L’Ikob s’interroge sur son identité et son rôle
L’Allemand Frank-Thorsten Moll prend la direction du Musée d’art contemporain de la Communauté germanophone. L’avenir sera artistique mais en passant par les leviers sociaux.
Publié le 24-01-2016 à 19h52 - Mis à jour le 21-02-2016 à 09h05
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Après une période de transition suite à l’indisponibilité temporaire suivie du départ de l’ancienne directrice, l’Ikob, Musée d’art contemporain de la Communauté germanophone de Belgique, va reformuler son projet suite à la nomination de son nouveau directeur Frank-Thorsten Moll, que nous avons rencontré.
En assurant un intérim malgré tout fort conséquent, Francis Feidler, l’initiateur du projet en 1990 qui mena à bien la concrétisation de ce musée disposant désormais d’un espace d’exposition de plus de 800 m² et des services nécessaires à sa fonction, a prouvé une fois de plus qu’il était l’homme de toutes les situations.
Voilà plus de six mois qu’il a repris les rennes de l’institution dans des conditions difficiles en assurant tout d’abord le bon fonctionnement de la programmation prévue, ensuite en mettant sur pied des projets de manière à poursuivre normalement les activités muséales. Le nouveau maître des lieux prendra ses fonctions en mars prochain avec pour objectif premier une exposition de son cru en novembre de cette année.
La réponse impossible
Le positionnement de ce musée qui a pu compter sur une aide régulière de la Fédération Wallonie Bruxelles prend une signification particulière eu égard à la situation de l’ensemble des musées et aux difficultés actuelles de financement.
Quel profil l’institution devra-t-elle adopter dans ce contexte sachant que la Communauté germanophone, qui assume l’essentiel de son bon fonctionnement, ne dispose pas de ressources plantureuses ? C’est en quelque sorte un défi de gestion qui est sur la table du nouveau directeur qui, optimiste, nous dit : "L’argent n’est pas le seul moteur d’un musée, un budget plus important dépend seulement du politique. Par contre, la politique culturelle dépend avant tout de l’esprit qui règne dans l’institution et de ce que l’on y développe. Je ne connais pas d’artiste qui refuse de travailler lorsqu’on établit une bonne collaboration. La communication humaine est essentielle, c’est pour cela que je considère que ma mission est d’abord celle d’un médiateur."
Résolution scientifique
Très symboliquement, ce n’est pas un hasard si l’exposition qui vient de s’ouvrir et occupe l’ensemble des espaces du musée a pour titre une équation mathématique insoluble qui sous-entend, selon le commissaire Francis Feidler, une triple question sans pouvoir finalement y répondre : qu’est-ce qu’un musée [d’art contemporain, NdlR], quel art y a sa place et que peut-on en attendre ? Pourtant, l’institution devra affirmer sa singularité et donner des orientations qui le distingueront dans l’échiquier muséal belge.
"L’équation est un gag ! Cependant, l’époque veut actuellement que l’on explique l’art selon des critères mathématiques, sociologiques, tout un arsenal scientifique. Je trouve cela drôle, étrange, ça ne fonctionne pas. Cette proposition est aussi une manière de dire que ça ne peut pas fonctionner comme ça ! C’est ironique." La dérision est une attitude artistique très belge ! "C’est un aspect qui m’intéresse. Les curateurs qui ne portent pas attention à la dérision, au langage, perdent quelque chose qui est aussi présent dans une partie de l’art allemand. Si on peut faire des comparaisons, par exemple entre Broodthaers et Beuys, les rapprochements stylistiques ou autres sont à mon avis moins importants que de rechercher les différences, l’ironie présente."
Proximité géographique, pluralité culturelle
La présente exposition repose sur la présentation d’une grande partie de la collection qui compte plus de 300 œuvres. S’y joignent quelques prêts du Smak gantois (l’exposition est d’ailleurs dédiée à Jan Hoet) et de privés. Le profil même de cette collection est le reflet d’une gestion qui a tenu compte de l’implantation géopolitique de l’établissement public.
Elle est en effet un habile mélange d’œuvres d’artistes de la Communauté germanophone et des voisins les plus immédiats, allemands, hollandais, luxembourgeois, et belges, tant flamands que wallons. Elle se base donc sur une proximité géographique et une pluralité culturelle puisqu’elle associe la part germanique à la part francophone.
