Rodin, éternel et résolument contemporain
Publié le 18-03-2017 à 10h04 - Mis à jour le 20-03-2017 à 17h01
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La grande exposition à Paris pour les 100 ans de la mort de Rodin, montre toute son importance dans l’art du XXe siècle. Elle insiste sur ses plâtres bouleversants et inventifs. L’exposition est aussi une histoire de la sculpture moderne avec tous les chefs d’œuvre qui ont suivi Rodin.
Rodin est mort il y a 100 ans, le 17 novembre 1917 à Meudon où il habitait. Il avait 77 ans. Sa gloire fut progressive. Il ne s’affirma qu’à 40 ans, fit sensation vers 50 ans avec « La Porte de l’enfer » mais ne fut vraiment mondialement célèbre qu’à 60 ans avec son exposition au Pavillon de l’Alma, à l’expo universelle de Paris en 1900.
La magistrale rétrospective à Paris au Grand Palais, conçue pour cet anniversaire, ajoute un étage de plus à l’ascension de Rodin. Elle montre à quel point le sculpteur fut révolutionnaire, ouvrant toutes les portes qui mèneront à la sculpture du XXe siècle.
L’exposition est celle d’une « onde de choc » qui a parcouru tout l’art depuis Rodin et qui est exposée au Grand Palais par nombre de chefs-d’œuvre, de Picasso et Matisse, à Gormley et Baselitz.
Pour comprendre cette force de Rodin qui ne se démode pas, on montre désormais moins les bronzes et les marbres (taillés par des tailleurs de pierre spécialisés). Depuis la fin des années 1980, l’intérêt se porte d’abord sur ses plâtres, la matière que Rodin aimait plus que tout. On y voit ses essais, la trace de ses doigts. Leur côté « non finito » touche bien davantage nos sensibilités contemporaines.
Le Rodin expressionniste
L’exposition qui compte 200 œuvres de Rodin, sculptures et dessins (à côté de dizaines d’oeuvres de sculpteurs modernes) insiste sur deux moments clés de son parcours.
D’abord le Rodin expressionniste, celui qui parvient à exprimer dans les corps les passions humaines, la sensualité comme le drame. Il disait : « Le corps est un moulage où s'impriment les passions ». Et Rodin fut un grand passionné, par l’art comme par les femmes.
Il n’était pas un conceptuel, un homme d’idées. Ce qui lui importait était de travailler la matière, d’y faire surgir la force des émotions. C’est dans son projet de la Porte de l’enfer qu’il le montre le mieux.
L’expo la présente à côté une ébauche des « Passions humaines du Belge Jeff Lambeaux, preuve que le thème était dans l’air du temps mais Rodin va le plus loin, d’abord dans l’expression des corps puis dans une volonté neuve d’épure, d’aller à l’essentiel.
Rodin ne cherchait pas le beau mais le vrai. Il sculptait aussi bien la beauté de Camille Claudel que les vieilles femmes. Il disait : « Dans l'art, est beau uniquement ce qui a du caractère, et ce qui a du caractère c'est la vérité intense d'un spectacle naturel quelconque, beau ou laid. »
C’est dans cette veine qu’on voit ses « Femmes damnées », ses corps enlacés, son grand Baiser, ses Bourgeois de Calais. L’expo montre comment cet art influença Bourdelle, Zadkine, Minne, Lehmbruck.
Le grand expérimentateur
Le second moment clé est celui de Rodin inlassable expérimentateur. C’est alors qu’il casse tous les codes de la sculpture classique et la réinvente : le corps morcelé par exemple quand il déclare « complète » des figures pourtant privées de tête ou de bras comme Iris ou la Méditation. Il isole volontairement des parties de corps qu’il prend comme sculptures : un pied, un torse, un bras, ou alors, il les agrandit ou mélange les échelles. Souvent, il réassemble des parties de sculptures anciennes, crée des « séries », mélange des figures tirées de la Porte de l’enfer avec des vases antiques, réalisant des « collages » comme en fera Picasso.
A nouveau, il ne part pas d’une idée mais bien de ses mains, de ses doigts, d’une pensée vagabonde qui ne cesse de rechercher comment renouveler l’expérience créatrice.
Il expérimente avec le socle, il ramène à l’essentiel quitte à être incompris comme dans son magnifique Balzac. Abandonnant le souci d’être réaliste et complet, il atteint une émotion nouvelle. La force de L’homme qui marche est de n’avoir ni bras, ni tête et d’être totalement dans le mouvement.
