Oui, la grande peinture est bien vivante !
Barbara Rose lance un pavé dans la mare artistique actuelle en sonnant le glas de la postmodernité au profit de la peinture. La célèbre historienne de l’art américaine est commissaire d’une expo belge de très grande envergure. Celle-ci met en connexion huit Américains et huit Belges. Ouverture en septembre.
- Publié le 09-06-2016 à 08h00
- Mis à jour le 09-06-2016 à 08h19
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Ce sera à n’en pas douter un des événements de la rentrée artistique, en septembre prochain. En remettant les pendules à l’heure de la peinture, il créera la polémique autant qu’il décillera les regards formatés par le coup de poker de Marcel Duchamp voici plus de cent ans, par l’imposition du conceptuel au milieu des années soixante et par la postmodernité née dès la décennie suivante.
Farouchement rejetée
Alors qu’elle n’a jamais cessé d’être active et inventive, la peinture fut farouchement rejetée par les tenants et les porte-parole de ces trois mouvances. Face à une domination concertée, le contrat passé à l’égard de la peinture, à quelques exceptions près qui confirment la volonté de nuire, l’a volontairement marginalisée alors qu’elle continuait à tenir son rang en voie parallèle aux autres expressions.
Franchement de retour sur le devant de la scène, elle éprouve encore du mal à être reconnue pour elle-même.
Dans ce contexte peu engageant, Roberto Polo, galeriste à Bruxelles et historien de l’art formé aux Etats-Unis, a donné carte blanche à Barbara Rose, éminente personnalité du monde artistique depuis les années soixante.
Une expo qui fera date
L’Américaine porte un jugement très sévère sur le rejet de la peinture et cible sans ménagement quelques responsables. Avec le soutien de la Ville de Bruxelles elle a mis sur pied une double exposition qui fera date.
Elle y célèbre la peinture belge et américaine dans ce qu’elle a de plus singulier et de plus fondamental. En créant l’événement, elle force à la réflexion et à la prise en compte d’une réalité trop longtemps occultée.
"Il est temps d’en finir !"
En historienne, Barbara Rose examine la marche de l’art depuis les premières mises en cause de la peinture et à travers le rôle joué par la figure tutélaire de Marcel Duchamp. "On oublie souvent que Marcel Duchamp ne fut pas seulement l’auteur des ready-made et qu’il fut aussi marchand, soutenant des artistes comme Brancusi et créant des collections en tant que conseiller, tant pour le Moma de New York que pour Peggy Guggenheim. Son influence fut déterminante. Il voulait changer les règles, et il l’a fait en imposant sa ‘Fontaine’. Son exposition au Centre Pompidou a montré qu’il avait clairement un problème avec la peinture et que pour lui, la peinture ne pouvait plus avoir de place !"
En mort clinique depuis les années 60
L’idée a fait son chemin et malgré les Picasso, Matisse, Miro et autres très grands de la peinture, elle a gagné du terrain avant d’être déclarée morte autour des années soixante. "C’est la théorie française qui a tué toute discussion sur la peinture, déclare l’historienne. Heureusement aujourd’hui, aux Etats-Unis, c’est enfin démodé, mais le blabla des Lacan, Lyotard, des maoïstes et autres Sollers ou Deleuze et Guattari, a consommé tragiquement la rupture."
Et la commissaire de considérer que plongés aujourd’hui dans "la postmodernité numérique et technologique qui recycle et ressasse les images, on se trouve dans la même situation décadente qu’à la fin des XVIIIe et XIXe siècles et que ça suffit de s’extasier sur un bout de bois ou de la poussière".
Quant au rôle prédominant du critique américain Clément Greenberg, grand défenseur de l’abstraction picturale expressionniste, elle nuance : "Il défendait la surface picturale et l’impact rétinien mais rejetait la touche qui fait la grande peinture ! Après les grands drippings de Pollock, la question était : que fait-on maintenant ? La réponse n e vint pas et Pollock était dans l’impasse. Greenberg a décrété, par exemple, que Jasper Johns n’était pas un peintre majeur ! Du coup, les vrais peintres se sont renfermés dans leurs ateliers."
Barbara Rose a donc pris son bâton de pèlerin vers les ateliers.
C’est un manifeste, pas une mode !
L’élément déclencheur du projet d’exposition est un constat de la situation suite à d’innombrables visites d’ateliers tant aux States que chez nous. "L’expo est une obligation morale de montrer ces artistes dont certains sont très âgés, qui vivent reclus dans leurs ateliers, isolés, qui se comportent comme des chercheurs. Ils ont un caractère de fer et vont leur chemin sans se préoccuper du reste. A travers eux, je crois dans la capacité de la peinture d’exprimer un esprit héroïque. C’est de la résistance et de la résilience face au politically correct ambiant".
Fustigeant "le temps actuel des investisseurs financiers sans culture", Barbara Rose plaide pour une peinture nourrie de "la grande peinture occidentale et de la culture qui exigent des efforts considérables pour les appréhender".
Elle considère que l’argent ne donne pas la connaissance et que l’on veut tuer la culture sous prétexte qu’elle est bourgeoise.
Le même oxygène
L’exposition portera sur les nouvelles manières d’assumer la tactilité en peinture et sur les nouveaux courants picturaux.
"Tous les artistes présents respirent le même oxygène la plupart du temps sans se connaître, dit-elle. Ce ne sont pas des théoriciens, mais ils ont quelque chose en commun. Une étonnante cohérence existe entre leurs œuvres et ils connaissent leur métier. En aucun cas l’expo ne représente un mouvement quelconque, une nouvelle vague, encore moins une mode. Elle se place dans la ligne qui assure un futur à la grande tradition. C’est un manifeste personnel, connu et approuvé par les artistes. Sortir de leur isolement leur donnera plus de force. Ensuite, chacun sera appelé à réagir devant le fait. Ce sera une réussite si les artistes se reconnaissent entre eux. Pour le reste, je ne cherche pas à faire parler de moi et je sais que l’on sera critiqué parce que l’on va déranger le système de la productivité."
L’important pour la commissaire est que l’expo ait lieu et que l’on soit confronté à cette réalité des ateliers, à la persistance pertinente de la peinture actuelle dans sa matérialité expressive, dans sa part de sensibilité, dans sa corporalité pensante et émouvante.
Bio express : Réalisatrice, curatrice, éditrice
Née en 1938, historienne de l’art, Barbara Rose exerça en tant que critique dans les plus importants magazines américains dont "Art in America et Artforum", ainsi que "The Journal of Art". Elle fut éditrice de "Partisan Review" et publia plusieurs ouvrages qui font toujours autorité dont "Autocritique : Essays on Art and Anti-Art". Elle réalisa plusieurs films et fut également curatrice au musée des Beaux-Arts de Houston. Elle est aujourd’hui basée à Madrid.
En pratique : Painting after Postmodernisme/ Belgium - USA
Qui ? Commissaire : Barbara Rose, avec Roberto Polo Gallery et Karine Lalieux pour la Ville de Bruxelles.
Quand ? Du 15 septembre au 13 novembre.
Où ? Cinéma Galeries, 26, galerie de la Reine, 1000 Bruxelles. Expo et programmation de films par Dominique Païni/Espace Vandenborght, 50 rue de l’Ecuyer, 1000 Bruxelles