La Maison particulière va fermer: Bilan d’une formidable aventure
- Publié le 25-02-2017 à 11h26
- Mis à jour le 15-03-2017 à 13h34
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Pendant six ans, la Maison particulière à Bruxelles a permis de découvrir 17 expositions et des centaines d’oeuvres contemporaines appartenant à des collections privées.
Myriam et Amaury de Solages fermeront bientôt le lieu, mais resteront à Bruxelles. Ils vont maintenant aider un artisanat bruxellois de qualité : l’atelier de haute couture lingerie de Carine Gilson !
La dix-septième et dernière exposition à la Maison particulière, 49 rue du Châtelain à Ixelles, très différente des précédentes, est encore visible jusqu’au 30 avril. Après, ce lieu privé, hors du commun, ouvert il y a six ans par les collectionneurs et mécènes Myriam et Amaury de Solages, fermera, clôturant une expérience passionnante commencée en avril 2011 avec l’exposition « Origine(s) » et déjà Victor Ginsburgh comme écrivain invité.
Le public amoureux de l’art a vite appris à découvrir cette belle maison de maître à côté de la place du Châtelain, aménagée avec ses livres, ses fleurs, ses meubles design pour montrer l’art contemporain d’autres collectionneurs, dans un lieu à échelle humaine qui a « l’acuité de l’émotion et la puissance du songe ». Tout est destiné au plaisir de la découverte dans un lieu qui garde l’intimité d’une belle maison avec la bibliothèque, la vue sur le jardin, les anciennes pièces d’habitation.
Nous avons fait le bilan de ce projet avec Myriam et Amaury de Solages.
Plein de choses différentes
Amaury de Solages issu de la famille David-Weill qui a une longue tradition de banquier d’affaires et de philanthropie, explique le plaisir qu’il a toujours eu de « faire plein de choses différentes ». « Il faut faire un maximum d’expériences et ma vie fut faite de cycles de 5 ans. J’ai débuté comme photographe de théâtre et ai créé une agence photographique sur ce thème, la seconde de France. Puis, j’ai ouvert un salon de thé avant de bifurquer vers la banque d’affaires et la finance. J’ai créé ma propre structure financière en 1999 que j’ai revendue en 2007 ». Juste avant la grande crise financière. Il a eu du flair.
En 2008, toute la famille (quatre enfants) s’installe à Bruxelles. « Nous sommes venus avec toute notre collection d’art. Nous achetons quasi toujours à deux. Nos choix sont des coups de cœur, souvent de jeunes artistes qu’on aide ensuite, il y a beaucoup de peinture. Des oeuvres qui nous ont intrigués, ou qui posent des interrogations ou encore qui procurent simplement du plaisir ». Ils regrettent que dans le marché de l’art, on n’offre trop souvent que ce que le marché attend, sans donner assez leur chance à de jeunes artistes.
En 2011, ils disaient déjà : “Chaque achat est une sorte de rencontre amoureuse ! Le déclencheur n’est jamais un mécanisme cérébral, même si, inévitablement, il intervient; non, c’est l’émotion. La pure émotion. Il faut que l’œuvre nous parle, qu’elle soit une véritable rencontre personnelle.”
Maison de maître
Dès 2009, les de Solages réfléchissent à un projet à Bruxelles, et tombent sur cette maison de maître à Ixelles. « Nous savions ce que nous voulions : Désacraliser le white cube, montrer l’art contemporain comme on peut le vivre au quotidien dans la maison d’un collectionneur. Nous avions aimé découvrir les collections des autres, chez eux. On voulait offrir ce plaisir au public. Nous avons alors parlé avec des amis collectionneurs qui nous ont appuyés ».
« Dès le départ, souligne Amaury de Solages, j’avais dit qu’on mènerait ce projet durant cinq ans. Je voulais ensuite arrêter avant de m’ennuyer à trop le prolonger. Quand on pense qu’on n’a plus rien à apporter de neuf, qu’on va se répéter, il vaut mieux arrêter ».
« On a cherché ces derniers mois à rendre le projet pérenne, ou à inventer une autre formule, mais on n’a pas trouvé. On a cherché aussi une Fondation pour reprendre la maison mais sans réussir, elle sera en vente après cette exposition. »
En 6 ans, de 2011 à 2017, il y a eu 17 expositions, toutes sur un modèle semblable : 4 collectionneurs privés sont invités à venir exposer les oeuvres de leur choix de leur collection, chacun dans une partie de la maison, sur base d’un thème choisi par les de Solages. Les thèmes furent par exemple: Etats d’âme, Obsession, Tabous, Rouge, Légèreté. Eux-mêmes ont participé comme collectionneurs à quasi toutes les expos. Chaque fois, il y a un artiste invité, central : Wim Delvoye, Kendel Geers, Thomas Lerooy, Gérard Garouste, Pierre et Gilles, Gauthier Hubert, … Le premier fut le Néerlandais Pieter Laurens Mol. Plusieurs collectionneurs sont souvent venus comme Estelle et Hervé Francès et leur fondation de Senlis et Chris et Lieven Declerck (« La force et l’enthousiasme des collectionneurs flamands sont magnifiques »).
