François Schuiten, le dessinateur qui voulait comprendre les mystères des pyramides
Après 4 années de chaos politique et économique, l’Egypte lance la plus importante mission pour percer les mystères des pyramides. Comment ont-elle été construites et que recèlent leurs entrailles? L’auteur de bande dessinée et scénographe François Schuiten est de la partie.
Publié le 26-10-2015 à 21h49 - Mis à jour le 27-10-2015 à 11h48
La plus grande mission d’exploration des pyramides jamais menée en Egypte a été lancée dimanche au Caire. Elle vise à apporter des réponses à des questions jusqu’ici jamais élucidées : comment ces monuments colossaux ont-ils pu être construits et que cachent-ils.
Erigés pour être inviolables, ces tombeaux constituent depuis des siècles une énigme. Avec ses 146 mètres de haut et ses 2,5 millions de blocs de pierre, la grande pyramide de Khéops édifiée voici 4 500 ans l’aurait été en 25 ans seulement. Un laps de temps considérablement court au regard du travail titanesque qui a dû être réalisé. Songez que des dalles pesant jusqu’à 63 tonnes ont été déposées à 60 mètres de hauteur.
Technologies innovantes
C’est une mission internationale baptisée "ScanPyramids" qui a reçu l’aval de mener à bien cette campagne. Le Japon, le Canada et la France y participent. Mais les instigateurs du projet sont la faculté des ingénieurs du Caire et l’institut HIP (Heritage, Innovation and Preservation). Surprise, on trouve parmi les créateurs de cette dernière structure (sans but lucratif !) l’auteur de bande dessinée et scénographe belge François Schuiten (lire ci-dessous).
La mission va mettre en œuvre les technologies les plus innovantes pour percer le mystère des pyramides. Trois techniques vont être utilisées pour éviter de commettre l’impensable aux yeux des Egyptiens : percer des trous dans les monuments. Des analyses à partir de caméras thermiques permettront d’identifier les endroits où la chaleur reste stockée dans les différentes pyramides (plusieurs sites seront analysés); des drones et des scanners au laser seront utilisés pour fournir une reconstitution en 3D du plateau de Gizeh et des pyramides avec une précision jamais atteinte ; enfin, une technologie japonaise basée sur les muons, des particules élémentaires, doit permettre de mettre en évidence l’existence ou non de structures jusqu’ici ignorées au cœur des colosses de pierre.
Les participants à la mission espèrent notamment en savoir plus sur une anomalie détectée voici 30 ans par une campagne d’exploration précédente. Celle-ci laissait entendre qu’une rampe à l’intérieur des pyramides pourrait expliquer comment elles ont été érigées.
Redorer l’image du pays
Si l’Egypte a donné son feu vert et participe à une telle opération, c’est parce qu’elle en a bien besoin. Depuis le Printemps arabe de 2011, le pays est plongé dans un chaos politique et économique qui a fait fuir les touristes. En 2010, année record, ils étaient près de 15 millions à s’y rendre. Cinq ans plus tard, ils sont moins de 9 millions et ceux-ci sont principalement attirés par les stations balnéaires de la mer Rouge. Les vestiges de l’Egypte antique ne font plus recette. La faute à l’insécurité ou au sentiment d’insécurité. L’attentat-suicide avorté de juin dernier au temple de Karnak et la bavure policière qui a conduit à la mort de plus d’une dizaine de touristes n’ont pas arrangé les choses.
Le tourisme est pourtant un besoin vital pour l’Egypte. Pas étonnant dès lors de voir les autorités locales multiplier les initiatives pour redorer l’image du pays et de leur patrimoine.
Le phare d’Alexandrie
En février dernier, le ministre du Commerce et de l’Industrie a annoncé ses objectifs : attirer annuellement 25 millions de touristes et générer 20 milliards de dollars de revenus. C’est dans ce contexte qu’il convient de placer les différentes initiatives des autorités égyptiennes. Outre la mission autour des pyramides, il y a aussi la campagne de fouilles destinée à vérifier si la tombe de Néfertiti ne se trouve pas dans celle de Toutankhamon. Il y a également la remise à neuf du célèbre musée du Caire et la construction du musée consacré à Toutankhamon et son trésor. D’autres idées ont aussi été avancées au printemps dernier : la reconstruction du phare d’Alexandrie, 7e merveille du monde, et l’installation d’un musée sous-marin.
François Schuiten est de l’aventure
Voilà donc François Schuiten embarqué dans une drôle d’aventure. L’auteur de bande dessinée va accompagner la mission "ScanPyramids" pour percer le mystère des pyramides des pharaons. C’est avec une certaine émotion dans la voix qu’il parle de ce projet qui lui tient manifestement très à cœur et provoque chez lui à la fois du trouble et de l’excitation.
Comment vous êtes-vous retrouvé mêlé à ce projet ?
