Les bidonvilles, une triste réalité de la France de 2017 (Reportage photo)
Publié le 11-04-2017 à 12h39 - Mis à jour le 11-04-2017 à 13h21
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Sur Marseille, environ 800 personnes, dont 40% d’enfants, dites ou se disant Roms, vivent par nécessité dans des lieux extrêmement dégradés. Ces lieux sont des friches industrielles, des bâtiments désertés, des terrains en attente de projets, les interstices de la ville. L’accès aux services répondant aux besoins fondamentaux (l’eau, l’assainissement, l’électricité) y est faible ou nul. Les personnes qui vivent dans de telles conditions ont fui dans leur pays l’extrême pauvreté et les discriminations. Sur Marseille, elles sont pour la plupart de nationalité roumaine et donc titulaires des droits des ressortissants de l’Union Européenne. Il y a également des Croates (UE), des Bulgares (UE), des Serbes (hors UE).
Médecins du Monde oppose le terme de bidonville à celui choisi par les pouvoirs publics de « campements illicites ». En effet, les personnes ne sont pas en transit, pas plus qu’elles n’ont un mode de vie nomade en France comme dans leur pays d’origine. Le terme d’illicite, renvoyant au caractère d’occupation sans titre d’un terrain ou d’un bâtiment, tend à occulter les droits dont disposent les personnes.
Les expulsions récurrentes des lieux de vie enferment les habitants des bidonvilles dans le cercle vicieux de la pauvreté, brisent les parcours entrepris (de soins, de scolarisation, de formation, d’emploi), ne permettent une projection qu’à très court terme et créent un sentiment d’insécurité immense.
Que sont les bidonvilles aujourd’hui à Marseille ? Qui sont ces femmes, ces hommes, ces enfants dont les pouvoirs publics souhaiteraient nier l’existence ?
Dans une campagne de sensibilisation, Médecins du Monde propose d'"ouvrir notre regard sur la réalité de ces familles en situation de grande précarité". Le tout, accompagné des photographies d'Olivier Papegnies.
1) « L’inlassable recommencement », Garage Ford, 15ème arrondissement de Marseille, juillet 2015 - août 2016

Il y a enfin des toilettes sur le bidonville de l’A55, mais seulement depuis qu’il y a un vigile 24/7 pour garder des rochers brulés. Le 20 novembre dernier, tôt le matin, le feu a été mis sur ce bidonville. Vivre sur un bidonville, c’est aussi être très vulnérable vis-à-vis des groupes mafieux et du racket.
Le tarif sur le site était de 40 euros par famille et par semaine. Lorsque les familles n’ont plus pu payer, il y a eu des menaces, puis l’incendie. S’il ne reste que des rochers brulés c’est parce que le site, plusieurs fois squaté (par les mêmes familles), avait été empierré pour éviter toute réinstallation. Mais lorsque l’on a nulpart où aller, on déplace des montagnes.Pourtant, coincé sous l’autoroute A55, sur un talus entre une voie rapide et la voie de chemin de fer, sans eau, ni electricté, ni ramassage des ordures, ce site n’a rien d’idéal. Rien, si ce n’est qu’il est près du marché aux puces et de son marché informel qui a lieu très tôt le matin et sur lequel les habitants du bidonville revendent ce qu’ils ont pu trouver dans les poubelles.
Le 20 novembre 2016, les cabanes, faites de pallettes, de contreplaqué et de plastique s’embrasent vite. Par chance il n’y a ni morts ni blessés, mais les familles ont tout perdu, tout ce peu qu’elles avaient et qui était leur chez soi, malgré les mauvaises conditions de vie. Les pouvoirs publics ont singé la compassion, et dans la journée, c’est dans les locaux de Médecins du Monde que les personnes sont venues trouver refuge. Certaines en tongs, d’autres en peignoirs, les enfants trop peu couverts, tous trempés par la pluie diluvienne.
La fondation Abbé Pierre paiera une semaine d’hôtel, le temps que… Une installation sur un autre terrain aura lieu. Vite délogées par la police, les famillles se disperseront alors dans et hors Marseille, loin de tout ce qui faisait leur quotidien : le marché aux puces, l’école, etc.
2) « Linca & Rus », Garage Ford, 15ème arrondissement de Marseille, juillet 2015 - août 2016

