Vertus et vices mis à l'épreuve par les artistes
Publié le 20-03-2017 à 19h52 - Mis à jour le 20-03-2017 à 20h00
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A Namur, le bien chaste et le mal licencieux se combattent dans trois expositions. Entre la morale médiévale et les sculptures érotisées de Salakhova, Rops et Ensor s'encanaillent.
Trois lieux, le musée Félicien Rops, le TreM.a (musée des Arts anciens du Namurois) et l’église Saint-Loup sous l’égide de la Maison de la culture, chacun selon leur spécificité, ont décidé d’aborder conjointement, à travers l’art, la question épineuse des vices et des vertus.
Soulever le voile sur ces domaines revient à ouvrir la boîte de Pandore car ces notions, adjointes à celles du bien et du mal, sont liées à la morale. Et l’on sait que celle-ci est variable selon les latitudes, les civilisations et selon une multitude de paramètres dans lesquels interviennent la philosophie, surtout depuis la Grèce antique, la religion et même la politique puisqu’elle légifère en la matière, permet ou interdit.
Idéalement la visite de ces trois expositions devrait débuter par celle du TreM.a car elle établit d’emblée une chronologie et situe la thématique sous nos cieux. L’évolution à constater se révèle importante car d’un puissant ancrage religieux datant du Moyen Age, on passe au XIXe siècle libertaire avec les savoureux Rops et Ensor, pour aboutir à l’art actuel par la participation d’une artiste russe, Aidan Salakhova, censurée à Venise, qui traite du voile dans la sculpture.
L’empreinte religieuse
Selon les conceptions des uns et des autres, la liste des vices est variable et exponentielle. Même dans la religion chrétienne, elle ne se limite pas aux sept "péchés capitaux" qui sont souvent la référence à laquelle sont opposées les vertus théologiques dites cardinales.
Une très grande partie de l’iconographie religieuse, dès le Moyen Age, sur base du combat permanent entre le mal et le bien, celui-ci devant triompher, met en scène cette opposition dans des visions parfois terrifiantes. Dont celles de l’enfer !
Des enluminures datant du XIe siècle illustrant les propos de Grégoire Le Grand (VIe siècle) sur l’immoralité du clergé à la vision paradisiaque de Jacob Savary Le Jeune (XVIIe siècle) dans laquelle Eve tend la pomme à Adam, des nombreuses tentations en peintures et en gravures, de Marie Madeleine à celles multiples de Saint-Antoine, des danses macabres à la "Coupe des vertus" (ivoire sculpté, XVIIe siècle) dans laquelle sont couchés, nus, une femme et un homme en érection, des allégories à la numismatique traitant de la luxure, de faïences illustrées à l’évocation du voyage de Dante aux enfers, les écrits, les objets cultuels ou pas (montre ciselée, manches de couverts sculptés…), les sculptures et les peintures, vantent les vertus théologiques et fustigent les vices forcément païens.
Les sulfureux Rops et Ensor
On saute le XVIIIe siècle, celui des Lumières, de la Raison qui s’oppose à l’Eglise et de la connaissance, pour fréquenter en son musée "l’infâme Fély", Félicien Rops (1833-1898), joyeux pourfendeur des vertus, et le jeune Ostendais James Ensor (1860-1949), auteur notamment d’une série de gravures sur "Les Péchés capitaux" dont il est donné à voir un magnifique ensemble colorié à la main.
Malgré la différence d’âge, les deux artistes se lieront d’amitié et connaîtront moult connivences à travers les œuvres satiriques à l’égard de la bien-pensance de l’époque et des hypocrisies comme des conventions sociales d’une certaine bourgeoisie ainsi vertement raillée.
Tous les deux toisent la mort avec une certaine délectation, ont recours au masque qui garantit l’anonymat, et ne manquent jamais d’illustrer savoureusement l’un des vices les plus ciblés par leurs détracteurs, la luxure. Plaisirs et sexualité sont leurs rendez-vous préférés. Et la femme y est évidemment célébrée avec admiration jusque dans les bordels qu’ils fréquentaient, alors qu’elle est l’objet de toutes les réprobations car considérée comme la tentatrice.
On peut penser, preuve aussi que le sujet n’est jamais clos, qu’ils auraient tous deux adhéré à la définition malicieuse du dadaïste Francis Picabia "Les hommes appellent vices les plaisirs qui leur échappent et vertus les infirmités qui leur restent", Rops lui-même inscrivant au pied d’une héliogravure de l’expo glorifiant la femme : "Les choses de nature ne sont pas sales" et ajoutant par ailleurs : "vertueux ne puis".

En pratique:
Quoi : Exposition "Vices et vertus". www.viceservertus.be
Où : A Namur. Lieux : TREM.A, musée provincial des Arts anciens/Trésor d’Oignies, 24 rue de Fer. Eglise Saint-Loup, rue du Collège. Musée Félicien Rops, 12 rue Fumal.
Quand : Jusqu’au 21 mai 2017. Du mardi au dimanche de 10h à 18h (église Saint-Loup, le dimanche de 13 à 18h).
Publication : "Des vices et vertus en art", 160 pp., ill. coul.
Aidan Salakhova interprète le charnel et le sacré
Le troisième volet de ce triptyque d’expositions namuroises est consacré à l’installation dans l’église Saint-Loup d’un ensemble de sculptures en marbre blanc de l’artiste russe dont les parents sont originaires d’Azerbaïdjan et d’Ouzbékistan.
Dans une sagacité recherchée, avec énormément de finesse et de doigté, Aidan Salakhova (1964, vit à Moscou) met en scène le corps, surtout féminin, et le voile, en y joignant des connotations sexuelles à lire dans le contexte du site, la magnifique église baroque (XVIIe siècle) connue à travers la visite de Charles Baudelaire et Félicien Rops !
Représentant officiellement l’Azerbaïdjan à la Biennale de Venise en 2011, l’artiste, dont les sculptures sont réalisées à Carrare, fut victime de la censure car certaines sculptures se rapportant à la femme orientale furent estimées inconvenantes !
L’entremêlement des symboliques
Dans la nef centrale de l’église, entre une haie de six sculptures de livres en marbre aux références artistiques (carré noir) et religieuses vu le lieu, trois sculptures sont alignées, conduisant au chœur de l’édifice.
Dans cet agencement un peu solennel, les symboliques s’additionnent dans une suite d’évocations entremêlant les inscriptions artistiques, la statuaire religieuse, les suggestions et réalités corporelles, la chair et le sacré, les formes féminines voire sexuelles et les innombrables références au voile qui couvre, cache, protège du regard et en même temps évoque des silhouettes pudiques mais néanmoins évocatrices de l’intime.
Dans le chœur même, étendu au sol, les bras en croix, un homme jeune, nu, physiquement beau, partiellement couvert d’un tissu plissé et sensuel, semble dormir comme "Le dormeur du val" de Rimbaud, mais dans cette position il fait face au Christ crucifié, un peu comme son ombre.
A travers l’ensemble de ces œuvres, la sculptrice induit une multitude de questions en introduisant de l’ambiguïté à propos des relations charnelles considérées au sein des religions. Autant d’échos à une actualité très sensible sur le voile.