Dans une dernière grande salle, on retrouve les grands chefs d’œuvre da la sculpture du XXe siècle. Et on voit combien Giacometti, Picasso, Baselitz, Gormley, Lüpertz, etc. sont bien dans l’onde de la révolution Rodin. Il est extraordinaire de voir côte à côte, la robe couverte de plâtre de son Balzac et le « costume » de Joseph Beuys. La modernité de Rodin éclate.
L’expo insiste aussi sur son usage révolutionnaire de la photographie et sur ses magnifiques dessins, des aquarelles d’une totale liberté de fond (la sensualité des femmes nues) que de forme. Il disait : « Je sais pourquoi mes dessins ont cette intensité. Entre la nature et le papier, j'ai supprimé le talent. Je ne raisonne pas. Je ne contrôle pas ».
Le grand catalogue édité à cette occasion le dit bien : « La masse sculpturale apparaît chez Rodin comme animée d’une énergie vitale propre : l’épiderme est le lieu où affleure avec plus ou moins d’impétuosité l’effervescence intérieure. Les émotions cherchent à s’exprimer et leur houle vient mourir à la surface des œuvres. »
Quoi : Rodin, l’exposition du centenaire.
Où : Au Grand Palais à Paris.
Quand : Jusqu’au 31 juillet, fermé le mardi.
Comment : Infos : www.rodin100.org; Et à Paris avec Thalys, en 1h20 ; 25 trajets par jour.
Anselm Kiefer fasciné par Rodin
Pour le centième anniversaire de la mort du sculpteur, le musée Rodin à Paris, a proposé une exposition à Anselm Kiefer. Un choix a priori audacieux et pourtant le résultat est convaincant et magnifique. Il ne faut pas manquer de passer par le musée Rodin si on visite la rétrospective du Grand Palais.
Le musée a d’abord demandé à Kiefer de réfléchir au départ du livre que préparait Rodin sur les « Cathédrales de France ». Cela donne d’immenses tableaux où Kiefer exprime la force des cathédrales dans une atmosphère de feu, de flammes et d’aubes naissantes, avec du plomb fondu, du verre de l’acrylique, de la laque. On voit bien comment l’expressionnisme de Kiefer rejoint celui de Rodin.
L’artiste allemand (résidant à Paris) montre aussi ses grands livres d’artistes où il s’inspire de dessins de Rodin pour dessiner à son tour, à l’aquarelle, des femmes nues sur des fonds marbrés (carton et colle), avec ainsi, cette femme nue remplaçant la rosace d’une cathédrale. La sexualité est un autre mysticisme, la dévotion sacrée rejoint la jouissance profane.
Au-delà de ce travail, Kiefer fut totalement subjugué par sa visite de la maison-atelier de Rodin à Meudon découvrant dans les caves les moules entassés de ses sculptures et des abattis par centaines: fragments en plâtre de mains, bras, doigts, pieds, etc.
Kiefer y a vu un lien direct avec sa propre manière de fragmenter, réassembler, réutiliser des matières anciennes. Au musée, il expose ces moules sur des étagères et des oeuvres à lui, en vitrines, où il mêle ces abattis à ses propres objets (graines de tournesol, vêtements, plâtre, etc.). Comme dans « Sursum corda » où la filiation est explicite avec un arbre et un cordon d’ADN sortant de terre et, sous la terre, des abattis de Rodin, « le père nourricier ».
Kiefer a aussi mis en scène les dessins de Rodin et, entouré à nouveau d’abattis, un chef d’oeuvre méconnu de Rodin, sorti pour la première fois des réserves du musée Rodin : « Absolution » où une femme embrasse délicatement le front d’un homme, les deux couverts d’un grand drap plâtré. Une œuvre mystérieuse et aussi bouleversante dans l’expression de la compassion que le Fils prodigue de Rembrandt.
Kiefer-Rodin, Musée Rodin à Paris, jusqu’au 22 octobre
Un musée Camille Claudel
On en parlait depuis des années. Le musée Camille Claudel va enfin voir le jour dans sa ville natale, à Nogent-sur-Seine à une bonne heure à l’est de Paris. Il est installé dans la maison familiale, mais agrandie par une aile contemporaine. La notoriété de Camille Claudel, sculptrice magnifique, qui fut la muse et l’amante de Rodin, dépasse presque celui de son maître à cause des drames qu’elle a vécus. Une quarantaine de ses oeuvres y sont montrées, entourées des sculptures de ses contemporains de Nogent-sur-Seine comme de France, qui l’ont formée et inspirée. Le parcours se termine par une tête de Gorgone coupée, un autoportrait terrible de Camille Claudel, aussi effroyable que son destin qui l’amènera en hôpital psychiatrique à 48 ans à peine. Le musée s’ouvre le 26 mars (rens. : museecamilleclaudel.fr) . Nous y reviendrons.