Linca est à Marseille depuis plusieurs années. Elle a vécu avec son mari sur de nombreux bidonvilles et a connu de nombreuses expulsions. Depuis 2013, elle a vécu sur six lieux différents. Malgré l’errance et la dureté des conditions de vie, elle garde toujours le sourire et accueille l’équipe de Médecins du Monde, chaque fois de bonne humeur.
Ce jour-ci, Linca fume une cigarette, histoire de faire passer le temps. C’est un moment qu’elle s’octroie d’ailleurs tous les jours, entre deux tâches ménagères et échanges avec les autres membres de sa famille. Elle s’occupe comme elle peut, en attendant son mari, Rus, qui s’attèle de son côté au ferraillage pour subvenir aux besoins de la famille.
Rus sollicite régulièrement Claudia, la médiatrice de Médecins du Monde, pour l’accompagner chez le dentiste afin d’être appareillé. Si au début la demande était sérieuse, elle devient de plus en plus dérisoire avec le temps. « Il m’a dit que sa femme ne l’aimait pas ainsi et qu’elle allait chercher un autre homme si je ne l’accompagnais pas » explique Claudia. « Maintenant qu’il connaît le prix de la prothèse dentaire, il en rit ».
3) « Pelleteuses et inquiétudes », Bidonville Frais Vallon, 13ème arrondissement de Marseille, Janvier 2014 – 21 avril 2016

Depuis janvier 2014 une soixantaine de personnes vivaient sous la future rocade de la L2 sur un terrain appartenant à l’Etat.
La préfecture ayant engagé contre elles une procédure d’expulsion, le tribunal de grande instance de Marseille s’est déclaré incompétent et a débouté l’Etat. La Préfecture a fait appel de cette décision. Le 21 décembre, la société privée qui réalise la L2 a assigné les mêmes familles au tribunal administratif, qui s’est également déclaré incompétent. Entre temps, les travaux ont continué à avancer.
Les bulldozers sont venus peu à peu grignoter les cabanes, certaines ont été détruites pendant que les personnes en étaient absentes, d’autres se sont retrouvées en équilibre au-dessus du fossé creusé. Petit à petit les personnes ont quitté les lieux, ne supportant plus l’angoisse du chantier, le bruit des engins qui se rapprochent. Les cabanes restantes ont été encerclées par un grillage.
Le 21 avril 2016, le site a été expulsé, alors que le même jour le juge rendait sa décision en demandant l’expulsion mais en accordant 3 mois de délai.
Les personnes ont rejoint le bidonville de La Rose un peu plus loin.
4) « L’inlassable recommencement », Garage Ford, 15ème arrondissement de Marseille, juillet 2015 - aout 2016

Depuis l'été 2015, suite à l'évacuation de la Caserne Masséna, 19 familles se sont installées dans un hangar désaffecté au 64 rue de Lyon.
A chaque expulsion, il faut tout recommencer, repartir de zéro : trouver un lieu de vie, des meubles pour rendre les abris de fortune plus accueillants. En effet, lors des expulsions ils ne perdent pas seulement leur toit, mais aussi tout ce qu’ils ont mis des mois à rassembler, restaurer et s’approprier. Tout leur environnement est écrasé par les pelleteuses.
Alors, pendant presque un an ces familles ont transformé l’immense friche Ford de la rue de Lyon, en un « chez soi », en aménageant et décorant chacun de son côté. Il y a beaucoup d’espace. C’est pourquoi le hangar est partagé entre espace de vie et espace de travail.
Mais comme à chaque fois, la valse des assignations reprend, et finalement, le juge fait droit à la demande d'expulsion du propriétaire du site, l'établissement public foncier PACA. Malgré la mobilisation des acteurs, le Préfet accordera le concours de la force publique pour une évacuation fin juillet 2016.
Aucune solution de logement ou d'hébergement ne sera proposée à ces familles au moment de l'expulsion et elles devront tout recommencer, comme à chaque fois.
5) « Un sourire éphémère », Bidonville A55, 15ème arrondissement de Marseille, Octobre 2015 – 20 novembre 2016

