Les Nerviens valaient bien les Flamands
Passionnant : le musée d’Ixelles confronte l’école de Laethem à celle de Nervia.
Publié le 06-11-2015 à 21h19 - Mis à jour le 07-11-2015 à 14h57
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Le musée d’Ixelles propose un regard neuf sur l’art belge d’avant-guerre en croisant les œuvres de deux grands mouvements (à l’échelle belge) : l’école de Laethem-Saint-Martin, en Flandre, et celle de Nervia dans le Hainaut.
L’histoire de l’art belge a tout le temps privilégié la première qui aurait été plus innovante, commençant au début du siècle dernier avec la première école de Laethem autour de Gustave Van de Woestijne, son frère Karel (critique d’art), Georges Minne, Valérius de Saedeleer et Albijn van de Abeele.
C’est cette première école que l’expo confronte avec celle plus tardive des Nerviens, inspirée d’ailleurs en partie de Laethem et qui dura dix ans, de 1928 à 1938. Elle fut menée par Anto Carte, Louis Buisseret, Léon Navez, Jan Winance. Un mouvement qui aurait été plus conservateur, voire réactionnaire.
Bruegel et le Quattrocento
C’est une tout autre vision qu’on retire de l’exposition. On y voit de nombreuses convergences. D’ailleurs, Anto Carte, le meneur de Nervia, a songé à s’installer à Laethem ! Les deux mouvements ont grandi en réaction aux mouvements internationaux comme l’abstraction et le surréalisme. Pour les deux, l’horreur de la Première Guerre mondiale puis la grande crise de 1930 les conforteront dans ce sens, il s’agit de quitter les villes, de revenir à la campagne, vers la vérité de l’humain, vers la figuration, de retrouver nos racines, y compris religieuses.
Les deux mouvements s’inspirèrent des grands peintres du passé : Bruegel, et aussi, pour les Nerviens, les peintres italiens du Quattrocento. "Ce retour à l’humain semble être pour Nervia, écrit Michel De Reymaeker, un des commissaires, la seule garantie d’un art vrai, d’un art puissant et stable qui pourrait prévenir le chaos qu’ils pressentent et craignent."
Pas un art réactionnaire
On retrouve chez les deux groupes les mêmes types de sujets : la vie des champs, les scènes religieuses adaptées à nos campagnes du début du XXe siècle, la même attention aux "trognes" des paysans, à la douceur des maternités, aux paysages doucement ondulés de la Lys ou du Hainaut
Mais l’expo montre que ce ne fut pas un art simplement réactionnaire. Ces artistes connaissaient et parfois adaptaient la nouveauté des cubistes et des fauves parisiens : symbolisation des corps, perspective écrasée, décomposition du sujet, couleurs fortes.
Si Louis Buisseret est proche de l’esprit du Quattrocento avec ses figures douces et maternelles et sa peinture en glacis, Valérius de Saedeleer peint des paysages de neige rappelant le retour des chasseurs de Bruegel.
Anto Carte et Van de Woestijne
Les deux vedettes de l’expo, choisies aussi pour leurs ressemblances étonnantes, sont Gustave Van de Woestijne (1881-1947) et Anto Carte (1886-1954). Quand l’exposition confronte leurs portraits de paysans, il devient très difficile de dire qui a fait quoi.
On y montre quelques chefs-d’œuvre de Van de Woestijne comme ceux du musée Van Buuren dont "La table des enfants", et des collections de la Communauté française comme "Le violoniste aveugle". Face à lui, Anto Carte tient bien la comparaison avec de superbes tableaux comme "L’aveugle et le paralytique", "Maternité" et ses "Piéta". On est frappé par la modernité d’un Navez et par celle des paysages de Frans Depooter.
Bien sûr, les deux mouvements prirent ensuite des voies divergentes avec la seconde école de Laethem apparaissant dès les années 20 (Permeke, Frits Van den Berghe, Gustave De Smedt) qui bifurqua résolument vers l’expressionnisme de type allemand alors que Nervia restait fidèle à ses préceptes de départ.Guy Duplat
Nervia/Laethem-Saint-Martin, Traits d’union, musée d’Ixelles, jusqu’au 17 janvier.