Tout part de l’amitié que j’ai avec Mehdi Tayoubi qui a longtemps été responsable d’un secteur de Dassault Systèmes consacré aux façons de pérenniser un patrimoine et de l’explorer. Il a développé différents projets dans ce domaine, dont un consacré à la grande pyramide de Khéops. Il a développé ça avec des archéologues et avec des architectes. De mon côté, j’ai développé avec lui la reconstitution de la Type 12, la fameuse locomotive qui est au cœur du Train World, à Bruxelles. Nous avons aussi fait un travail sur le Paris du futur lors de l’exposition "Revoir Paris" au Trocadéro l’an dernier. J’avais une longue complicité avec lui et j’étais passionné par son travail sur la grande pyramide. Quand il a été question de créer une société qui serait le moteur de ce projet (l’institut HIP créé en 2015, NdlR), il m’a proposé d’y participer et j’ai accepté avec enthousiasme.
Qu’est-ce qui vous passionne dans l’Egypte antique ?
L’Egypte m’a toujours passionné même si cela ne se voit pas directement dans mon travail. C’est une source d’inspiration. Et puis, j’avais le sentiment avec ce projet qu’on retrouvait une tradition très ancienne, celle des expéditions qu’accompagnaient des dessinateurs. Je vais rejoindre la mission en Egypte (où je n’ai jamais été) en tant que dessinateur, que raconteur d’histoires. Je ne sais pas encore précisément ce que je vais en faire mais j’ai l’envie d’être dans cette aventure. Non pas en tant que touriste mais en tant que témoin graphique. De plus, Mehdi Tayoubi réunit quelque chose qui me fascine et qui est profondément ce que j’essaye d’explorer dans des projets de bande dessinée ou de scénographie, c’est-à-dire une façon de regarder l’histoire avec des outils contemporains si pas d’avant-garde. Le passé et en même temps une vision très audacieuse, novatrice. C’est l’équation qui me passionne.
De grandes découvertes sont encore possibles en Egypte ?
J’en suis absolument convaincu ! On est peut-être devant de très grandes découvertes… C’est amusant parce qu’il y a un Belge qui a donné la vocation de beaucoup d’archéologues, c’est Edgar P. Jacobs avec "Le mystère de la grande pyramide" dans lequel il y avait cette hypothèse que le plateau de Gizeh pouvait encore receler de nombreuses découvertes étonnantes. Notre campagne commence fin octobre et elle va se dérouler avec des moyens extraordinaires. C’est passionnant. C’est la première fois qu’on a une telle ambition avec une participation très forte de l’Egypte. C’est aussi symbolique à un moment où ce pays a du mal à se relever de ce qui lui est arrivé (en 2011, NdlR). C’est ce qui est émouvant et très intéressant : comment l’histoire peut faire revenir sur le devant l’image d’un pays et d’une culture aussi forte et remarquable. C’est ce qui me plaît dans cette aventure. Elle nous dépasse. On a le sentiment qu’une fenêtre unique est en train de s’ouvrir.
Néfertiti se cache-t-elle derrière Toutânkhamon ?
L’hypothèse a été émise par l’égyptologue britannique Nicholas Reeves cet été : la tombe de Toutânkhamon ne lui était initialement pas destinée et aurait été aménagée à la hâte suite au décès prématuré du jeune pharaon (voir "La Libre" du 12 août). En réalité, les lieux devaient accueillir la dépouille d’une autre personnalité. Et Nicholas Reeves pense à la célèbre Néfertiti. L’égyptologue affirme avoir découvert, grâce à des relevés photographiques en haute résolution, des anomalies sur deux parois de la chambre funéraire abritant la momie du pharaon. Des indices qui laissent supposer selon lui, que deux portes se cachent derrière les enduits peints ornant la salle. Pour en avoir le cœur net, il suffit d’aller voir ce qui se cache derrière ces enduits. Mais pas question de dégrader le précieux tombeau découvert par Howard Carter. Les autorités égyptiennes et une série d’experts viennent de donner leur feu vert pour l’utilisation de caméras thermiques et de radars permettant de voir ce qui se dissimule éventuellement derrière les deux anomalies. Les relevés vont commencer début novembre. S’ils révèlent la présence de salles inconnues dans la tombe, il faudra ensuite déterminer qu’il s’agit bien de la sépulture de Néfertiti, ce qui n’est pas gagné. Les experts de l’Egypte antique sont divisés sur la question de qui a succédé à Akhénaton. Une femme ? Oui, mais qui…
Heritage, Innovation and Preservation (HIP)
Mehdi Tayoubi Le président de l’institut HIP a dirigé pendant 10 ans une structure ("Passion for Innovation") consacrée chez Dassault Systèmes aux nouvelles technologies mises au service de projets culturels.
Hany Helal Vice-président d’HIP, ce professeur à la faculté des ingénieurs du Caire est aussi l’ancien ministre égyptien de la Recherche et de l’Eduction. Il est un des pionniers de la collaboration entre ingénieurs et archéologues en Egypte.
François Schuiten Vice-président d’HIP. Auteur de bande dessinée et scénographe, c’est aussi un passionné d’architecture (son père fut un architecte en vue à Bruxelles dans les années 50-60). Il est devenu célèbre grâce à son travail sur "Les Cités obscures" réalisé avec le scénariste Benoît Peeters. Il a reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême en 2002.