Armeanca sourit. C’est la première fois depuis des mois qu’elle peut voir le reflet de son visage. D’ailleurs, elle se reconnaît à peine.
« Mon mari venait de demander au photographe qui prenait les clichés s’il comptait les diffuser à la télé. Ça m’a fait rire » explique Armeanca. Ce jour-là, la jeune femme avait trouvé un miroir dans une poubelle. Un grand miroir, peu abîmé, qu’elle a gardé quelques temps, puis qu’elle a revendu pour quelques bouchées de pain.
« Cela faisait des mois que je ne m’étais pas vue dans un miroir » ajoute la jeune femme. « Sur le bidonville, j’étais très sale, alors j’évitais tant que possible cette situation ». Derrière Armeanca, des enfants jouent. Ils rient même. « Ce sont les miens » dit-elle fièrement. Jeux de pierre, jeux de petits riens : avant que le bidonville brûle en 2016, la vie, même dans la misère, suivait son cours.
« Mais il y avait des rats et trop de déchets, ce n’était pas sain pour les enfants » soulève la jeune femme, mettant en exergue les conditions sanitaires qui ponctuaient alors son quotidien.
À présent, Armeanca et sa famille vivent dans un appartement. Ils s’y sentent bien. Tout n’est pas toujours facile, car ils manquent cruellement de moyens, mais « au moins », ils se sentent « en sécurité » explique Armeanca.
Quand elle se souvient du bidonville qui est parti en fumée, Armeanca est triste. « C’est dommage parce qu’il y avait du monde là-bas. Le frère de mon mari a dû affronter le feu et aller chercher rapidement ses trois très jeunes enfants. Ils sont à Nice maintenant ».
6) « Dormir à l’horizontal », Bidonville Frais Vallon, 13ème arrondissement de Marseille, Janvier 2014 – 21 avril 2016

Sur le squat de Frais-Vallon, la vie n’était pas facile tous les jours. Pourtant, Vahida regrette ce temps. Car, malgré la misère, elle pouvait dormir sur un matelas. À présent totalement dépourvue de toit, elle passe ses nuits dans une voiture, avec son mari.
« J’étais heureuse sur le platz, bien plus heureuse qu’ici » se souvient Vahida en regardant la photo. « Je vivais avec mon mari Nusret et à ce moment précis, j’étais en train d’arranger mes affaires avant d’aller au marché aux puces. C’était mon quotidien » ajoute la jeune femme.
Certes, là-bas il n’y avait pas d’eau courante. Certes, il n’y avait pas d’électricité. Le couple parvenait à gagner tant bien que mal entre 20 et 30 euros chaque semaine, par la revente d’objets trouvés ici et là, notamment dans les poubelles de la ville. « Avec cette somme, on ne peut rien faire, pas même fumer » nuance Vahida. « Nous n’avions aucun revenu complémentaire. Mon mari était très malade. Moi aussi. Cette somme nous permettait de survivre ».
À ce moment, Nusret était en convalescence. Il revenait d’un séjour à l’hôpital Nord. D’où la présence de l’équipe de médiation de médecins du monde sur la photo. Il s’agissait, pour l’association, de faire le point sur les besoins de santé, d’orienter correctement le couple, en fonction des prescriptions de sortie et des différents papiers fournis par le Centre Hospitalier. « Claudia – médiatrice en santé à Médecins du Monde - venait souvent me voir. Je me sentais bien quand j’étais avec elle ».
Depuis, le squat a été détruit Et les conditions de vie, dégradées. « Ils ont creusé juste à côté de notre cabane. Puis la police est venue et a expulsé tout le monde » raconte Vahida. « C’est très dur quand on n’a nulle part où vivre. C’est très dur…» ajoute-t-elle. Originaire de Serbie, Vahida et son mari ont passé quelques temps en Italie avant d’arriver en France. Mais les forces de l’ordre étaient trop « rudes » pour eux. La vie, sans possibilité de lendemain aussi. Installés à Marseille depuis huit ans, ils ont effectué des démarches pour obtenir l’asile…sans succès.
7) « Bienvenue chez nous ! », Squat Garage Ford, 15ème arrondissement de Marseille, Juillet 2015 - Août 2016

