Jan Fabre arrête sa mission de "curateur" à Athènes

Dès jeudi soir, le premier ministre Alexis Tsipras lui-même aurait laissé dire qu’il était intervenu et avait demandé à Fabre d’assurer aussi des spectacles grecs.

Guy Duplat
Jan Fabre arrête sa mission de "curateur" à Athènes
©Photo News

Jan Fabre arrête sa mission de « curateur » pendant 4 ans à la tête du Festival d’Athènes en bute à l’hostilité des milieux artistiques grecs.

La mission de Jan Fabre à la tête du Festival international d’Athènes et d’Epidaure n’aura pas duré longtemps. Nommé en février, il y a à peine plus d’un mois, il a démissionné en ce début avril. Ce samedi, un court communiqué sur l’agence Belga annonçait qu’il quittait sa fonction de curateur qu’il devait exercer pour quatre ans. Il y évoquait un «environnement artistique hostile ». «J’ai accepté le mandat que m’a octroyé le ministre grec de la Culture sous condition de pouvoir faire mes choix artistiques en toute liberté. Cela ne semble plus possible en Grèce. Je ne souhaite pas travailler dans un environnement artistique hostile, dans lequel je suis pourtant arrivé avec l’esprit et le coeur ouverts. »

Jan Fabre avait annoncé son projet, mardi midi à Athènes au musée de l’Acropole. Entouré de toute son équipe et devant le ministre de la Culture, Aristides Baltas (Syriza) qui l’avait nommé en février dernier lui assurant « carte blanche », Jan Fabre annonçait pour cette année, « un festival 100 % belge ». De quoi susciter beaucoup d’énervements chez les artistes grecs car auparavant, le festival était à 90 % grec. De la grogne chez des artistes grecs soumis à des réductions drastiques de budgets.

Jan Fabre disait avoir choisi la Belgique pour 2016 car dans les délais si courts qu’il avait, c’était pour lui la seule solution et que la Belgique lui apparaissait comme un modèle d’ouverture multiculturelle. Il promettait d’ouvrir vite le festival à la création grecque. Cette année, il devait inviter des artistes grecs à des workshops avec de grands artistes belges. Et en 2017 et 2018, « au moins un tiers des artistes seront grecs ». Il déclarait vouloir œuvrer au rayonnement international du festival.

Mais il avait visiblement mal perçu la situation en Grèce et l’impact que ses choix auraient sur les artistes grecs. Immédiatement, le milieu artistique grec a réagi très vivement. Sur Facebook, par exemple, des actrices déclaraient « avoir honte de ce qui se passe », d’une vision « colonialiste », « le festival devient un club fermé où on rejette les Grecs », pouvait-on lire par exemple. Les artistes grecs prenaient comme une insulte que Jan Fabre aurait dit « ne pas avoir la moindre idée de la création artistique grecque contemporaine ».

Réaction de Tsipras

Dès jeudi soir, le premier ministre Alexis Tsipras lui-même aurait laissé dire qu’il était intervenu et avait demandé à Fabre d’assurer aussi des spectacles grecs. Vendredi, une assemblée des artistes et techniciens grecs se tenait au Théâtre Sfendoni à l’Acropole, bondé. La démission de Fabre et du ministre de la Culture était demandée. « C'est une insulte à notre culture», déclarait l'actrice Carmen Ruggeri, en notant «Je ne comprends pas comment ce choix a été fait. » Elle demandait à Jan Fabre d’« annuler son contrat », et si il ne le faisait pas, elle demandait aux citoyens « de ne pas aller aux spectacles cet été. »

«Je trouve impensable dans ce moment de laisser nos artistes en dehors de notre propre festival. Dans un pays en faillite, qui apporte tout son personnel, qui finance tout », disait-elle. Les partis d’opposition Neo Demokratia et To Potami s’étaient joints aux contestataires.

Jan Fabre en a donc tiré la conclusion sans autre commentaire que ce court communiqué sur Belga.

Le ministre grec de la Culture, Aristidis Baltas, n'a pas caché son amertume samedi dans le communiqué, rappelant que Jan Fabre était venu pour apporter son aide à une Grèce en crise, limitant ses émoluments pour s'occuper du festival et y présenter les productions de sa troupe à 20.000 euros par an.

M. Baltas estime que l'artiste a été victime "d'une attaque coordonnée des partis politiques, des médias et d'une partie du monde artistique", ces derniers "qualifiant d'anti-grec un programme structuré sur quatre ans, qui visait non seulement à étendre le caractère international du Festival mais aussi à rendre internationales les créations grecques".

"Ils ont déclaré persona non grata un créateur internationalement acclamé et ont totalement dédaigné son travail artistique, humiliant tout sens de la liberté artistique", poursuit le ministre, avant de promettre des mesures "en vue du meilleur fonctionnement possible" du festival cette année, malgré les circonstances.

