Tristan Tzara, l’homme approximatif
Au musée d’Art moderne de Strasbourg, un Tzara grandeur nature.
Publié le 23-10-2015 à 18h19 - Mis à jour le 24-10-2015 à 13h52
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZKGQXL7CJ5G43NHXXES63ZM7EI.jpg)
L’exposition de pareil homme n’est jamais gagnée d’avance. Ces dernières années toutefois, de beaux exemples nourrissent notre imaginaire de réussites. Dernières en date : Paul Eluard à Evian, Michel Leiris à Metz. Il faut dire que, comme Tzara, ces géants des aventures toniques ont eu le privilège d’arrondir leurs fins de mois par la collusion amicale avec de nombreux peintres et sculpteurs de la meilleure veine.
Voilà qui vous aide à vivre, voire à survivre quand les temps sont difficiles pour les valeurs de l’esprit. Dense, sans forfanterie, en prise directe sur le temps et les exploits, l’exposition passe les déambulations de Tristan Tzara (1895-1963) au peigne fin de ses extravagances, conquêtes, préoccupations existentielles.
La visite, cadrée par les scènes sur lesquelles Tzara aura agi et perpétré écrits et incitations à la rébellion, n’en est que plus vivante, maints documents - manuscrits, caricatures, lettres - sous vitrine s’accommodant des peintures, dessins, sculptures de maîtres amis.
De Bucarest à Zurich
Si "L’homme approximatif" est le titre d’un de ses bouquins publié en 1931, Tzara, qui est alors encore Samuel Rosenstock, vécut sa jeunesse en Roumanie auprès d’artistes qui, comme lui, s’entichaient de Rimbaud, Lautréamont ou Jarry. Il y signa ses premiers poèmes sous le pseudo de S. Samyro, le nom de Tzara lui advenant en 1915.
Symboliste à ses débuts, Tzara vira sa cuti aussitôt arrivé à Zurich où, avec Marcel Janco, Sophie Taeuber, Arp, Schwitters ou Picabia, il fomenta la révolution Dada. Le Café Voltaire fut leur repère, ses amis le portraiturant à qui mieux mieux. Une suite de faciès plus ou moins masqués nous le dévisage, dégaine ahurissante.
Défi face à une Europe en guerre, spontanéité mise à nu, Tzara inocula le virus du désordre. Il fut l’homme au monocle qui intriguait.
"Dada dézingue"
Si les œuvres aux cimaises n’ont pas toutes appartenu à cet enfant terrible des lettres et des luttes, elles sont représentatives du cénacle et des peintures ou collages qui l’entouraient de ferveurs.
Intimiste, l’exposition ne manque d’aucun charme, elle jette ses lumières sur un homme qui, sortant de l’ordinaire, confia des extravagances aux arts en mouvement. Même Luis Armstrong fut de ses amis et la musique l’obséda.
Tzara en roumain veut dire la patrie : y fut-il triste au point de s’en enfuir à jamais ?
A Zurich jusqu’en 1919, Tzara s’éprit du Cubisme et de Picasso, Braque ou Marcoussis, échangea des correspondances avec Apollinaire. Des tableaux cubistes avoisinent les lettres d’une époque en veine de discussions et actes de foi.
Puis Tzara gagna Paris, s’ouvrit à l’intelligentsia de la Ville Lumière, de Picasso à Satie. Son aventure humaine, littéraire, libre et folâtre explosa alors, un slogan fit florès : "Dada dézingue l’écriture, la peinture, les objets trouvés."
Surréalisme et arts d’ailleurs
De Dada au Surréalisme, il n’y eut qu’un pas que Tzara franchit avant de s’en dissocier quand Breton mit du sien à se fâcher avec tout un chacun.
Homme de théâtre aussi, Tzara fit flèche de tout bois, s’enticha de Chirico comme de Delaunay, de Chagall ou de Zadkine, de Man Ray ou de Klee.
"Attendu comme le Messie, il étonne avec sa petite taille", s’en honora, séduisit. Il épousa Greta Knutson en 1925, se fit bâtir une maison par Adolf Loos, s’amusa aux "Cadavres exquis" avec sa femme et Valentine Hugo, publia à tire d’aile, s’entoura de Dali, Miro, Tanguy ou Brauner, Brancusi ou Hérold, ses "pays".
Si Giacometti, Duchamp ou Picasso furent de sa famille, il s’éprit sans façons des arts extra-occidentaux, africains ou océaniens, écrivit à leur propos. Son univers fut infini, sa vie passionnante et l’expo sourit et s’amuse avec lui.
Musée d’Art moderne et contemporain, 1, place Jean Arp, Strasbourg. Catalogue. Jusqu’au 17 janvier. Infos : www.musees.strasbourg.eu