"Le jardin", avant qu’il ne soit trop tard
Publié le 12-04-2017 à 09h39
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Apparemment c’est le hasard qui fait que deux grandes expositions sont consacrées pour l’instant en France au thème du « Jardin ». L’une à Paris, au Grand Palais, et l’autre au Centre Pompidou de Metz. C’est le signe évident que l’art s’intéresse au sort de la planète, bien mal en point il est vrai.
Le Pompidou Metz l’avait déjà fait en 2016 avec sa très belle exposition « Sublime, les tremblements du monde ». Cette idée de l’homme responsable de l’avenir de la planète est aujourd’hui populaire, mais les artistes furent les premiers à l’annoncer, il y a près de 50 ans, sentant avant tout le monde les évolutions de la société et continuent à l’exprimer.
Si l’exposition au Grand Palais mélange les époques avec bonheur, celle de Metz met davantage l’accent sur les artistes d’aujourd’hui, avec autant de bonheur.
Un premier étage est plongé dans la pénombre pour mieux découvrir les œuvres. Le jardin enchanteur peint par Bonnard, le jardin métaphysique de Kupka ou Hilma af Klint qui aboutit à l’abstrait, le jardin minéral de Dubuffet. On débouche alors sur une salle entièrement couverte de pigments jaune éclatant, pris des fleurs (de Parmiggiani).
Le jardin peut être aussi dangereux avec le champignon géant de Carsten Höller, les hallucinations de Yayoi Kusuma et cette photographie de Michel François d’une jeune fille humant à plein nez une grande fleur. Image idyllique ? Sauf que la fleur est une datura aux puissants effets psychotropes et donc très dangereuse.
Gulliver et les lilliputiens
En visitant cette expo, on pense à la comparaison de la grande romancière russe Lioudmila Oulitskaïa dans son dernier livre « A conserver précieusement ». Elle voit l’homme comme attaché au monde qui l’entoure (nature, air, autres hommes, idées, etc.) par de multiples fils comme Gulliver était enchaîné par les lilliputiens dans le livre de Swift. L’artiste a alors comme tâche de montrer ces fils qui le relie au monde qui l’entoure.
Le « jardin » n’est pas forcément apaisant. Le Japonais Tetsumi Kudo dans une installation saisissante imagine le jardin post-apocalyptique où se retrouveraient des membres humains mélangés à des plates-bandes toxiques : « la nature conquise commencera à se venger », dit-il.
Le cinéaste anglais Derek Jarman a établi son jardin « terminal » avant de mourir du sida dans un site hostile, rocheux et venteux.
Et on expose l’extraordinaire « cabane » noire, où Thierry de Cordier, devenu disait-il « jardinier-dans-ma-tête », se retrancha longuement du monde pour mieux dessiner et écrire au milieu de la nature.

Les eaux de Giverny
L’autre étage du Pompidou Metz, scénographié comme un jardin de bosquets par l’artiste brésilien Daniel Steegmans Mangrané surprend encore davantage. On y trouve par exemple un grand aquarium de Pierre Huyghe. Il y a placé de l’eau trouble puisée dans les étangs même du jardin de Giverny que Monet peignit pendant des années. On y retrouve les mêmes plantes et les mêmes salamandres vivantes et étranges que celles que vit Monet. Partant de l’idée que les eaux enregistrent les fracas du monde, il a ajouté à cet aquarium un système rappelant par des éclats lumineux l’année 1917, année de guerre.
On découvre au gré d’une promenade ludique le jardin oblique d’Hans Haacke, on se couche sur les lits odorants d’Ernesto Neto (qui occupe aussi tout l’atrium par un énorme jardin suspendu), ou se perd dans le labyrinthe imaginé par Gabriel Orozco fait des empreintes de fleurs artificielles mexicaines. Le jardin se fait fantaisie, se fait univers, à l’image de l’Amazonie que l’expo évoque longuement, dernier paradis vert, menacé à son tour.
Devant l’entrée du musée, une nuée de pots remplis de terre reprise à des gravats. Ils attendent d’être régénérés par les vents apportant les pollens.
« Jardin infini, de Giverny à l’Amazonie », au Centre Pompidou Metz, jusqu’au 28 août.