La dernière de Laurent Busine au Mac’s
L’ultime exposition du "pape" de l’art contemporain en Communauté française est essentiellement composée d’art ancien.
Publié le 16-10-2015 à 18h59 - Mis à jour le 17-10-2015 à 08h42
Avec sa barbe de diable et son œil malicieux, Laurent Busine, fondateur et directeur du Mac’s au Grand-Hornu, n’aimerait pas qu’on l’appelle pape mais c’est bien ce rôle qu’il joua en Communauté française comme Jan Hoet le fit pour la Flandre. C’est lui qui "domina" la politique de l’art contemporain au sud du pays pendant plus de 30 ans. En mars, il quittera le Mac’s, atteint par la pension, et est remplacé par Denis Gielen. Ceci est donc sa dernière exposition au Mac’s.
Vous vous êtes battu toute votre vie pour l’art contemporain et vous terminez par une exposition d’art ancien !
J’ai souvent mêlé l’art ancien et l’art populaire à mes expos car je refuse de choisir des artistes en fonction d’une ville, d’une région, d’un pays ou d’une époque. Des artistes du Moyen Age peuvent nous parler aujourd’hui comme un artiste contemporain. Et cela m’amusait : ma première expo au Mac’s comportait trois œuvres anciennes parmi l’art contemporain. Ici, je fais le contraire : quatre pièces contemporaines parmi l’art ancien ! Je boucle la boucle. Comment pourrait-on parler de l’art d’aujourd’hui si on ne connaît pas l’art ancien ? C’est hélas souvent le cas. Mon Manfred Sellink est à la fois un spécialiste de Luc Tuymans et Thierry De Cordier et le grand spécialiste de Bruegel, dont il dirigera l’importante rétrospective à Vienne en 2018.
Vous avez souvent expliqué l’origine de votre goût pour l’art chez votre père, Zéphir Busine…
Il était peintre, designer, dessinait des affiches. Tout pouvait pour lui devenir objet d’art. Cela me troublait. Et à l’université, je fis une autre rencontre capitale, le professeur Charles Delvoye qui pouvait parler d’un vase ancien et, extrapolant, il parlait de toute la société. Ce fut un choc : donc, un objet peut devenir art et peut parler de toute la société ! C’est ce que j’ai toujours essayé de faire : confronter le visiteur à une œuvre et ouvrir ainsi pour lui le champ des connaissances. Dans une exposition bien faite, chacun peut trouver une image qui le marquera.
Vous avez dirigé pendant 20 ans la section exposition du palais des Beaux-Arts de Charleroi, où vos choix attirèrent un public de toute la Belgique.
J’y ai montré autant Egon Schiele, que Paoloni, les meubles de Starck ou les Fioretti de saint François (car quand la poésie dit mieux les choses que l’art, prenons la poésie). J’y ai vu que l’art était une chose très sérieuse qui demande de la part des artistes un courage extraordinaire. L’idée des artistes "inspirés", comme naturellement, est fausse. Kapoor, Penone, Boltanski, Garouste ou, en Belgique, Michel François, Angel Vergara, Thierry De Cordier, n’arrêtent jamais ! Dans ce combat, j’ai eu une chance inouïe : le directeur du PBA, Guy Rassel, m’a toujours fait une confiance absolue.
L’aventure du Mac’s dura 12 ans pour trouver les fonds !
C’est une réussite avec 65 000 à 75 000 visiteurs par an. Ce sont Valmy Féaux, alors ministre, et Henry Ingberg, secrétaire général, qui m’avaient appelé en me demandant d’imaginer un musée d’art contemporain près de Mons. Comme je travaillais alors au sauvetage du Grand-Hornu, c’est là qu’on l’a placé. Il fallait un musée pour que les gens gardent des références. J’avais fait une expo Paolini mais vingt ans plus tard, qui s’en souvenait ? Sans les musées, on n’aurait plus les Rubens et les Van Eyck. J’ai conçu la collection permanente du Mac’s comme une bibliothèque qu’on peut consulter mais je pense qu’à l’avenir, il faut réfléchir à construire un musée à côté du Mac’s pour des expositions permanentes de la collection.
Certains vous accusent d’avoir trop monopolisé les faibles moyens de la Communauté française en arts plastiques ?
Quand on a créé ce musée, j’ai été très clair en disant aux ministres que je ne voulais pas qu’on retire un centime aux autres musées et que mes budgets soient des nouveaux budgets. J’engage mes collègues à faire de même.
L’art est-il utile ?
