Attali : "On peut prévoir l’avenir"
Pour Jacques Attali l’avenir de la planète passe par un Etat de droit mondial. Rencontre.
Publié le 05-10-2015 à 15h44
Les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique viennent d’inaugurer une exposition internationale d’art contemporain dont le schéma est calqué sur l’ouvrage de l’écrivain français Jacques Attali "Une brève histoire de l’avenir". Commentée dans nos colonnes (LLB du 08/09/15), l’exposition devrait connaître un large succès car sa présentation aérée, les commentaires disponibles pour tous et le choix des œuvres plaident pour un accès sans difficulté à tout public jeune et adulte. Non, l’art contemporain n’est pas nécessairement hermétique, preuve en est faite en cette exposition. Et qui plus est les questions traitées en images dans la diversité des disciplines correspondent pour la plupart à une actualité médiatique presque quotidienne. Les œuvres résonnent donc comme des échos aux informations, aux interrogations, aux événements, aux peurs et aux perspectives du monde d’aujourd’hui. Ce faisant, elles envisagent aussi notre avenir et correspondent à la vision de Jacques Attali que nous avons rencontré.
Prévoir l’avenir comme vous le faites, est-ce un exercice plausible ou est-ce une vue de l’esprit ?
On peut prévoir l’avenir et la meilleure preuve en est que par rapport à ce livre paru en 2006 tout se produit, heureusement ou malheureusement, comme je l’avais prévu. Beaucoup de choses qui se passent aujourd’hui étaient prévisibles et sont d’ailleurs largement entamées comme le déclin de l’empire américain qui a commencé le 11 septembre 2001 ou les questions climatiques. Il y a évidemment les accidents de l’histoire, un attentat, un changement politique imprévu, mais ce sont des épiphénomènes, les cinq états que je prévois dans le livre se déroulent jusqu’à présent comme prévu.
Votre ouvrage n’est ni optimiste, ni pessimiste, il souffle le chaud et le froid et vous montrez que le monde peut être mis réellement en péril. D’où viendrait à votre avis le plus grand danger, du politique, de l’économique ou du religieux ?
L’histoire montre que le monde évolue avec une croissance constante tant du bien que du mal et selon une courbe sinusoïde qui varie selon les époques. Le bien, c’est la prise de conscience des mutations, l’interdépendance croissante des hommes, le développement de l’éducation… Le mal, c’est le mauvais usage des technologies, le caractère suicidaire de la barbarie, les forces de l’obscurantisme… Dans ce contexte, le principal enjeu pour l’humanité c’est l’absence de gouvernance dans un Etat de droit planétaire car si celui-ci n’existe pas, si l’anarchie prend le dessus sur l’instauration d’un minimum d’ordre, de surveillance de la sécurité, de maintien des droits fondamentaux, on ira vers le chaos.
Harald Szeemann considérait certains artistes comme des visionnaires. Estimez-vous que ce soit le cas pour ceux qui participent à l’exposition ?
Dans l’exposition qui réunit des œuvres majeures du XXIe siècle, ça crève les yeux. Une petite précision, je n’aime pas que l’on réserve le mot artiste aux peintres, les musiciens en sont également et l’art contemporain comprend bien d’autres disciplines comme la danse. Ils sont visionnaires car ils ont vu venir beaucoup de choses. Ils sont là aussi pour exprimer leur créativité et semer des graines d’indignation.
Ne sont-ils pas davantage des observateurs critiques du monde d’aujourd’hui et qui, à ce titre, s’interrogent sur cette situation ?
Les deux en font partie, tout d’abord parce que l’observation critique fait partie du regard sur le monde et sur l’histoire. Les œuvres posent des questions qui interpellent le public et qui, d’une certaine manière, peuvent l’inciter à devenir acteur. Des œuvres comme celle de Gavin Turk, un homme couché dans un sac, ou l’obèse affalé au sol de John Isaacs, sont extrêmement actuelles, elles touchent le public sur les questions des migrants et des sans-abri. Ce sont des faits d’aujourd’hui qui ont des résonnances multiples dans l’histoire et dont il ne dépend que de nous pour qu’ils n’existent plus.
La cinquième vague de votre prévision qui se situe en 2050 avec l’instauration d’une société hyperdémocratique après des années très noires, faut-il y croire ou est-ce une utopie comme l’intitulé du dernier chapitre de l’exposition ?
Bien sûr que c’est une utopie, c’est celle de l’Etat de droit mais, en même temps, elle est en train de naître. Dans l’exposition, il existe un dialogue et des choses positives apparaissent telle la prise de conscience de l’importance de la maîtrise du temps, la non-violence… tout cela existe même si c’est encore ultra-minoritaire. Je n’ai pas de doute sur l’avènement de l’hyperdémocratie, la seule question qui subsiste est : viendra-t-elle après ou à la place d’une grande guerre ?
Vous accordez aussi un rôle primordial à la beauté. En quoi est-elle importante ?
Il n’y a rien de plus révolutionnaire que la beauté ! C’est quand on sait que la beauté existe que l’on peut commencer à vouloir un meilleur monde.
"2015. Une brève histoire de l’avenir", musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles. Jusqu’au 24 janvier. Musée du Louvre, Paris. Du 24 septembre au 04 janvier. www.expo-2050.be
Jacques Attali, "Une brève histoire de l’avenir", éd. Fayard.