Ai Weiwei ou l’art comme résistance
Inlassable activiste et militant, M. Ai n’est pas que l’artiste chinois le plus célèbre du monde. La rétrospective que lui consacre la Royal Academy de Londres montre qu’il est un grand artiste. Il mêle poésie et politique, minimalisme et dénonciation.
Publié le 28-09-2015 à 20h59 - Mis à jour le 29-09-2015 à 07h24
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Ai Wewei n’aurait pu rêver mieux pour lancer sa grande expo londonienne. En juillet, il recevait enfin des autorités chinoises son passeport confisqué jusqu’alors. Et aujourd’hui, il est plus incisif contre Londres qui lui a, dans un premier temps, refusé un visa longue durée que contre Pékin !
Mais peu importe, au-delà du dissident et courageux militant des droits de l’homme (lire ci-contre), la Royal Academy permet de juger l’œuvre de l’artiste et le résultat est époustouflant.
Sa vie, ses combats, ses idées
L’expo reprend les étapes du travail d’Ai Weiwei. Influencé par Duchamp, il détourne les traces de la Chine ancienne (morceaux de temple, meubles, poteries) pour leur donner une nouvelle vie, les sauvant des destructions que la Chine communiste a faites de son patrimoine.
Sa devise est "Art is Life and Life is Art". Il a compris qu’une œuvre est ce que l’artiste pose comme œuvre, fut-ce une roue de vélo ou un urinoir. Dès lors, Ai Weiwei fera de sa vie, de ses combats et de ses idées, des œuvres. "Je suis mon propre ready-made", dit-il.
Un thérapeute
Meubles anciens "recomposés", partie de temples pris dans des blocs de pierre, mélanges incongrus d’un pilier de temple ancien et d’une chaise. Il y a chez Ai Weiwei un art minimal, mais toujours à forte connotation politique.
Sa notoriété internationale et ses combats contre Pékin ont vraiment commencé après le tremblement de terre au Sechouan en 2008 quand les autorités ont tenté de minimiser leurs responsabilités. Avec courage et obstination, il a mené l’enquête. Sur deux murs de la Royal Academy, on découvre la liste interminable des 5 000 écoliers morts parce que leurs écoles avaient été mal construites, avec des fers à béton de mauvaise qualité, à cause de la corruption. Ai Wewei a alors collecté sur place des milliers de ces fers tordus par le tremblement de terre et les a fait redresser, un à un, dans un atelier. Il les montre côte à côte comme un paysage de barres de fer, un cimetière de gisants.
Le résultat est simple et magnifique si on y voit un geste de réparation vis-à-vis des morts. Ai Weiwei est un thérapeute comme on le voit aussi dans la cour du musée avec six grands "arbres". Il réutilise des vieux troncs et branches d’arbres "sacrés" venus de Chine mais détruits, pour en faire des arbres boulonnés (la vie repart du vieux).
Le martyre d’un artiste
Une autre salle montre la destruction par les autorités chinoises de l’atelier qu’il avait construit à Shanghai (il en a un autre à Pékin). Il a conservé un lit de bois de son atelier et l’a emprisonné dans les débris du bâtiment (la pièce pèse 17 tonnes) et il montre des milliers de crabes en céramique, rappel de la fête qu’il organisa sur les ruines offrant des crabes, symboles en Chine, de la censure officielle.
Plus loin, Ai Weiwei, qui est aussi architecte et entrepreneur, reconstitue un labyrinthe à partir de morceaux de temple. Dans une salle, il a déposé quatre cubes d’un mètre de côté : en cristal (il a fallu 4 mois pour qu’il refroidisse), en bois de rose, en thé compressé et un dernier, en casse-tête chinois.
Ces dernières années, ses œuvres se font plus démonstratives, perdant un peu de leur minimalisme avec les caméras de surveillance en marbre impérial ou les os des victimes de la révolution culturelle en porcelaine.
Une salle reprend les six énormes boîtes d’acier corten de 1,5 m de haut, comme six sarcophages, qu’on avait vues à Venise pendant la Biennale 2013 dans l’église Sant’Antonin. Sur chacune, une petite ouverture sur le haut et une autre sur le côté permettent de voir des dioramas hyperréalistes en 3D qui montrent comment Ai Weiwei a vécu en prison, au secret, pendant 81 jours, en 2011. Le chemin de croix, le martyre d’un artiste. Mais l’ensemble était plus impressionnant dans une église.