Oui car tout ce qui fait fonctionner l’intelligence est bénéfique. Même nos ingénieurs seront plus intelligents si ils se confrontent à l’inventivité des artistes. Ceux-ci donnent des réponses à des questions qu’on ne parvient pas encore à formuler, ce qui est troublant. Un musée peut approfondir les connaissances de ceux qui le visitent, et dans tous les domaines. Je sais qu’on craint le manque de moyens publics, mais la qualité doit primer et pas le marketing, même les mécènes le savent.
Le plaisir, c’est de côtoyer l’art ?
Bien sûr. Lire des livres, discuter avec des artistes, voir des ateliers, ce fut mon travail. C’est fantastique. Nous faisons des expos éphémères d’apparence, mais je suis persuadé qu’elles placent dans la tête des visiteurs des images qui changent un tant soit peu leur vie.
Des Croisés au drapeau anglais, Georges vainc le dragon
Laurent Busine tenait énormément à cette exposition. Il voit dans le mythe de saint Georges combattant le dragon, sauvant la princesse, un sujet européen par excellence qu’on retrouve dans tous les pays. Sa croix rouge sur fond blanc est à la fois la base du drapeau anglais et l’emblème des Croisés. Pas une ville, pas un village où on ne retrouve ce personnage toujours très populaire (le combat du Doudou à Mons).
Le reliquaire de Charles le Téméraire
Son exposition, "L’Homme, le dragon et la mort, la gloire de saint Georges" qu’il a montée avec son ami Manfred Sellink, ancien des musées de Bruges, nouveau directeur du musée des Beaux-Arts d’Anvers, est de toute beauté et à ne pas manquer.
Comme à son habitude, il a créé un parcours plein de poésie, de correspondances étonnantes, de découvertes. Comme cet immense saint Georges de bois terrassant le dragon qui ouvre l’expo et qu’il a trouvé dans le petit village français de Lizines.
Un peu plus loin, c’est un chef-d’œuvre de l’orfèvrerie occidentale qu’on découvre avec le reliquaire de Charles le Téméraire de la cathédrale de Liège, avec 70 kg d’or, où le prince est adoubé par saint Georges.
Il ne faut pas confondre l’histoire de l’archange saint Michel tuant le dragon avec son épée (symbole de Bruxelles) et celle bien plus populaire de saint Georges. La légende serait née au IIIe siècle déjà, sous l’empereur Dioclétien où on raconte que dans une ville, un dragon exigeait sans cesse des moutons et une jeune fille choisie au hasard. Le sort tomba un jour sur la fille du Roi, quand le cavalier saint Georges la croise et la délivre en tuant le dragon avec sa lance.
De Persée à Spiderman
Saint Georges fut d’abord célèbre pour son martyre, le plus long de "La Légende dorée". Il fallut des années de supplices cruels et divers pour arriver à bout de saint Georges.
Mais pour Laurent Busine, ce saint n’est pas tant religieux que l’incarnation au contraire de la possibilité d’un choix individuel : celui de pouvoir se dresser seul, avec courage, face au mal.
Ce mythe se retrouve sous bien des formes, depuis Persée délivrant Andromède du monstre marin jusqu’à Spiderman délivrant la jeune fille dans les rues de New York.
Certes, le mythe a parfois des applications devenues "incorrectes" comme lorsqu’il est le symbole du combat contre les Turcs ou l’emblème des Croisés, dont on connaît les ravages qu’ils firent.
Si les saint Georges de Carpaccio et Uccello ne sont évidemment pas là, on ne se lasse pas d’admirer les chefs-d’œuvre montrés au Mac’s : les enluminures formidables de manuscrits anciens, les gravures de Dürer ou Lucas van Leyden, une très grande peinture venue de Brescia, les peintures maniéristes tout en courbes et casques emplumés. Parfois, le saint Georges a des airs de femme. Dans un rare tableau hollandais d’après la Réforme, comme on ne pouvait plus représenter la vie des saints, le mythe apparaît comme un tableau au mur derrière deux membres de la guilde de Saint-Georges.
Touche contemporaine
A cela, s’ajoute le mythe vu dans l’orfèvrerie, sur une splendide tapisserie et dans de nombreuses sculptures d’églises et de processions. A travers la variété des formes et la créativité des artistes, c’est la persistance de ce grand mythe européen qui fascine Laurent Busine.
Il y a joint quatre artistes contemporains. Penone a placé, dans la cour du Grand-Hornu, un arbre foudroyé et couvert d’or et un autre au sol qui devient fontaine. L’arbre dressé est saint Georges et l’arbre à terre est le dragon blessé. Luc Tuymans a offert au Mac’s une très grande toile où on voit, de dos, des hommes admirer un paysage de bataille comme nous-mêmes on vient admirer l’expo. Angel Vergara et David Claerbout viennent compléter cette touche contemporaine au mythe éternel.
"L’Homme, le dragon et la mort", au Mac’s, GrandHornu, jusqu’au 17 janvier.