L’art ou la possibilité d’une utopie
La 7e Biennale de l’image en mouvement de Malines prend pour thème "L’Utopie". Pour célébrer le 500e anniversaire de la publication du livre de Thomas More. Un beau parcours dans la ville, avec 21 artistes internationaux qui montrent que, dans l’horizon bouché, l’art reste une "trouée" possible.
Publié le 27-08-2015 à 19h17 - Mis à jour le 28-08-2015 à 14h42
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La 7e Biennale de l’image en mouvement de Malines prend pour thème "L’Utopie". Pour célébrer le 500e anniversaire de la publication du livre de Thomas More. Un beau parcours dans la ville, avec 21 artistes internationaux qui montrent que, dans l’horizon bouché, l’art reste une "trouée" possible.
Vingt et un artiste dans six lieux de la ville
Malines propose jusqu’au 8 novembre, “Contour”, sa 7e Biennale d’art vidéo avec 21 artistes présentés dans six lieux de la ville. On retrouve parmi les invités des artistes magnifiques à côté de jeunes vidéastes moins connus.
Le thème cette année est “L’Utopie”, un sujet important au moment où les crises, y compris morales, se succèdent en Europe et bouchent l’horizon. Le commissaire, italien, est Nicola Setari. L’intérêt de la manifestation réside aussi dans la découverte des lieux où exposent ces artistes.
Dans chaque lieu, on découvre des œuvres qui invitent à réfléchir à la force de l’art. Au Centre culturel, on peut ainsi voir une œuvre “historique” de Gilberto Zorio de l’Arte Povera (1971) où, quand la lumière s’éteint, un dispositif éclaire la phrase : “L’utopie, c’est quand la réalité devient une révélation.” C’est la réalité saisie dans sa richesse et sa simplicité qui peut se révéler source d’utopie.
On ne manquera pas non plus le film d’An Van Dienderen qui raconte l’histoire de Lili, la China girl, dont la couleur de peau fut utilisée dans les premiers films pour étalonner la “bonne couleur” de peau. Javier Tellez a filmé des réfugiés vivant en Suisse face à un grand panorama du XIXe siècle sur la guerre franco-prussienne. La fragilité des victimes mise en évidence.
L’Utopie peut générer des monstres comme le montre Gilad Ratman dans une installation multi-écrans d’un univers tout blanchi, rempli de vrais drones comme des mouches activées par des personnages derrière des fenêtres.
Superbe Vergara Un moment magique, à ne pas rater, est en fin de parcours dans le cloître des frères Alexiens, “De Noker”, près de la caserne Dossin. Angel Vergara (qui représenta la Communauté française à la Biennale de Venise il y a quatre ans) y a réalisé une œuvre superbe. Au milieu du cloître se trouve un arbre aux feuilles agitées par le vent. Il a filmé l’arbre et la cour, et, par un procédé de vitre, il a peint en direct sur le film même. Il a répété ça pendant des semaines de travail méditatif au milieu du cloître. Le tout est devenu une très grande vidéo de 13 minutes où la peinture se mélange étroitement au film de l’arbre, dialogue avec lui. Le cloître comme île utopique, une manière aussi de réconcilier à nouveau la peinture et la photographie.
Malines ne pouvait célébrer “L’Utopie” sans rappeler que c’est chez elle que s’orchestra le transfert des Juifs de Belgique vers les camps de la mort. Dans le beau musée de l’architecte Bob Van Reth, Sander Breure & Witte van Hulzen montrent une double vidéo. On voit une île, comme celle de l’Utopie, d’apparence idyllique, mais c’est celle d’Utoya où Anders Breivik perpétra ses massacres. L’autre film évoque la migration qui s’avère être le contraire d’une utopie. Une œuvre qui devait être forte pour se situer dans un tel lieu de mémoire.
La tortue de Fabre De nombreuses œuvres sont exposées au Hof van Busleyden, la demeure d’un grand juriste qui fréquenta Erasme et Thomas More. Dans la salle encore couverte de fresques d’époque, on retrouve des belles sculptures de Jan Fabre, dont “Searching for utopia”, de l’artiste chevauchant la tortue comme celle – géante – qui trône à la citadelle de Namur.
