Vermeer, sublime et miraculeux
Publié le 22-02-2017 à 12h37 - Mis à jour le 22-02-2017 à 14h15
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Une magistrale exposition au Louvre montre tout le miracle qu’est la peinture de Vermeer. Douze tableaux qui brillent au milieu des maîtres de la peinture de genre de son siècle. A ne pas manquer.
Le pari était audacieux : réinterpréter Vermeer (1632-1675) ! Peu de peintres sont aussi connus et unanimement loués. On peut se rendre à Amsterdam et La Haye dans le seul but d’y voir les Vermeer.
Certes, à Paris, au Louvre, dans la magistrale exposition qui s’ouvre, il n’y en a que 12, mais c’est un tiers de toute la production du maître et c’est un exploit en soi (liste ci-contre). S’il n’y avait la foule, on pourrait rester des heures devant chacun d’entre eux, frappé par le silence qui s’en dégage, la lumière qui les baigne, l’harmonie et la poésie, le temps suspendu, le dépouillement si moderne.
On est subjugué par ses détails intimes et narratifs (les femmes à la fenêtre, une lettre d’amour tandis que la servante surveille, les airs si mélancoliques), le mélange de mystère et de familiarité.
(Johannes Vermeer, "La Lettre interrompue")
Le défi du Louvre était de restituer Vermeer dans son époque. Depuis sa redécouverte en 1866 (il avait été oublié), par Théophile Thoré-Burger, on le surnomme « le Sphinx de Delft », comme s’il avait été un ovni de l’histoire de l’art surgi de rien et apparu dans sa ville de Delft.
L’exposition démontre à quel point c’est faux. Vermeer était un homme de son temps, qui s’inspirait de ce que faisaient d’autres peintres. C’était le « Siècle d’Or » Hollandais. Les meilleurs peintres travaillaient pour cette haute bourgeoisie hollandaise, la plus riche du monde, qui faisait fortune à la bourse d’Amsterdam ou dans la Compagnie des Indes. Pour ce marché de niches, de grand luxe, ils produisaient des petits tableaux rares, précieux comme des miniatures, des scènes de genre où l’on ne voyait plus les bars et paysans, mais la vie de ces grands bourgeois, chez eux.
Le Siècle d’or hollandais
Ces tableaux coûtaient des fortunes. Vermeer qui n’était pas le plus coté, n’en faisait que deux à trois par an, souvent pour les mêmes collectionneurs.
Issu de la petite bourgeoisie calviniste mais converti au catholicisme, père de 15 enfants, il a vécu toute sa vie à Delft. Ses tableaux sont au Louvre, intégrés à une septantaine de tableaux de l’époque souvent très beaux, peints ente 1650 et 1670.
On y voit très clairement comment les mêmes thèmes reviennent chez Vermeer et les autres : la femme qui pèse l’or, celle qui écrit à sa table sans doute à un amant, celle assise devant le virginal du salon (piano) ou jouant du luth, celle sublimée dans ses tâches ménagères de dentelière ou laitière, celle rêvant au plaisir et à l’amour. Un art délicat, apaisé, où jamais on ne sent le grondement du monde et la fin proche de cet Age d’or quand les canons de Louis XIV tonnèrent et envahirent les Pays-Bas en 1672.
Ces peintres s’appellent Gerrit Dou, élève de Rembrandt, le plus coté de tous, qui peint de brillantissimes petits tableaux. On dit qu’il mettait trois jours pour peindre un détail de trois centimètres. Il y a aussi Frans Van Mieris, Gerard Ter Borch, Gabriel Metsu. Certains tableaux sont magnifiques comme « Jeune femme à sa couture » de Nicolas Maes, les petits Gérard Dou ou le très moderne et splendide, dépourvu de figures humaines, « Intérieur hollandais, les pantoufles », de Samuel Van Hoogstraten. Ou la femme au perroquet de Frans Van Mieris, l’animal chéri par ces élites.

(Samuel Van Hoogstraten, Intérieur hollandais (« Les Pantoufles »)
Il sublime, métamorphose
Tous ces peintres ne peignaient plus de scènes religieuses, historiques ou mythologiques. Ils peignaient la réalité, la vie autour d’eux. Il est extraordinaire de voir comment la même volonté de peindre la réalité se traduisit alors de manière radicalement différente à l’autre bout de l’Europe chez les disciples du Caravage. En face de l’expo Vermeer, il ne faut pas rater celle de Valentin de Boulogne, un des plus grands caravagesques qui lui, choisissait de très grands tableaux et une expressivité magnifiée (lire ci-contre).
L’exposition démontre clairement que Vermeer s’est inspiré de thèmes créés par d’autres, mais au même moment, cette comparaison loin de lui nuire, fait éclater encore davantage son génie. Comme si en tennis on comparait Federer avec de petits joueurs locaux. La classe de Vermeer est éclatante.
Vermeer transcende le sujet, le sublime, le métamorphose. « Il est celui qui réagit, transforme par soustraction, par épuration. Et ce qu’il enlève, il le remplace par de la lumière et de l’espace, qui sont les vrais sujets de sa peinture », explique Baise Ducos, le commissaire de l’exposition.
La psychologie des sujets

