Etre bleu de Klein, le révolutionnaire
Publié le 28-03-2017 à 10h13 - Mis à jour le 28-03-2017 à 11h06
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Bozar retrace le parcours bref mais fulgurant d’Yves Klein, qui introduisit le monochrome, l’art conceptuel et la performance.
Poursuivant ses expositions sur de grands révolutionnaires de l’art du XXe siècle, Bozar à Bruxelles, propose une exposition Yves Klein (1928-1962). Pas très grande mais complète et très belle, elle permet de rappeler à quel point il fut un précurseur de tout l’art contemporain. L’exposition vient de la Tate Liverpool, enrichie de prêts de collectionneurs belges comme le photographe Marc Lagrange et le néo-milliardaire Marc Coucke.
Yves Klein innova, en sept ans seulement, de 1955 à 1962, quand il mourut à 34 ans à peine d’une crise cardiaque. Son enfant allait naître deux mois plus tard. La projection à Cannes du film « Mondo Cane » où on se moquait de ses performances aurait joué un rôle dans sa mort.
Yves Klein inventa sur trois points qui seront fondamentaux pour l’art contemporain : le monochrome, l’art conceptuel et la performance. Klein avait une vue quasi mystique de l’art : l’artiste n’est plus à proprement parlé l’auteur d’une œuvre puisque pour Klein, la beauté existe déjà, à l’état invisible. Sa tâche consiste à la saisir partout où elle est, dans l’air, dans la matière ou à la surface du corps de ses modèles pour la faire voir aux autres hommes.

L’expo à Bozar compte une trentaine d’œuvres, et de nombreuses photographies et films pour évoquer un art souvent volontairement éphémère.
L’art pour lui doit passer du matériel à l’immatériel et « mes tableaux ne sont que les cendres de mon art », disait-il.
Le bleu IKB
Ses parents étaient peintres, sa mère faisait partie de la grande école de peinture abstraite de Paris. Le Japon lui permet une ouverture spirituelle, paradoxalement grâce au judo dont il devient un champion (4e dan). « Le judo m’aide à comprendre que l’espace pictural est avant tout le produit d’exercices spirituel. Le judo en effet c’est la découverte par le corps humain d’un espace spirituel ». Il fut aussi influencé par la mystique des Rose-Croix.
Avec le monochrome, il réagissait à l’expressionnisme abstrait. A Bozar, on voit ses premiers tableaux de 1955, peints au rouleau, de différentes couleurs, excluant à dessein toute nuance ou talent de la part de l’artiste, pour être « happé » par la couleur. Vite, il choisit le bleu qu’il fait breveter IKB (International Klein Blue), un bleu outremer « velouté » exprimant le pigment pur grâce à un médium particulier. Il utilisa aussi le rose et l’or, mais « Si toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes, matérielles ou tangibles d’une manière psychologique, le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel. Ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible », écrit-il.

Il innove aussi avec l’art conceptuel. A Milan en 1957, il expose des monochromes bleus, tous de mêmes dimensions, mais à des prix différents pour interpeler le marché de l’art. Yves Klein fut vite connu à travers toute l’Europe. Fontana et Manzoni achetèrent ses monochromes.
En 1958, à la galerie Iris Clert à Paris, il peint l’entrée dans son bleu mais laisse la galerie elle-même totalement vide, montrant la « sensibilité immatérielle ».
Dans une célèbre performance, il se fait photographier (avec un trucage) sautant dans le vide. Comprenant déjà l’importance des médias et du marketing, il veille à ce que la photo se retrouve en une de la revue « Dimanche ».
Il découvre la force sculpturale des éponges utilisées pour ses peintures et en fait des reliefs pour ses « peintures éponges » et « reliefs planétaires ». Les plus beaux couvrent les murs du foyer de l’Opéra de Gelsenkirchen, un chef d’oeuvre.
Anthropométries
Avec les anthropométries, Klein fait un retour à la figure humaine mais sans que l’artiste peigne, et par le biais de performances orchestrées et filmées. L’expo les rappelle avec des films célèbres et les empreintes des corps qu’on rapprocha du Saint Suaire de Turin ( !). Des femmes nues se couvrent de bleu et deviennent des pinceaux inscrivant l’empreinte de leur corps sur la toile.
Il va plus loin en utilisant le feu comme « élément essentiel à la civilisation, le feu est bleu, or et rose ». Il s’exerce à Gaz de France et crée à Krefeld des murs de flammes en rosaces. Dans des performances, il arrose d’eau des femmes nues qui pressent leurs corps sur les toiles et passe ensuite au lance-flammes marquant les contours au feu.
L’expo à Bozar montre comment Klein engage la pensés artistique sur des chemins neufs que suivront de nombreux artistes à sa suite. Si sa mort prématurée fut un drame, elle lui permit de ne jamais se répéter et de rester étonnamment contemporain.
Klein fut un précurseur des performances. Pour son mariage, il avait prévu des cocktails uniquement bleus.
Bozar célèbre cet aspect avec une programmation de performances à découvrir sur le site, dont la reprise (par vidéo) du formidable solo de Lisbeth Gruwez pour Jan Fabre, « Quando l’Uomo principale è une donna » (elle danse nue dans l’huile, allusion directe à Klein) et le magnifique spectacle de Miet Warlop, « Mystery Magnet », redonné le 20 août dans le hall Horta.
Yves Klein, « Theatre of The Void », Bozar, Bruxelles, jusqu’au 20 août, www.bozar.be