On est tous passé à côté d’un bidonville, en le regardant avec plus ou moins d’indulgence à cause de leur environnement. Mais peu d’entre nous imaginent que dans les cabanes et caravanes installées au milieu des décharges il y a des familles qui essayent tant bien que mal de reconstituer un peu d’intimité, un chez soi.
Quand on arrive sur un bidonville la première chose que l’on voit c’est tout ce qui les entoure. Les terrains sont la plupart du temps encombrés de ferraille, qu’une partie des habitants revend au poids.
Mais une fois passé la porte, l’extérieur tranche avec l’intimité des cabanes. Des tapis, des tentures, quelques miroirs accrochés à ce qui sert de murs.
Les murs fait des bric et broc sont recouverts de carpette colores, le sol, souvent boueux, est caché sous des couches de tapis ……. C’est propre, parfois coquet. Mais cela ne se voit pas de l’extérieur.
Le visiteur est accueilli en ami et le café est servi dans la plus belle tasse, lavée devant vous. Si on y est au moment du repas, on vous proposera tout naturellement de vous assoir à table et partager leur repas. Très vite, on oublie où on est et on n’a presque pas envie de partir.
La précarité des conditions de vie n’empêche pas le partage et l’échange.
8) « Un mauvais souvenir », Bidonville A55, 15ème arrondissement de Marseille, Octobre 2015 – 20 novembre 2016

Arrivée à Marseille en 2014 avec son mari et ses quatre enfants, Armeanca a vécu près de 9 mois sur le bidonville de l’A55. Depuis l’an dernier, la famille est relogée dans un habitat social du troisième arrondissement. Armeanca se remémore les moments difficiles dans le bidonville.
Elle regarde la photo, perplexe. « J’étais triste. J’avais peur aussi», se souvient Armeanca. Entre quelques poubelles « à faire » et les tâches quotidiennes liées à sa vie de famille, la jeune femme s’octroyait au moment de la prise de vue, une courte pause. Songeuse, elle ne pouvait s’empêcher de penser à son avenir, si incertain. Elle ne savait pas encore que bientôt, elle aurait un logement, « un vrai »…
« À cet instant précis, je pensais à mon jeune fils et je me demandais comment nous allions le soigner. Il avait un œil crevé depuis plusieurs mois et nous n’avions aucun moyen pour l’aider, ni en Roumanie, ni ici » explique la jeune femme. Tout en buvant son café, elle pensait au bidonville aussi. « Nous savions que des personnes voulaient y mettre le feu. Alors, toutes les nuits, je me réveillais à 2 heures du matin pour vérifier que tout allait bien. Je pleurais beaucoup » ajoute-t-elle.
Depuis, la situation a bien changé. Son garçon s’est fait opérer. Dans un petit deux pièces, il regarde la télé en riant. Bientôt, il pourra lire et écrire comme les autres enfants de son âge. « Maintenant, mes quatre enfants sont propres et vont à l’école » se réjouit Armeanca. La famille a des projets. S’ils font toujours les poubelles et en revendent le contenu pour survivre, Vasile - le mari d’Armeanca - a pu trouver quelques heures de travail mensuel avec l’association HAS (Habitat Alternatif Social) qui lui a procuré le logement. Armeanca aimerait, elle aussi, pouvoir avoir une activité rémunérée. « N’importe quel travail qui puisse nous aider » précise-t-elle.
À l’évocation du squat, elle murmure : « C’est du passé. En espérant que nous n’y retournerons plus ».
9) « Cosmin, enfant du bidonville », Bidonville A55, 15ème arrondissement de Marseille, Octobre 2015 – 20 novembre 2016