(Johannes Vermeer, "Jeune fille au collier de perles")
La « Jeune file au collier de perles » par exemple, avec sa somptueuse veste jaune (Vermeer est un grand coloriste) qui regarde ses bijoux dans un miroir est nimbée par cette lumière venue toujours de la gauche, par la fenêtre. Vermeer a l’audace de la peindre devant un mur blanc comme un monochrome. On voit l’éclat discret de la lumière sur le collier, la boucle d’oreilles, le pot de céramique. Le visage semble dilué par la lumière et ramené à l’essentiel d’une jeune fille qui rêve et médite, mélancolique, pure, sensuelle, mystérieuse.
Vermeer pratique un art de l’épure alors que les autres sont empêtrés dans les détails. Sa Laitière si puissante et sensuelle, symbole de la Hollande, est en même temps imprégnée par la lumière divine qui entre par le carreau cassé de la fenêtre.
La grande force de Vermeer est d’exprimer ainsi la psychologie de ses sujets, supprimant les détails qui feraient écran. La jeune femme en veste jaune bordée d’hermine, s’interrompt dans sa lettre pour nous fixer dans les yeux. On sent la rage de celle qui griffonne sa lettre d’amour tandis que sa servante surveille les environs et qu’un brouillon a été jeté nerveusement au sol.
Vermeer y ajouter de discrets symboles philosophiques comme le parallèle entrer la pesée de l’or et la pesée de l’âme dans le Jugement dernier évoqué par un tableau au mur.
Avec cette exposition, on comprend encore mieux pourquoi Proust a choisi de faire mourir l’écrivain Bergotte après qu’il ait vu un Vermeer (« Vue de Delft ») : on peut mourir de beauté.
Les 12 Vermeer à Paris
La Laitière, 1658-1659, Rijksmuseum Amsterdam
La Joueuse de luth 1662-1664, Metropolitan museum
Jeune fille au collier de perles 1663-1664 Statliche Museen Berlin
Femme à la balance, 1664, National Gallery Washington
La lettre interrompue, 1665-1667, National Gallery Washington
L’astronome, 1668, Louvre.
Le Géographe, 1669, Francfort.
La Dentellière, 1669-1670, Louvre.
La Lettre, 1670, National Gallery of Ireland.
Allégorie de la Foi catholique, 1670-1672, Metropolitan museum.
Jeune fille au virginal, 1671-1674, Leiden Collection.
Jeune file assise au virginal, National Gallery Londres.

(Johannes Vermeer, "La Laitière")
Valentin de Boulogne
A côté de l’exposition Vermeer qui attirera la toute grande foule (quand on présenta « La jeune fille à la perle » à Tokyo, il y eut 10000 visiteurs par jour !), le Louvre a sciemment placé l’exposition Valentin de Boulogne (1591-1632), un nom bien moins connu, pour qu’une partie des visiteurs de Vermeer redécouvrent ce grand peintre qui réinventa Caravage.
Il passa l’essentiel de sa courte vie à Rome, reçut des commandes du pape Urbain VIII et du cardinal Barberini et certains de ses tableaux se retrouvèrent chez Mazarin et Louis XIV. Valentin arriva à Rome peu après l’exil du Caravage (1571-1610). Il s’empara des découvertes du grand artiste italien tout en passant ses nuits dans les tavernes de Rome avec une bande d’artistes venus des pays du Nord.
Cela donna de grands tableaux avec cette vie nocturne, de boissons, jeux de cartes, tricheries et cartomanciennes. Il joue de la lumière, des cadrages serrés, des figures sculpturales en clair-obscur. Mais peu à peu, l’art de Valentin va se modifier et c’est ce qui fera sa spécificité.
Il choisit d’être moins lyrique, plus retenu. Même dans les scènes dramatiques (Judith et Holopherne, le Couronnement d’épines), il ajoute de la mélancolie, une douceur très surprenante. Ses figures deviennent étonnement jeunes (Saint Jean endormi à la Dernière Cène, Judith). Valentin annonçait Nicolas Poussin. Un art naturaliste, basé sur les figures réelles qu’il rencontrait dans les rues de Rome, mais en même temps un art subtil et spirituel, dans de très belles compositions et somptueux coloris.
Quoi : Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, ainsi que Valentin de Boulogne,
Où : Louvre, Paris, www.louvre.fr
Quand : Jusqu’au 22 mai, fermé le mardi