Les mystères des 3 frères le Nain
Le Louvre à Lens fait redécouvrir l’art majeur des Le Nain, avec leurs scènes paysannes et leurs déesses si belles.
Publié le 24-03-2017 à 07h36 - Mis à jour le 24-03-2017 à 07h37
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C’est un cas unique dans l’histoire de l’art. Trois frères, Antoine, Louis et Mathieu Le Nain, ont fait ensemble un millier de tableaux signant parfois de leur nom « Le Nain » et sans jamais vouloir préciser lequel des trois les avait peints. Depuis la redécouverte en 1850 de ces peintres majeurs de la peinture française du XVIIe siècle avec Georges de la Tour et Nicolas Poussin, les spécialistes s’écharpent sur les attributions. Cette exposition au Louvre à Lens se risque à son tour à séparer l’oeuvre de chacun des frères.
Il y a bien d’autres mystères Le Nain qui donnent un piment supplémentaire à cette grande exposition passée d’abord par les Etats-Unis.
La dernière expo consacrée aux Le Nain, il y a 40 ans, attira 300 000 visiteurs au Grand Palais. Cette fois, on peut admirer les trois quarts de leur œuvre conservée, soit 55 tableaux (confrontés à des tableaux proches d’eux).
La qualité est parfois inégale mais il y a parmi ceux-ci de purs chefs d’œuvre. Il faut admirer la sensualité qui se dégage des tableaux mythologiques : « L’allégorie de la victoire » (1635), avec une jeune femme belle et pulpeuse « à la si tranquille impudeur» ont dit les critiques, qui se tient nue sur le corps de la Tromperie dont les pieds sont une queue de serpent, et Vénus avec Cupidon (les Le Nain sont des grands peintres d’enfants) entrant dans la forge de Vulcain ou encore le corps magnifique d’Ariane nue et endormie découverte par Bacchus.
Chef d’œuvre aussi que « La Tabagie », portrait collectif au clair-obscur saisissant et très réussi.
Choc des scènes paysannes
L’histoire de l’art a surtout retenu leurs scènes paysannes réalisées toutes autour de 1640.
A cette époque, les frères étaient installés à St Germain, à l’extérieur de Paris, dans une colonie de peintres souvent venus d’Anvers ou des Pays-Bas. De nombreux marchands venus du Nord venaient vendre des tableaux flamands et hollandais à la nouvelle riche bourgeoisie de Paris. Dans cette atmosphère très concurrentielle, les Le Nain trouvèrent un créneau neuf et très porteur : la noble « gueuserie ».
La « gueuserie » peignait de manière moqueuse les moeurs paysannes et était à la mode avec les tableaux flamands de Teniers et Brouwer. Les Le Nain, eux, expurgent de leurs scènes paysannes les gestes outranciers et vulgaires qui donnaient le comique et l’exotique des tableaux flamands. La composition devient presque austère, les personnages nous fixent dans les yeux et expriment une superbe mélancolie, ils ont l’air doux et bon avec une grande épaisseur humaine mais aussi, quasi métaphysique. La misère devient noble, inspirant amour et charité comme le voulait l’époque inspirée par Saint Vincent de Paul.

Un curieux bichon
Ces tableaux fort prisés à l’époque sont-ils des allégories de la Dernière Cène puisqu’on y voit le pain et le vin ? Le commissaire de l’expo et conservateur au Louvre, Nicolas Milovanovic ne le croit pas mais il note les incongruités dans ces scènes de genre : les paysans ne devraient pas avoir des verres en cristal, on aperçoit un riche lit à baldaquin et un bichon chien prisé des nobles. Ce serait donc des mises en scène dans l’atelier des Le Nain, ce qui n’enlève rien à leur beauté stupéfiante.
La vie des Le Nain pose aussi problème. Ils sont nés entre 1603 et 1610, à Laon, petite ville sans tradition picturale. Le père n’est qu’un humble sergent royal d’origine protestante. Ils furent sans doute formés par un peintre hollandais, leurs tableaux se rapprochant plus d’un Frans Hals que du Caravage. Ils s’établirent comme peintres à Paris, premiers grands peintres français à un moment où la peinture était italienne ou flamande. Ils réalisèrent plus de mille tableaux (aussi d’église et des portraits) pour la plupart détruits par le temps et la Révolution. Louis et Antoine moururent dans une épidémie en 1648. Mathieu survécut encore 30 ans. Aucun n’eut d’enfants.

Le mystère Le Nain, au Louvre Lens, jusqu’au 26 juin, fermé le mardi. Infos : www.louvrelens.fr