Le futur musée d’art contemporain

La collaboration annoncée entre le futur nouveau musée d’art contemporain d’Athènes (le EMST) et le Muhka (musée d’art contemporain) d’Anvers ne devrait pas être affectée par cette polémique et par la démission de Jan Fabre. Leurs contacts étaient antérieurs au choix de Jan Fabre comme curateur du festival d’Athènes. Seule sans doute, la date d’ouverture du nouveau musée et de l’expo conjointe des collections de l’EMST et du Muhka serait changée. Prévue initialement en septembre, annoncée pour fin juin afin de « coller » au festival, elle aura sans doute quand même lieu en septembre. Ce sera un dialogue « socratique » entre des oeuvres des collections des deux musées. Chaque fois, l’œuvre d’un artiste grec sera mis en dialogue avec celle d’un artiste belge des collections du Muhka. Et on ajouterait à chacun de ces « mini-thèmes » un artiste d’un autre pays.

Lettre ouverte à l’attention du ministre de la Culture M. Aristide Baltas et du directeur du festival d’Athènes et Epidaure. M. Jan Fabre.

Monsieur le Ministre, Nous nous sommes spontanément réunis aujourd’hui 1er avril 2016 dans le théâtre Sfendoni d’Athènes, tous créateurs qui vivent et travaillent en Grèce, représentants du théâtre, de la danse, du cinéma, de la musique, des arts plastiques, et nous avons discuté en détail tant de la nomination, par vous décidée, de l’artiste flamand Jan Fabre au poste de directeur ainsi que du programme du, désormais rebaptisé international, Festival d’Athènes que vous avez conjointement présenté. Nous avons convenu à une écrasante majorité qu’il s’agit d’une série de décisions inacceptables et problématiques, tant légalement que moralement, qui vont directement à l’encontre de la création contemporaine grecque et se retournent contre les artistes grecs au chômage, depuis longtemps mis à rude épreuve. Tout cela prouve que vous n’avez ni politique culturelle concrète, ni vision du présent et du futur de notre culture contemporaine.

Constatant donc que ces décisions ministérielles spécifiques sont considérées comme illégales et surtout comme hostiles à la création vivante et à la culture de notre pays, et que autrement dit, vous ne pouvez plus nous représenter, nous demandons votre démission immédiate.

Suit notre résolution pour Monsieur Fabre.

Monsieur Fabre, Lors de votre court passage dans notre pays, vous avez réussi à commettre une série de graves inconvenances, qui sont autant d’injures caractérisées envers nous tous qui signons cette lettre mais pour de nombreuses autres personnes également. Plus spécifiquement :

1.Vous avez participé à une conférence de presse de « style aristocratique » avec carton d’invitation, (du jamais vu dans les usages du Festival Hellénique), que vous avez délibérément organisée en l’absence d’artistes grecs,ignorant que le Festival d’Athènes et Epidaure, comme tous les autres festivals, est pour l’essentiel, la l’œuvre des artistes qui le nourrissent depuis des années de leur talent, de leur passion et de leurs idées d’avant-garde.

2. Vous avez admis ne pas avoir la moindre idée de la création artistique grecque contemporaine, mais, malgré cela, vous vous considérez capable de prendre en charge (comme curateur !) la principale institution culturelle du pays, rabaissant ainsi les créateurs grecs à une masse imprécise et artistiquement discréditée, et qui plus est devraient vous en être reconnaissants.

3.Vous nous avez présenté de but en blanc un état-major encombrant de collaborateurs Belges faut le souligner, ainsi que vous-même, seront payés(qui, il par notre Etat en faillite) prouvant de la manière la plus claire que votre ignorance au sujet de la culture grecque contemporaine est destinée à rester ignorance.

4.Vous avez essayé, avec une arrogance vraiment incroyable il est vrai, de nous tromper en prétendant rendre International un festival qui l’est déjà depuis sa naissance tout en annonçant un programme purement belgo-belge, dont vous emportez personnellement où vous vous taillez la part du lion.

5.Vous nous avez exclu de (notre) festival, non seulement pour cette année mais encore pour les années à venir, nous, les créateurs grecs, nous considérant indignes de participer à l’ « installation » que vous-même organiserez, en suggérant que vous pourriez nous redonner la parole une fois que nous aurons été « initiés » (bons élèves) à votre univers esthétique personnel

Pour toutes ces raisons, par l’arrogance et le véritable totalitarisme artistique dont vous avez fait montre, vous vous êtes vous-même rendu, monsieur Fabre, persona non grata.

Afin d’éviter les malentendus, le but de cette lettre n’est pas de négocier avec vous, non ; nous ne sommes pas des syndicalistes, nous ne vous demandons pas de nous accorder du temps ou un lieu dans votre « installation », nous ne nous abaisserons pas non plus jusqu’à exiger de vous ce qui nous appartient. Par la présente lettre nous vous faisons savoir que, premièrement nous ne vous reconnaissons pas comme directeur artistique du Festival d’Athènes et Epidaure et, deuxièmement, que vous nous devez réparation de l’insulte que vous nous avez faite en faisant ce qui tombe sous le sens : renvoyer votre contrat d’engagement (pour vous et vos collaborateurs) au ministre qui vous l’a donné.

Le corps des personnes présentes

Théâtre SFENDONI

1 AVRIL 2016

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