"Pour faire connaître la culture arabe, il faut la montrer": Beyrouth en fête à Bruxelles
Publié le 28-01-2017 à 19h04 - Mis à jour le 28-01-2017 à 19h11
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A l’heure où partout des barrières s’érigent à nouveau, des Etats-Unis de Donald Trump au Royaume-Uni du Brexit, il est important de montrer la richesse artistique possible d’une société mélangée comme la nôtre. C’est l’objectif que poursuit l’organisation belge "Moussem" ("fête" en arabe) créée en 2001. Cette structure transdisciplinaire œuvre à faire entrer dans les institutions culturelles belges un peu de la culture arabe et berbère venue des pays arabes ou de la diaspora chez nous.
Moussem programme régulièrement des festivals de musique, des concerts ou des expositions. Du 2 au 18 février, la structure propose à Bozar et au Kaaitheater (ses principaux partenaires institutionnels) un festival pluridisciplinaire autour de Beyrouth et des artistes libanais.
Nous avons rencontré son fondateur et directeur Mohamed Ikoubaân. Né dans le Rif marocain en 1963, il est un Berbère de langue Tamazight. Il a émigré à 6 ans à Meknès, au nord-est du Maroc ("ma première émigration, dit-il. Je voyais déjà par rapport à l’arabe, la persistance des préjugés") et puis ce fut Fès où il passe une licence en droit, en français. "J’avais choisi le droit car il me semblait que c’était la formation la plus adéquate pour tenter de changer les choses face aux injustices que je voyais autour de moi."
Arrivée en Belgique
Mohamed Ikoubaân critiquait dans le Maroc d’alors un manque de libertés. Il est venu ensuite de manière volontaire, en Belgique où son père vivait (comme ses oncles aux Pays-Bas). "C’était encore facile à l’époque de voyager et d’avoir un visa." Il suit à l’ULB des licences spéciales en assurances et en droit maritime et aérien. "Après, j’ai travaillé en Belgique, n’y étant ni exilé, ni réfugié. C’était un privilège de vivre dans un pays libre."
Mais au début des années 2000, il constate la montée du Vlaams Blok. "On pointe alors des différences culturelles qui étaient d’abord des différences sociales et économiques. Ou qui sont le fait de populations issues de coins reculés du Rif. A Anvers, aujourd’hui 50 % d’enfants sont venus d’ailleurs. Or le secteur créatif, artistique… est le moins créatif car il reprend toujours les mêmes histoires, les mêmes narratifs, alors que la société change radicalement. Comment pourrait-on envisager la coexistence avec d’autres cultures si on n’en dit rien ? Moi, j’ai appris à connaître la Flandre en lisant les auteurs flamands, en lisant son histoire. Mais comment pourrait-on connaître la culture arabe si on ne la montre pas ? Il faut donc que cette histoire culturelle soit racontée, partagée."
Pas de ghettos
En 2001, naissent Moussem et un premier festival à Anvers qui connaît d’emblée un beau succès. Moussem a l’appui de l’échevin anversois de la Culture, Eric Antonis. Les initiatives se suivent comme une expo d’art arabe contemporain au Muhka en 2007.
"Moussem est vite devenu Moussem Nomadic Center car notre but est d’être nomade et d’investir les institutions existantes, pas de créer des ghettos culturels."
Moussem veut montrer comment ce monde arabe peut participer à l’avenir artistique commun. "Le changement viendra des marges", martèle Mohamed Ikoubaân. On sait comment en France par exemple, parmi les artistes actuels les plus importants il y a ceux issus du monde arabe : Adel Abdessemed, Kader Attia, Latifa Echakhch.
Moussem organise avec l’appui de vingt-huit partenaires, des festivals de musique arabe, une nuit de la musique soufie. L’an dernier, il a monté un premier festival autour d’une ville : Tunis. Moussem aide trois artistes en résidence : les excellents danseurs et chorégraphes Radouan Mriziga et Younes Khoukhou (aidés aussi par Charleroi Danses) et l’artiste plasticien Younes Baba-Ali. S’il a son centre à Bruxelles, devant Bozar, Moussem a aussi des résidences en Flandre.
"Nous essayons de renouveler le narratif de compagnies belges. Avec Het Paleis à Anvers, on a ainsi monté un spectacle pour enfants sur la chanteuse Oum Kalsoum, ce fut un triomphe. Nous proposons aux compagnies d’autres histoires, d’autres contenus."
Craint-il un recul de l’idée de mélange de cultures ? "Certes, cela ne va pas assez vite et il y a encore beaucoup à faire mais je sens que la prise de conscience est là."
Beyrouth, hub culturel du Proche-Orient
Elle est une plaque tournante de la culture au Moyen-Orient. Certains la décrivent même comme la capitale culturelle de la région. Beyrouth, meurtrie par des années de violence, renaît de ses cendres, dans les années 90, aux rythmes des initiatives artistiques de ses habitants.
Au lendemain des accords de Taëf qui ont officiellement mis fin à quinze ans de guerre civile, la création d’Ashkal Alwan a lancé une dynamique de reconstruction par la culture. Depuis sa première exposition dans les jardins publics de Sanayeh, dans le quartier beyrouthin d’Hamra, l’association a créé le festival d’envergure internationale "Home Work" qui propose aussi bien des expositions d’arts visuels que des conférences, des films, des pièces de théâtre et des performances.
Le centre libanais pour les Arts plastiques a ainsi donné le ton. Beyrouth compte aujourd’hui une cinquantaine de galeries d’art et d’espaces artistiques pour une population de près de deux millions d’habitants. Le travail d’artistes locaux, syriens et irakiens y rencontre celui de peintres, photographes et essayistes occidentaux.
Terre d’accueil
Terre d’accueil historique, la capitale libanaise, plurilingue, s’est progressivement imposée en un lieu d’échanges favorisé et a gagné au fil des années son qualificatif de pont culturel entre l’Orient et l’Occident.
Résultat : de nombreuses manifestations culturelles internationales, comme le Festival international du film, la Beirut Design Week, la Beirut Art fair, le Salon du livre francophone ou encore le festival de photographie de la Méditerranée Photomed y ont pris leurs quartiers, au même titre que des structures culturelles d’envergure internationale. Fin 2015, le collectionneur libanais Tony Salame installait ainsi une antenne permanente de la fondation Aishti dans la banlieue nord de Beyrouth et offrait au Liban son premier musée d’art contemporain.
La culture comme ciment
Ciment de la société libanaise, la culture, au pays du Cèdre, apparaît donc vitale, tel un poumon, tant elle reste un moyen de communication privilégiée dans une société aujourd’hui encore morcelée. L’association March à titre d’exemple, a réintroduit le dialogue entre les jeunes de deux quartiers historiquement opposés de Tripoli, Bab el Tebbeneh et Jabal Mohsen - qui se livrent régulièrement à des actes de violence, en les réunissant sur une scène de théâtre beyrouthine.
Au Liban, les acteurs de la scène artistique ne manquent donc pas de décrire la culture comme un acte de résistance. Politique certes, dans une région en proie à la montée des extrémismes, mais commerciale également. Face au monopole de la musique pop sur les ondes des radios du monde arabe, Beyrouth est la seule capitale du Proche-Orient à proposer une scène musicale alternative aussi dense.