Fabrice Hyber a monté un projet participatif en demandant à des habitants de Malines et de Bruxelles quelle est leur utopie et en a fait une fresque, demandant aux visiteurs de venir à leur tour partager leurs utopies.
Impossible de tout décrire, mais il y a aussi la “Vlietenkelder”, long couloir souterrain, sous le centre de Malines, qui servit de refuge durant la guerre. On y voit une série d’œuvres de Rabih Mroué sur la guerre au Liban et le martyre de ce pays. Des films qui ont une résonance forte dans cette cave, près de la caserne Dossin.
Il faut certes préciser que bien voir des vidéos demande du temps. Si on veut voir toutes les œuvres présentées, il faut compter 4 heures de visite. De plus, les textes sont en général en anglais et néerlandais. Mais beaucoup de vidéos sont sans texte ou se comprennent facilement. Et une brochure explicative gratuite est distribuée en français.
-> “Contour”, jusqu’au 8 novembre, jeudi et vendredi de 10 à 17h, samedi et dimanche de 10 à 18h, point de départ à l’académie de Malines, Mindersbroedersgang. Infos : www.contour7.be
L'Utopie de Thomas More, depuis cinq siècles
En 1516, grâce à l’intervention d’Erasme, le juriste, humaniste et homme politique anglais Thomas More (1478-1535) a publié à Louvain chez l’éditeur Thierry Martens la première édition d’un petit livre qui allait connaître un destin mondial : “L’Utopie”. Un mot qui fit florès jusqu’aujourd’hui.
Pour célébrer le 500e anniversaire de ce livre, pendant un an, les deux universités de l’UCL et de la KUL organiseront une foule d’événements autour de “L’Année Louvain des utopies pour le temps présent”.
Succès immédiatLa Biennale Contour de vidéos de Malines anticipe un peu cet anniversaire pour évoquer aussi le destin de ce livre par la voix d’artistes d’aujourd’hui. “Thomas More imagina Utopia comme une alternative radicale à l’Europe de son temps. Les circonstances actuelles en Europe réclament des réponses à l’instar de celles de More”, explique Nicola Setari, le commissaire de cette Biennale Contour.
En 1515, l’ouvrage connut un succès immédiat. Thomas More se rendit souvent à Malines et y discuta entre autres avec Erasme dans une salle toujours existante au Hof van Busleyden qui fait partie du parcours de l’exposition. On y présente deux des premières éditions de “L’Utopie” datant de 1516 et 1518.
“L’Utopie” comporte deux livres : le premier est un réquisitoire contre les injustices sociales et politiques de l’Angleterre. Le second est une description de l’île d’Utopie, sorte de contre-image positive de ce que pourrait être l’Angleterre, si elle était mieux gouvernée.
Pas de monnaieDans son ouvrage, Thomas More insiste surtout sur la sagesse philosophique, le caractère et les mœurs heureuses des Utopiens : “Le bonheur, pour eux, ne réside pas dans n’importe quel plaisir, mais dans le plaisir droit et honnête vers lequel notre nature est entraînée. Il leur faut fuir tout acte qui pourrait être source extérieure de souffrance pour soi ou pour autrui.”
Sur l’île, il n’y a pas de monnaie, chacun se sert au marché en fonction de ses besoins. Toutes les maisons sont pareilles. Il n’y a pas de serrure et tout le monde est obligé de déménager tous les dix ans pour ne pas s’enraciner. L’oisiveté est interdite. Pas de femmes au foyer, pas de prêtres, pas de nobles, pas de valets, pas de mendiants. Ce qui permet de réduire la journée de travail à 6h. Tout le monde doit accomplir un service agricole de deux ans.
Utopia sera régie par les mathématiques, pure manifestation de l’intelligible. Dans l’île, tout est mesurable parce que le nombre seul garantit l’égalité. Sur l’île, la propriété privée est inconnue, les Utopistes travaillent six heures par jour et prennent leur repas en commun. Le temps libre est consacré à des loisirs comme les échecs ou l’apprentissage des belles lettres.
Vingt ans après la parution de “L’Utopie”, en 1535, Thomas More critique le divorce du roi d’Angleterre Henry VIII. Le monarque le fera aussitôt emprisonner et décapiter.