Pompidou ? « Je ne comprends pas »
Le projet fut dès le début, mené avec une grande exigence muséale. « C’était indispensable sinon les collectionneurs ne nous auraient jamais prêté leurs oeuvres ». La singularité de la Maison particulière a bien été de permettre à des privés d’exposer une partie de leurs oeuvres en mettant en lumière leurs choix, leur oeil. « Notre plus grand bonheur a été les rencontres préparatoires à chaque expo quand d’autres collectionneurs venaient avec une pochette qu’ils ouvraient montrant les oeuvres qu’ils se proposaient d’exposer sur le thème choisi. Ils nous expliquaient leur choix, leur vécu avec ces oeuvres. Ces rencontres ont changé notre regard sur l’art.»
Amaury de Solages avait bien une idée pour que ce projet continue mais elle reste un rêve : « Il faudrait une initiative menée par l’Etat pour la rendre pérenne. Trouver 30 à 50 collectionneurs qui s’associeraient dans une structure. Ce serait une économie pour eux, car ils y trouveraient des espaces de stockage, des ateliers de restauration, des possibilités de montrer leurs oeuvres, ce qui est une garantie aussi de leur bonne conservation. Si chacun a par exemple 200 œuvres, cela peut faire au total, une collection de 6000 à 10000 oeuvres possibles et devenir le départ d’un musée d’art contemporain à Bruxelles. Ce serait beaucoup moins cher que le projet Citroën. En dehors de l’achat et de la rénovation du bâtiment, on pourrait faire ce musée au départ des collections pour 1 à 2 millions par an alors que le Citroën va peut-être coûter 10 millions par an. J’adore le Centre Pompidou mais je ne comprends pas comment on est allé les chercher alors qu’il y a tant d’artistes et de collectionneurs ici. On a tout déjà à Bruxelles ! Mais je le répète, ce type de projet nécessite une impulsion politique et on sait qu’à Bruxelles tout est compliqué. »
Rappelons que l’ouverture de la Maison particulière avait quasi coïncidé avec la fermeture du musée d’Art moderne, toujours fermé aujourd’hui sans date de réouverture. « Un musée coûte certes, mais il génère une grande activité autour, rentable pour une ville. Bruxelles a tant de joyaux qu’elle n’utilise pas assez. »
Bien sûr la Maison particulière a représenté un coût important pour les de Solages, « mais il nous paraissait important de donner quelque chose à la communauté qui nous accueillait. »
Que va faire maintenant le couple ?
« Depuis 25 ans, l’art est notre passion et le restera. Nous continuerons à acheter, mais l’organisation de la Maison nous a fait perdre un peu de l’insouciance qu’on avait auparavant à l’égard de l’art. Nous voulons que cela puisse redevenir notre jardin secret. »
Leur nouvel investissement à Bruxelles va surprendre. « Nous allons aider le développement de Carine Gilson qui développe un art extraordinaire de haute couture lingerie depuis 25 ans, avec les plus belles soies de Lyon et dentelles de Chantilly. Basée à Bruxelles, cet atelier « haute couture », emploie vingt personnes à la production. C’est un grand métier d’art. Il faut trois ans pour former une couturière chez Carine Gilson. On veut aider une marque comme on a aidé des jeunes artistes. C’est aussi un signe de notre volonté bien sûr de rester à Bruxelles. »
Myriam et Amaury de Solages terminent cette rencontre en soulignant encore l’importance de l’art contemporain, aujourd’hui, dans le monde actuel : « L’art doit défendre sa liberté, garder sa capacité à interpeller, à créer des choses que les populismes n’aiment pas. L’art doit être dans la transgression et la liberté de l’homme. On peut d’ailleurs parfois combiner transgression et formes de joie comme le montrent Pierre et Gilles. C’est encore plus important dans le climat actuel. L’art peut aussi redonner espoir. Et c’est à Bruxelles que cela peut se passer, ville où Voltaire a publié ses livres, avec ici, une population qui aime la liberté, la dérision, le non conventionnel, le non prétentieux. »
La dernière exposition
On encore jusqu’au 30 avril visiter leur ultime expo. Elle est volontairement réduite à 30 œuvres et 19 artistes et le choix des oeuvres a été fait par Myriam et Amaury de Solages avec les artistes. Le thème est la Divine Comédie de Dante et l’expo est un parcours qui va de l’enfer, au rez-de-chaussée, au purgatoire, au premier étage, et au paradis, au second. Chaque artiste y donne aussi sa définition de l’éternité.
Un artiste est le fil rouge, l’Italien Angelo Musco qui compose de très grandes photographies faites de milliers de corps assemblées de manière virtuose pour dire tantôt l’enfer, tantôt la tour de Babel, tantôt l’infini.
Beaucoup d’œuvres sont d’une rare beauté. Comme dans le bureau, la grande tête anamorphosée en marbre de Jaume Plensa qu’on croirait surgie de terre dans sa blancheur. Ou, sur tout un mur, le magnifique tableau de Claudio Parmiggiani formé de constellations de traces de papillons émergeant d’un gris de fumée.
Quoi : Exposition « From here to eternity »
Où : A la Maison particulière, rue du Châtelain, 49, 1050 Bruxelles,
Quand : Jusqu'au 30 avril du mardi au dimanche de 11h à 18h.