème de bronzes
Comment le dire sans paraître puriste abusif ? La Fondation Giacometti, née de la volonté d’Annette Giacometti, possède un fonds de 5 000 œuvres, toutes techniques confondues. Elle a pour charge d’en assurer la diffusion muséale, le rayonnement.
Heureux les artistes qui, au-delà de leur disparition, peuvent compter sur une telle assurance tous risques. Alberto pourtant, n’eut cure d’héritage, de postérité codifiée.
Or, un problème a surgi et nous l’avions évoqué à propos de la grande exposition "L’atelier de Giacometti" de 2007-2008, initiée par la Fondation et le Centre Pompidou. Nous avions été choqués par la présence de nombreux tirages en bronze posthumes et dans un lieu comme le Centre Pompidou : n’y aurait-on pu veiller davantage au grain !
Assurer le rayonnement d’un artiste, n’est-ce pas le respecter corps et biens ? Collaboratrice du Centre Pompidou à l’époque, Catherine Grenier, commissaire ici, dirige la Fondation Giacometti depuis 2014.
La réflexion sur les bronzes posthumes (et le musée Rodin réalisa récemment des tirages, notamment du "Baiser", sous le prétexte que le nombre de pièces autorisées pour l’authenticité du tirage n’était pas atteint) nous émeut encore plus dans le cas de Giacometti.
Nous désoblige. Sachant combien l’artiste peaufinait ses patines, leur adjoignait des traits de couleurs pour en accuser relief et mouvement, il insupporte de voir soudain ses bronzes tout clinquants à défaut d’apparaître épanouis par une vérité indicible jusque dans les détails de leur finition.
Il n’y a là rien d’illégal (même si la vente a posteriori n’est pas exclue), mais qu’en est-il de la décence envers un créateur rebelle à l’artifice, à toute exploitation contraire à sa philosophie de la pièce unique (même en plusieurs exemplaires, pourvu que parfaits par son œil et sa main), inaltérable ? Nous posons la question !

--> Fonds Hélène & Edouard Leclerc, 29800 Landerneau. Très beau catalogue. Jusqu’au 25 octobre. Infos : 00.33. (0)2.29.62.47.78 et www.fonds-culturel-leclerc.fr