Ai Weiwei a aussi suspendu un lustre de 2,5 tonnes fait de dizaines de vélos et de verre, image d’une société chinoise où tout le monde est cycliste et tourne en rond.
Ai Weiwei se montre à Londres comme un mélange de Warhol et de Duchamp, du poète et du militant.
Ai Weiwei, Royal Academy of Arts, Londres, jusqu’au 13-12. Avec Eurostar, Bruxelles est à deux heures de Londres. Sur présentation du ticket Eurostar, le musée offre une seconde entrée gratuite.
La contestation comme raison de vivre et de son art
Né en 1957 à Pékin, Ai Weiwei est le fils du poète Ai Qing, ce qui lui vaut toujours un respect auprès des intellectuels. Sa famille subit les affres de la révolution culturelle et dut s’exiler à la campagne pour y être humiliée. Depuis, l’artiste voit dans l’appareil communiste "une culture de gangster".
Il fait des études de cinéma (avec des noms devenus célèbres : Chen Kaige et Zhang Yimou), se bat pour la démocratie et fonde un groupe d’art d’avant-garde. En 1981, il choisit de s’exiler pendant onze ans à New York où il s’inscrit dans une école de design et fréquente une intelligentsia artistique marginale.
En 1993, Ai Weiwei retourne en Chine pour retrouver son père malade. Il ne quittera plus le pays où il vit avec son épouse, l’artiste Lu Qing, leur fils et deux douzaines de chats et chiens.
Le nid d’oiseau de Pékin
Dès son retour, il multiplia les actions, lança des publications underground et réalisa des séries célèbres où on le voit faire un doigt d’honneur devant les principaux monuments du monde, à commencer par la place Tian’anmen; ou alors il se photographie laissant tomber des vases Han vieux de 2000 ans, ou les peignant de couleurs vives, posant la question de la destruction du passé.
Ai Weiwei est aussi designer et architecte. Il a construit son atelier dans le quartier branché de Caochangdi à côté du district 798, celui des galeries d’art où se trouve le Centre Ullens (UCCA).
La carrière d’Ai Weiwei a été marquée par des étapes spectaculaires. En 2007, à la Documenta de Kassel, il a fait venir 1001 Chinois qu’il a logés sous tente, une manière de montrer la nécessité de mélanger les regards sur l’art.
Il se fit connaître du grand public en étant invité par les architectes Herzog et de Meuron comme designer du stade en nid d’oiseau de Pékin pour les J.O. Il regretta ensuite ce travail qu’il qualifia de "propagande du régime".
"So sorry"
Son grand virage fut la catastrophe du tremblement de terre au Sechuan en 2008. Sur son site, une bougie rappelait le drame et il dressait peu à peu la liste des morts, tout en révélant des scandales liés au tremblement de terre. Ai Weiwei redonnait une identité aux victimes anonymes.
Ai Weiwei a compris qu’Internet, Facebook, Twitter (il écrit 40 000 tweets par an) devenaient des armes de la contestation et lui donnaient une notoriété en Chine et à l’étranger l’autorisant à défier le régime.
A l’automne 2010, la Haus der Kunst de Munich lui consacra une expo intitulée "So sorry", "vraiment désolé", ce qui est la seule réponse des autorités chinoises aux catastrophes selon l’artiste. Ai Weiwei avait couvert la façade avec 9 000 sacs à dos d’écoliers en souvenir des enfants écrasés.
81 jours de prison
Avec le printemps arabe, les autorités chinoises ont pris peur. Elles avaient déjà cherché à l’intimider en détruisant son studio de Shanghai. Le 3 avril 2011, Ai Weiwei était interpellé à l’aéroport international de Pékin. Son atelier et son domicile étaient fouillés et, pendant 81 jours, il fut mis au secret, déclenchant une intense campagne de mobilisation du monde de l’art. Il fut relâché le 22 juin, mais accusé defraude fiscale.
Il en faudra plus pour briser l’artiste. La contestation est devenue sa raison de vivre, la raison de son art. Il "veut écarter les limites", dit-il. Dans le Hall de la Tate, il étendit des millions de graines de tournesol en céramique, symboles des promesses de Mao.
Son art n’est pas là uniquement pour interpréter le monde, mais pour le changer