"C’est une situation que je connais bien et apprécie telle une richesse", poursuit notre interlocuteur. "Je considère qu’on est ici au cœur de l’Europe ! Pour venir ici, je quitte le Zeppelin Museum de Friedrichshafen, une ville allemande située au bord du lac de Constance, aux confins de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Autriche, sans oublier le Liechtenstein... Dans ces circonstances, on doit composer avec la situation géographique et les diverses sensibilités des régions."
"Mon premier travail sera studieux, nous dit Frank-Thorsten Moll. Je vais entreprendre une analyse de la situation du musée sur base des acquis et faire en sorte de connaître mieux les artistes. Bien entendu, je connais les grandes figures internationales historiques et actuelles, les artistes belges les plus réputés, mais je vais approfondir mes connaissances dans le domaine, ici, sur place. Ceci dit, je ne compte pas agir en historien qui impose sa vision unique, je veux surtout apprendre, écouter des artistes, des acteurs culturels, des gens, des forces sociales, tous ceux qui ont quelque chose à dire. C’est la raison pour laquelle je considère ma mission comme celle d’un médiateur."
Frank-Thorsten Moll
1977 : Naissance à Villingen-Schwenningen en Allemagne. Études artistiques et philosophiques à Karlsruhe.
2002 : Travaille à la Documenta 11 et sur un projet de recherche sur l’image à Berlin.
2005 : Assistant à la Maison des cultures du monde à Berlin.
2006 : Curateur à la Kestnergesellschaft à Hanovre.
2009 : Chef du Département artistique au Zeppelin Museum de Friedrichshafen, chargé de la collection d’art et des expositions temporaires.
2016 : Directeur de l’Ikob, musée d’art contemporain d’Eupen.
Cent œuvres et douze chapitres
L’exposition, divisée en douze chapitres, compte une centaine d’œuvres occupant l’ensemble du musée selon un accrochage très serré dans le but de montrer la diversité de la collection.
Celle-ci est composée entre autres d’œuvres de Jacques Charlier, Nicolas Kozakis, Yves Zurstrassen, Jo Delahaut, Marcel Berlanger, Benoît Platéus, Delphine Deguislage, également de Jan Fabre, Ronny Delrue, Michaël Borremans, Johan Tahon, Kati Heck, Tinka Pittoors, et encore de Steve Kaspar, Jean-Marie Biwer, Jonathan Meese, Eric Peters, Norbert Huppertz, Francis Schmetz… et d’une installation de 1977 du sculpteur Francis Feidler.
Parmi les œuvres prêtées par le Smak de Gand, on compte un imposant ensemble de petites peintures (1994-1995) de Philippe Vandenberg, une série d’aquarelles (1997-1998) de Berlinde De Bruyckere, des aquarelles de Haider Jabbar, des œuvres de Leo Copers et de François Morellet, ainsi que l’ensemble des œuvres sur papier de 42 artistes de Memorabilia, réalisée pour le départ de Jan Hoet du musée Marta à Herfodd en 2008.
Parmi les prêts privés, on compte des œuvres de Panamarenko, Luc Tuymans et Peter De Cupere.
Les projets à venir
La nouvelle programmation du musée ne sera connue qu’en avril prochain. En attendant, Frank-Thorsten Moll a levé un coin du voile en évoquant son intention de changer le rythme et la quantité des expositions.
A côté des grandes expositions, thématiques ou pas, de plus longue durée, il veut entretenir de manière régulière et soutenue, sous diverses formes, de rencontres dialoguées à de petits événements temporaires, d’invitations à des artistes, des poètes ou à d’autres personnes tels par exemple des réfugiés, une sorte de dialogue constant avec l’art contemporain. Un autre aspect important portera sur les coopérations, pas seulement avec d’autres musées ou centres d’art, mais avec les forces vives sociales.
La collection devrait se poursuivre dans la voie tracée. Le fait qu’elle se soit constituée jusqu’à présent par une seule personne, selon ses goûts et sa vision intellectuelle, intéresse beaucoup le futur directeur car, dit-il, "il s’agit d’une culture ouverte qui traduit la manière dont on appréhende le monde dans sa diversité".
Quant à la première exposition dont le germe s’est déjà bien développé, elle reste un secret, mais l’accent de la dérision y sera présent !
Expo "Museum = K (x+y) / D". Ikob, Musée d’art contemporain, 12B, Rotenberg, 4700 Eupen. Jusqu’au 3 avril. Du mercredi au dimanche de 13 à 19h. Infos: www.ikob.be