L’effervescence créatrice de la Cité des Anges entre mythe et réalité
Publié le 17-04-2017 à 20h02 - Mis à jour le 18-04-2017 à 17h45
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A Lyon, le MAC réunit plusieurs générations d’artistes et écrivains pour évoquer Los Angeles. Une créativité inventive et intempestive écorne l’image idyllique de la ville hollywoodienne. Plasticiens et auteurs entretiennent une relation tant affective que critique.
Voici dix ans, le centre Pompidou organisait une remarquable exposition sur les arts à Los Angeles entre 1955 et 1985. Un panorama historique de très haut niveau qui mettait en valeur l’incroyable effervescence créative de la côte ouest des États-Unis. La présente exposition lyonnaise prend racine dans ce même terreau extrêmement fertile à travers les œuvres de quelques figures pionnières et emblématiques, et nous livre une suite passionnante en plongeant dans l’actualité de la dernière décennie. Le principe excellent d’associer la littérature au projet, à travers des extraits d’ouvrages qui traitent de la ville, de son ambiance, de ses multiples aspects, apporte à l’ensemble de l’expo une impression d’immersion totale et aide à ressentir, au plus près des émotions et des réalités, l’atmosphère de vie de la Cité des Anges.
Déployée sur deux étages du musée, elle réunit de la sorte 34 artistes plasticiens et 84 écrivains, ce qui fait dire à Thierry Raspail, co-commissaire et directeur du musée : "La machine à fictions exemplaire qu’est Los Angeles est tour à tour contestée, magnifiée, transposée; la légèreté se fait tragique, le glamour se fissure, la surface des choses prend de la profondeur. Bref, le mot et l’image jouent la connivence, l’enchantement mutuel et interrogent le mythe."

L’autre face
Ce qui ressort comme impression générale de cette exposition est l’existence d’un souffle de liberté créatrice, souvent visionnaire, impliquée dans la vie, voire d’une certaine irrévérence que l’on rencontre beaucoup moins à New York où, plus contingenté et plus sage, le marché domine.
On ressent ici une audace inventive qui puise ses forces dans les énergies de la ville et dans les situations sociales qui jouent du contraste avec l’image stéréotypée, soleil, piscines, "entertainment" et touristico-farniente, livrée en kit avec Hollywood en bonus. La plupart des artistes plasticiens, et des écrivains, entretiennent avec l’endroit une relation critique, parfois très dure, mais qui n’exclut pas du tout un attachement émotionnel, voire romantique, avec une ville et une région où le mythe et les réalités s’interpénètrent et varient selon les quartiers. L’expo, en cette approche finalement très affective et vivante, dresse un panorama dissonant auquel l’art apporte ses touches sensibles, critiques, décalées, biaisées et révélatrices. Un art qui marque son indépendance et un culot inhabituel.
Hollywood et l’underground
Si l’Amérique d’aujourd’hui reste le phare mondial de l’art et de son marché, c’est certes grâce au dynamisme et au business new-yorkais. Par contre, il est évident que sans les artistes de la côte ouest, sa lanterne serait bien plus faible. Bien que l’exposition ne soit pas orchestrée chronologiquement, en se fixant sur les pionniers dès la fin des années cinquante, on pointe nettement un climat audacieux qui prend ses distances avec les images formatées.

Dessin de 1963 de David Hockney, "Deux hommes sous la douche" aborde, sous une forme presque raffinée, la question de l’homosexualité quand les films underground et expérimentaux de nombreux réalisateurs dont Kenneth Anger sondent les préférences sexuelles et scrutent les contre-cultures. Ces artistes ont initié un ton dont les ondes se font sentir jusqu’aujourd’hui. Il en est de même pour un John Baldessari qui, en travaillant avec les mots sur des images cinématographiques et des photos de l’univers télévisuel, a institué un mode critique et conceptuel qui continue se propager. Dans cette voie conceptuelle, on citera aussi Ed Ruscha et son immanquable peinture panoramique de 1977, "The Back of Hollywood".
Les identités sociétales
Les questions identitaires, féministes, raciales ou de genre innervent de nombreuses œuvres dont celles de la photographe Catherine Opie et du sculpteur Charles Ray, auteur de deux nus, alors que Tala Madami atteint l’outrancier en se focalisant sur l’ethnique et les pulsions et qu’un Kelly Akashi se branche sur le corps humain.

On ne fera pas l’économie d’un Paul McCarthy qui œuvre dans la démesure, mais c’est auprès de la jeune génération - très peu connue chez nous si ce n’est Brian Calvin et ses portraits d’ados ou Kaari Upson - que l’on ressentira avec le plus d’acuité les branchements sur les aspects sociétaux actuels dans le contexte de L.A. Ainsi de la question de l’artificialité soulevée par William Leavitt, le lien au médiatique et au ciné avec Trecartin/Fitch, ou le consumérisme vu par Nancy Lupo. L’expo est une forme de radiographie vivante de l’art et la ville.
Exposition. "Los Angeles - A Fiction", 34 plasticiens, 84 écrivains. Au MAC, Cité internationale, 81 quai Charles de Gaulle, 69006 Lyon. Jusqu’au 9 juillet. Du mercredi au dimanche de 11h à 18h. Infos : www.mac-lyon.com
A lire : "Los Angeles - A Fiction", 283 pp., tous les textes des écrivains, cahier photo des artistes.
Bonus muséal
Deux autres expos se tiennent conjointement au MAC. Dans l’une, Olivier Zabat, plasticien français (1965) essentiellement cinéaste et vidéaste, présente 7 films dont “Zona Oeste” sur les bandes qui rackettent les Cariocas, ainsi qu’une installation inédite conçue sur base de deux films. (Jusqu’au 7 mai. Publication très illustrée, 242 pp., éd. Adéra.)
La seconde, “Frigo Generation 78/90”, est consacrée au collectif FRIGO qui œuvra à Lyon pendant une dizaine d’années tout en intervenant aussi bien à Beaubourg qu’à la Documenta. Représentatif de la culture alternative en Europe, le collectif crée une radio, pratique l’intervention intempestive, la performance dérangeante, l’installation perturbante, se donne à la musique, au graphisme, à la scénographie, fédère des artistes tels Appelt, Plessi ou Nyman et invite des Hermann Nitsch et Paul McCarthy de… L.A. (Jusqu’au 9 juillet. Publication “Rois de la Forêt – Mythologie et rites d’une tribu de l’underground des années 1980”, Alain Garlan, 174 pp., éd. Hippocampe, Lyon.)
Bonus belge
Dans la ville adjacente , Villeurbanne, l’Institut d’Art contemporain a invité pour une vaste exposition monographique qui occupe l’entièreté de l’espace la plasticienne Ann Veronica Janssen (1956, Folkestone, vit et travaille à Bruxelles). Sans être une rétrospective, l’exposition reprend quelques œuvres antérieures dont le fameux “Brouillard blanc en lumière naturelle” présenté au Muhka en 1997, et dans la cour de l’établissement, une série de prototypes appartenant à l’ensemble dénommé “Cabinet en croissance”, datant initialement de 1991. La plupart des œuvres sont récentes et quelques-unes, inédites, produites par l’IAC, dont un écran de brouillard et une plaque d’acier polie. De 2017, on compte aussi un environnement sonore et deux cubes en verre avec effet chromatique. L’expo compte également des œuvres réalisées avec Michel François.
Jusqu’au 7 mai. Infos : www.i-ac.eu