Dans le secret des sarcophages
Très belle exposition au musée du Cinquantenaire, à Bruxelles, sur l’Egypte ancienne. "Sarcophagi" explore les rites de la mort, les cercueils, momies et sarcophages pendant 3 000 ans. Toutes les pièces proviennent des riches collections du musée. Deux tiers n’avaient jamais été montrés.
Publié le 15-10-2015 à 19h19 - Mis à jour le 16-10-2015 à 15h19
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Une exposition sur l’Egypte ancienne est toujours un gage de succès public, mais aussi de découvertes infinies. Si en 3 000 ans d’histoire, l’Egypte a vu son art et ses croyances peu évoluer, chaque exposition permet cependant de découvrir d’autres facettes de cette civilisation. C’est le cas de la fascinante expo qui s’ouvre au musée du Cinquantenaire : "Sarcophagi - sous les étoiles de Nout".
Toute l’exposition est une plongée dans les rites et arts liés à la mort et à la renaissance.
Dès la première salle, on est séduit par quatre petites pleureuses de terre cuite, comme de l’art populaire très expressif et magnifique qui nous plongent dans l’atmosphère des funérailles. Depuis 1911, ces pleureuses n’étaient jamais sorties des caves du musée !
Le parcours est placé sous le signe du mythe de la déesse Nout, avec une scénographie évoquant les tombes et, à chaque entrée de salle, l’étoile de Nout.
Une grande peinture sur un couvercle de sarcophage donne le sens de cette croyance. La déesse Nout a comme corps la voûte céleste de la nuit, couverte d’étoiles. Chaque soir, elle mange le soleil et le redonne au matin. Métaphore du cycle de la mort où après un passage dans les ombres, on est promis à une renaissance.
Les yeux d’Horus
Si au début de la première dynastie, les rois entraînaient avec eux dans leur mort les serviteurs assassinés pour continuer à les servir dans le monde de l’au-delà, l’Egypte a vite abandonné cela pour choisir un art "performatif" : l’image, les peintures, les artefacts sur le cercueil suffisaient pour accompagner le mort et devenir "réels" dans la renaissance.
Dans le parcours chronologique, on présente d’abord de très simples cercueils de bois, très courts, comme des caisses (on enterrait encore en position de fœtus). Puis, les cercueils s’allongent, le corps est momifié, on le couche sur le côté gauche, vers l’est et le soleil levant, et on dessine sur le bois les yeux d’Horus, symbole de santé et d’intégrité physique.
Peu à peu, le décor des cercueils et sarcophages se complexifie. Il ne s’agissait jamais de décoration mais bien de peindre et d’écrire des formules et images qui serviront et protégeront le mort.
Loin des grandes expos blockbusters où sont alignées les pièces maîtresses, celle-ci vaut aussi par ses objets d’apparence plus humble mais très émouvants comme ces extraordinaires cercueils de terre cuite, d’adultes et d’enfants, avec leurs sculptures d’art primitif.
Un laboratoire dans les salles
Toute une salle est consacrée à la "Deuxième cachette de Der el-Bahari" où furent découverts, en 1891, 450 cercueils de prêtres d’Amon du temple de Karnak sous la 21e dynastie. Malheureusement, les archéologues français vidèrent très vite la cachette et dispersèrent les cercueils sans bien répertorier les objets. Le musée du Cinquantenaire en hérita d’une douzaine et de statuettes nombreuses (la Belgique était fort active en égyptologie). Ceux-ci sont en voie de restauration et exposés à l’exposition.
On arrive alors à des salles plus spectaculaires mais plus connues : avec les momies dans leurs beaux sarcophages peints, puis les magnifiques portraits des tombes de Fayoum (les premières peintures réalistes de l’Histoire). Les momies animales ne sont pas oubliées. On sait peu que beaucoup de ces momies ne contiennent en réalité pas d’ossements. De nouveau, la religion était performative. Seul l’aspect était important et pouvait "ressusciter" dans l’au-delà.
Le parcours se termine par le laboratoire de restauration des cercueils de la "Deuxième cachette de Der el-Bahari" où on pourra voir au travail, tout au long du temps de l’expo, les restaurateurs venus de l’Instituto Europeo di Restauro d’Ischia.
En tout, il y a douze salles, comme les douze heures que dure la nuit, et que dure le trajet du mort.
"Sarcophagi", musée du Cinquantenaire, jusqu’au 20 avril.

1. La déesse Nout est représenté ici sur le couvercle d’un sarcophage de la 26e dynastie, vêtue d’une somptueuse robe rouge émaillée d’étoiles, poignets et chevilles ornés de bracelets et chevelure relevée à la verticale. Elle est arc-boutée au-dessus de la terre qu’elle touche de ses pieds et de ses mains, les cheveux retombant vers le sol. Nout avale le soleil couchant qui plane devant sa gorge à l’Ouest et, devant son sexe, plane la lune qui surgit donc à l’Est. Si Nout avale les astres, par son sexe, elle les remet ensuite au monde. (G.Dt)
Sarcophage de Khonsou-Tefnakht, intérieur du couvercle. Basse époque El-Hibeh, fouilles de Grenfell & Hunt. Bois et stuc peint. 190 x 50 cm.

2. Quatre petites figurines de pleurantes en terre cuite ouvrent l’exposition, illustrant les rites des funérailles. Les pleureuses faisaient partie du cortège funéraire accompagnant le défunt dans son cercueil et dans la tombe. Des prêtres étaient également de la partie pour veiller au bon suivi des rituels, ainsi que des porteurs d’offrande. Ces figurines datent du Moyen Empire mais sont d’une origine inconnue (elles viennent de la collection Scheurleer). (G.Dt
Pleureuses, Moyen Empire, origine inconnue. Précédemment collection Scheurleer Terre cuite peinte. Hauteur: 27, 25, 24,5 et 23,5 cm.

3. Au cours de toute l’exposition, week-end compris, les visiteurs pourront suivre en direct le travail des restaurateurs de l’Istituto Europeo del Restauro d’Ischia qui travailleront dans l’exposition même sur la restauration des cercueils de Deir el-Bahari qui furent cédés à la Belgique après la découverte en 1891 de la Deuxième cachette de Deir el-Bahari. Les visiteurs sont aussi initiés aux derniers travaux de recherche, y compris les scanners effectués sur les momies par le service d’imagerie médicale des cliniques Saint-Luc.
Les Cigares du Pharaon
On dit qu’Hergé pour “Les cigares du Pharaon” et E.P. Jacobs pour “Le mystère de la grande pyramide”, puisèrent leur science en visitant les collections égyptiennes du musée du Cinquantenaire. Celles-ci sont, de fait, très riches avec plus de 12 000 objets. Et pour cette exposition, le choix – risqué – a été fait de ne prendre que des pièces du musée lui-même en puisant deux tiers des objets montrés dans les réserves où ils n’étaient plus connus de personne. L’exposition démontre qu’avec une bonne scénographie et un bon fil narratif, le Cinquantenaire est un musée d’une grande richesse, à même de rivaliser avec les grands musées d’Art et d’Histoire. La secrétaire d’Etat Elke Sleurs (N-VA) s’en réjouissait, disant ce jeudi que c’était un des objectifs de sa politique. Elle rappelait qu’elle avait dégagé en juin des moyens spéciaux pour des investissements et qu’une nouvelle salle serait construite pour l’Egypte ancienne, mais sans donner de délais. G.Dt