Sur les bidonvilles, les enfants jouent avec les jouets abandonnés qu’ils trouvent ici et là. Les amitiés sont nombreuses, plus simples à nouer que dans des lieux fermés. « C’était plus facile pour les enfants quand ils étaient sur le bidonville », explique Emile, le père de Cosmin (le petit garçon sur la photo). « On trouvait des bicyclettes, des vélos, des ballons et on leur donnait. Ils avaient de l’espace ».
Depuis que le bidonville de l’A55 a brûlé, Cosmin et sa famille doivent s’adapter. Après avoir passé quelques temps dans un hôtel social, tous ont dû se résoudre à passer leurs journées dans une voiture, seul bien restant après les ravages de l’incendie. Pour les nuits, ils se débrouillent comme ils peuvent. Parfois, ils avouent enfreindre les règles, ne pouvant procéder autrement : ils s’installent, en toute discrétion, chez des membres de leur famille, logés en appartement*. « Nous devons alors partir à 3 heures du matin », souligne Emile. « Les enfants finissent leurs nuits dans la voiture ». À cela, viennent s’ajouter d’autres difficultés. N’ayant plus de lieu fixe de vie, Emile ne peut plus entreposer. « Avant, je faisais les poubelles et je revendais sur le marché aux puces. Je ne peux plus », se désole-t-il. Pourtant, la famille semble plutôt heureuse. Il faut dire qu’avec l’arrivée de Cosmin, leur second fils, il y a 4 ans, ils ont connu une émotion forte à laquelle ils ne s’attendaient pas. « À l’échographie quand j’étais enceinte de 6 mois, les médecins nous ont dit que le bébé à naître aurait de graves problèmes. Il était trop tard pour avorter », se souvient Rodica, la mère de famille. Un moment difficile pour cette famille, qui, le cœur lourd, s’était résignée à confier le futur nourrisson à l’adoption. « Nous ne pouvions pas subvenir aux besoins, ni nous occuper d’un enfant qui ne pourrait pas marcher ». D’autant que le couple ne comprenait pas toujours ce que les médecins expliquaient en français. Des lésions cérébrales ont été évoquées. Puis, des problèmes sur d’autres organes. Ce n’était pas imaginable, ni compatible avec la précarité dans laquelle ils étaient. Finalement, Cosmin est né avec deux pieds bots. « Une assistante sociale était au chevet de ma femme, elle avait les papiers d’adoption entre les mains. Nous ne voulions ni tenir l’enfant dans nos bras, ni même le regarder, c’était trop dur » confie Emile. « J’ai insisté auprès d’un médecin et je lui ai demandé si la maladie de Cosmin était vraiment grave. Il m’a rassuré, et m’a dit qu’il fallait suivre des consignes strictes et que ça pourrait aller. J’ai immédiatement déchiré les papiers », se souvient Emile, ému. Depuis, le jeune garçon va bien. Après deux années d’appareillage orthopédique très contraignant, il marche presque comme tous les autres enfants de son âge. « Ses parents ont été exemplaires et très attentifs. Ils ont toujours suivi le protocole médical pour le bien de Cosmin », relate Claudia, médiatrice à Médecins du Monde, qui à l’époque, rendait visite à la famille toutes les semaines. Désormais, Emile et Rodica aimeraient pouvoir avoir un domicile. Histoire, « au moins », de pouvoir scolariser les enfants et que ces derniers puissent s’épanouir en dehors d’une voiture. Histoire de pouvoir accéder à un semblant de dignité finalement…
10) « Chantier de la L2 », Bidonville Frais Vallon, 13ème arrondissement de Marseille, Janvier 2014 – 21 avril 2016

Depuis janvier 2014 une soixantaine de personnes vivaient sous la future rocade de la L2 sur un terrain appartenant à l’Etat.
La préfecture ayant engagé contre elles une procédure d’expulsion, le tribunal de grande instance de Marseille s’est déclaré incompétent et a débouté l’Etat. La Préfecture a fait appel de cette décision. Le 21 décembre, la société privée qui réalise la L2 a assigné les mêmes familles au tribunal administratif, qui s’est également déclaré incompétent. Entre temps, les travaux ont continué à avancer.
Les bulldozers sont venus peu à peu grignoter les cabanes, certaines ont été détruites pendant que les personnes en étaient absentes, d’autres se sont retrouvées en équilibre au-dessus du fossé creusé. Petit à petit les personnes ont quitté les lieux, ne supportant plus l’angoisse du chantier, le bruit des engins qui se rapprochent. Les cabanes restantes ont été encerclées par un grillage.
Le 21 avril 2016, le site a été expulsé, alors que le même jour le juge rendait sa décision en demandant l’expulsion mais en accordant 3 mois de délai.
Les personnes ont rejoint le bidonville de La Rose un peu plus loin.
11) « Un porte-bonheur », Squat Rue des héros, 1er arrondissement de Marseille, Juillet 2015 – Septembre 2016

