A quoi ressemblerait une société où tous les citoyens se sentent chez eux? (RENCONTRE)
Publié le 03-04-2017 à 08h02 - Mis à jour le 03-04-2017 à 08h24
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Initiative citoyenne, "La Belgique, c’est nous !" est un spectacle musical gratuit qui aura lieu à Bruxelles le 7 mai. L’événement entend montrer à quoi ressemblerait une société où tous les citoyens pourraient se sentir chez eux.Initié par des citoyens inquiets par l’évolution des relations humaines dans le pays, le spectacle "La Belgique, c’est nous !" devait avoir lieu le 21 juillet dernier. Mais les attentats du 22 mars et le climat sécuritaire qui a suivi ont contraint les organisateurs à revoir leur calendrier. Finalement, l’événement aura lieu le 7 mai sur la place des Palais à Bruxelles, dans le cadre de la Fête de l’Iris.
A la barre, on retrouve l’actrice et humoriste flamande Els De Schepper. Elle a rassemblé l’Orchestre national de Belgique dirigé par Dirk Brossé, un chœur d’une quarantaine de chanteurs sous la direction de Stijn Kolacny de la chorale Scala et de nombreux artistes parmi lesquels Ozark Henry, Sandra Kim, Starflam, Will Tura, Typh Barrow et Viktor Lazlo. Ensemble, ils proposeront un spectacle en chansons avec un but : unir les gens dans la diversité, créer un nouveau "Nous" fruit des différences mutuelles de chacun. Nous avons rencontré Els De Schepper et Viktor Lazlo pour en parler.
Comment est née cette idée de monter "La Belgique, c’est nous !" ?
Els De Schepper : Ça remonte à longtemps. J’ai beaucoup d’amis musulmans et il y a quinze ans, j’ai constaté qu’on ne se parlait pas, quand on ne se rencontrait pas. On ne surpasse pas la peur et les idées préconçues qu’on a de l’autre.
L’événement a-t-il une portée politique ?
Els De Schepper : Non et je ne veux pas qu’il en ait une ! Ça doit être un événement populaire, une sorte de "Night of the Proms" mais avec un autre message. Il s’agit de dire que la Belgique est le pays dans lequel nous vivons tous et qu’au-delà de nos différences culturelles, sociales, etc., on peut se donner la main, se rencontrer et vivre ensemble. Entre les chansons du spectacle, j’espère que les participants regarderont autour d’eux et diront bonjour à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Tout commence par là, c’est important.
Viktor Lazlo, c’était une évidence pour vous de participer à un tel événement ?
Viktor Lazlo : Depuis quelques années, chaque fois qu’il se passe quelque chose de terrible dans nos sociétés, ça trépigne en moi. Je me demande ce que je peux faire spontanément à mon échelle, en tant que chanteuse, qu’écrivain ? J’aimerais pouvoir prendre des initiatives comme celle d’Els De Schepper. Ce jour-là, on va faire une déclaration d’intention avec le public, une grande déclaration d’intention pour dire que nous sommes ici parce que nous sommes d’accord de vivre ensemble et que nous sommes rassemblés pour le dire.
Votre histoire personnelle est en soit une synthèse du vivre ensemble, non ?
Viktor Lazlo : Je suis en effet un mélange d’un peu tout. Par la force des choses, nous sommes déjà tous issus d’un métissage racial et culturel. Mais ce qui pose problème aujourd’hui, c’est le métissage religieux qui ne se fait pas. C’est cette barrière qu’il faut abattre et on peut y arriver. Il existe des pays où les communautés vivent ensemble. Il ne faut pas faire croire au monde que c’est impossible. Surtout dans les pays civilisés et avec toute l’étendue de l’information que nous avons à notre disposition de nos jours.
Force est de constater que nombre de ces pays ont aujourd’hui tendance à se replier sur eux-mêmes ?
Viktor Lazlo : Les pays occidentaux - et ils sont tous dans le cas - ont accueilli les populations immigrées parce qu’ils en avaient besoin. Mais le travail qui devait suivre n’a pas été fait. A un moment donné, ces populations immigrées ont été rejetées à la périphérie des villes, de la société qui les avait accueillies. Les pères sont repartis parce qu’ils ne pouvaient pas nourrir leurs enfants. On s’est retrouvé avec des modèles familiaux matriarcaux, des parents qui abdiquaient et des éducations nationales qui n’étaient pas au rendez-vous pour remplacer la cellule familiale. Ça a engendré des générations en perte totale de repères. On n’a pas vraiment appris à ces gens d’où ils venaient puisqu’il fallait s’intégrer - c’était le leitmotiv - et aujourd’hui ils n’ont pas les moyens d’être ce qu’ils voudraient être au sein de la société. Tout ça laisse une grande place de cerveau disponible pour toutes les conneries qu’on peut leur raconter…
Els De Schepper : Heureusement, il y a aujourd’hui des femmes musulmanes qui disent que c’est à elles d’être responsables de leurs enfants. Il faut arrêter d’être dans le clivage comme on peut l’être en Flandre, soit pour soit contre quelque chose, sans possibilité d’être dans la nuance. Aujourd’hui, on n’ose pas dire la vérité parce qu’on redoute que ce ne soit pas politiquement correct. On se fait tout de suite traiter de raciste si on dit ce qu’on pense. Il faut pouvoir être franc mais pas accusateur. En un mot, il faut être responsables. J’ai de jeunes Pakistanais qui lavent ma voiture. Je les vois travailler mais personne ne leur adresse la parole. Un jour, je leur ai demandé de me dire ce qu’ils pensaient de la Belgique et de ce qui s’y passe. Ils m’ont expliqué leur point de vue et c’est une tout autre vision que la nôtre. Je ne dis pas que ce qu’ils disent est la réalité mais ça permet d’avoir une autre perspective en tête. Pour voir le vrai, il faut avoir le point de vue de tout le monde.
Un événement comme "La Belgique c’est nous !" est-il concrètement susceptible de changer les choses ?
Els De Schepper : Je n’ai pas l’impression que je vais changer le monde avec ça, mais c’est une petite pierre à l’édifice et chaque signal est important. Dans mes spectacles, les petites choses que je glisse dans l’inconscient du public finissent par faire réagir avec le temps. Faire une déclaration d’intention tous ensemble provoquera cette réaction chez les gens qui en ont marre du climat pesant actuel. Il s’agit de dire qu’on est nombreux, issus de différentes cultures et qu’il est important que nous nous rencontrions. En ce compris entre Wallons et Flamands ! Lorsque je me produis en Wallonie, je constate que les gens ont honte de ne pas parler le néerlandais… Moi, je n’ai pas peur de parler français. Je l’ai appris voici six ans seulement et je fais beaucoup de fautes, mais ça ne me gêne pas. Avoir peur ne sert à rien parce que la peur est mauvaise conseillère.
Viktor Lazlo : Il faut dire que la peur appartient aux générations passées. Le courage et la témérité doivent appartenir aux générations futures sinon, on ne s’en sortira pas.