Kader Attia veut "réparer les vivants" (PHOTOS)
Publié le 14-04-2017 à 08h00 - Mis à jour le 14-04-2017 à 09h40
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L’artiste français d’origine algérienne, Kader Attia, né en 1970 près de Paris, est devenu un des artistes majeurs d’aujourd’hui, sacré l’an dernier par le prix Marcel Duchamp, le plus important pour l’art contemporain en France.
Il avait fait sensation il y a cinq ans, à la précédente Documenta de Kassel, par son impressionnante installation sur les gueules cassées de la guerre de 1914. On l’a revu depuis, entre autres, à Bozar à Bruxelles et au Middelheim à Anvers, en 2014.
Le Smak à Gand propose une exposition réduite mais exemplaire de ce travail artistique proche de l’ethnologie, de l’anthropologie et de la psychanalyse.
Le concept clé chez Kader Attia, est celui de « réparation ». Réparation déjà, avec les « gueules cassées » de la première guerre mondiale greffées par les chirurgiens, « réparation » encore avec les sculptures africaines que les populations conservent suturées ou agrafées. Mais Attia évoque aussi la réparation pour les traumatismes reçus, y compris par les peuples frappés par la colonisation, la guerre ou par un génocide.
Peut-on panser une blessure mémorielle ou physique ? Une prothèse pallie-t-elle la perte et le manque ? Doit-on vivre avec le souvenir d’un membre fantôme, ou accepter son irrévocable disparition ?
« La force des objets réparés est d’être impurs, hybrides. Les cultures traditionnelles disent que les choses ne doivent pas être parfaites contrairement aux nôtres qui privilégient le dogme de la pureté. Même la blessure y est célébrée, voyez les scarifications qu’on ajoute aux corps. En psychologie, on apprend qu’il est vital d’arriver à vivre avec ses blessures, de les réparer », nous disait-il.

Textiles rapiécés
Au centre de l’exposition à Gand, intitulée « Réparer l’invisible », il y a une installation faite de colonnes sur lesquelles ont été déposés d’anciens tissus africains réparés par les femmes. Kader Attia les collectionne depuis longtemps.
« Depuis toujours, dit-il, les tissus déchirés, réparés avec une pièce parfois petite, parfois grande, parfois parfaitement intégrée au tissu dans une nuance ton sur ton, ou au contraire, totalement en contraste, signent des réparations qui relèvent de l'opposé de ce que la modernité occidentale a toujours défendu, depuis l'avènement de l'Âge de la Raison. Réparer signifie, dans la culture occidentale, nier la blessure. Dans les sociétés traditionnelles, africaines, asiatiques, réparer signifiait montrer que l'on a traité la blessure, donner une seconde vie à la chose blessée. Les tissus réparés sont pour moi une forme de création. »
Autour de cette installation, Kader Attia expose des objets « réparés » : comme ce miroir cassé « restauré » par des grosses agrafes ou cette toile pour peintre, déchirée et finement « bouturée ». Il aime mélanger : un masque africain d’antilope regardant une tête d’antilope empaillée ou ces casques coloniaux transformés en masques par des artisans.
Les membres fantômes
La pièce maîtresse de l’exposition est la vidéo « Réfléchir la mémoire » qui lui a valu le prix Duchamp l’an dernier. C’est une vaste enquête menée sur tous les continents auprès de médecins, chirurgiens, psychanalystes, ethnologues, etc. autour du concept de « membres fantômes ». Ou comment de grands amputés continuent à sentir leurs membres pourtant coupés.
Il montre ces blessés comme « réparés » par des miroirs qui leur donnent un second bras ou une seconde jambe. Des philosophes, artistes ou médecins expliquent comment la blessure mentale liée peut être « réparée » et comment cet handicap peut être assumé et devenir partie de la personnalité.
Attia prend comme métaphore la musique du « dumb » où des sonorités ont été enlevés, deviennent fantômes, et ce vide ajoute à la musique.
Pour Attia, le membre fantôme peut s’appliquer à un peuple, être son passé, ses traumatismes, ses morts, ses nombreux fantômes qui reviennent hanter le présent. Il faut tenter non pas de les nier mais de les intégrer, de les réparer comme les femmes africaines avec leurs tissus bigarrés.
Kader Attia, « Réparer l’invisible », au Smak, à Gand, jusqu’au 1er octobre