Peu importe l’endroit, peu importe le temps, Stella est attachée à décorer son intérieur. Lorsqu’elle vivait dans le squat de la « rue des héros », elle avait pris soin d’afficher une icône religieuse sur son mur. Pour la déco, mais aussi pour la chance.
« J’ai encore cette icône. En fait, elle appartient à mon mari depuis deux ou trois ans. Depuis, il affirme que sa vie est meilleure, qu’il a plus de chance » explique Stella. Quand Stella vivait sur le squat, elle était déjà très attachée à la décoration de son intérieur ainsi qu’à la propreté. « Il fallait que ce soit propre. Même mes murs étaient plus propres que ceux des autres » ajoute la jeune femme, en riant.
Stella vit maintenant dans un appartement avec son mari et l’un de ses fils malade. Elle aimerait travailler et reprendre des cours de français. Elle met en avant ses compétences. « Je sais coudre. J’ai d’ailleurs suivi une formation pendant un an. Nous apprenions la couture et le français. Je confectionnais des habits que je revendais au noir sur le marché le dimanche. Puis, j’ai demandé à pôle emploi s’il y avait du travail. Malheureusement, il n’y en a pas ».
Pendant quatre ans, Stella et son mari ont fait les poubelles. Puis les enfants ont « attrapé la maladie du plomb », explique la jeune femme. Ce qui a motivé la famille à interrompre ces pratiques. Tous ont à présent privilégié « la manche », en attendant que le père de famille « au moins » trouve un emploi.
« Je dois continuer à faire la manche en attendant d’avoir d’autres revenus ou des allocations pour mes enfants. Comme on vit en appartement maintenant, on a des frais nouveaux. C’est parfois difficile ».
12) « D’un logement à l’autre. Quand les enfants reviennent », Squat Rue des héros, 1er arrondissement de Marseille, Juillet 2015 – Septembre 2016

Sur le squat d’un immeuble de la « rue des Héros », Stella se sentait bien. Mais, elle devait vivre sans ses enfants.
« Je suis restée 7 mois là-bas. J’étais heureuse, mais mes enfants me manquaient » explique Stella. « Ici, en regard de la petitesse du logis – une pièce avec deux lits et une table - ce n’était pas possible ». « Jamais je n’avais été séparée d’eux comme cela. Je voulais être près d’eux, les avoir à mes côtés » ajoute Stella.
Le parcours de Stella et de son mari n’a pas toujours été facile. Obligé de partir du squat pour libérer les lieux, le couple a d’abord été relogé dans un hôtel, alors que les trois enfants devaient demeurer avec les grands-parents sur un bidonville. « On est resté 5 mois à l’hôtel. C’était encore plus difficile car je ne pouvais pas cuisiner. Du coup, comme les enfants ont besoin de manger, j’étais obligée de les laisser à mes parents. Ils venaient me voir de temps en temps ».
Dans son nouvel appartement, qu’elle occupe depuis un mois environ, Stella a « tout ce qu’il faut ». Un de ses fils qui vient de se faire opérer vit maintenant avec elle. Il doit rester au calme. Alors les autres enfants restent chez les grands-parents, qui possèdent deux caravanes. Bientôt, tous vivront enfin ensemble. « Les français ont fait beaucoup de choses pour moi. Je suis bien » sourit la jeune femme.
« Nous avons désormais tout ce qu’il faut : de l’eau, de l’électricité. On peut faire à manger. L’endroit est tranquille et propre » soutient-elle. Stella rit. Au visionnage de la photo ici exposée, elle se remémore des souvenirs qui lui semblent lointains. Elle explique en seul commentaire qu’elle se trouve « plus maigre » qu’en réalité. Il faut dire que c’est peut-être tout simplement parce qu’elle attend maintenant un nouvel enfant. « C’est beau, c’était une bonne idée cette photo prise dans le miroir ! » s’exclame-t-elle, après quelques minutes de silence.
Pour mettre un peu de bonheur dans ce monde de misère.
13) « Daniel doit grandir », Bidonville Bougainville, 15ème arrondissement de Marseille, Avril 2014 - Février 2016

Daniel est un jeune garçon de 13 ans souffrant d’un retard de croissance. Plusieurs fois des rendez-vous lui seront pris à la PASS mère-enfant de l’hôpital Nord afin qu’il puisse être ausculté et que des droits à la santé soient ouverts pour lui et sa famille.
Cependant, ces consultations n’ont jamais pu être honorées car les parents ne pouvaient se soustraire à la recherche quotidienne d’un peu d’argent en revendant ce qui avait pu être trouvé dans les poubelles de la ville.
D’ailleurs, c’est en essayant de faire survivre sa famille que le père de Daniel a été agressé. Grièvement blessé, il est resté hospitalisé plusieurs mois.