Au musée ADAM, le design belge revisité (PHOTOS)
On l’a oublié : mais la Belgique fut, un temps, un centre européen du design. C’est l’un des nombreux rappels de "Panorama - A History of Modern Design In Belgium", qui revisite un siècle de design moderne en Belgique au musée ADAM, le musée du design bruxellois.
Publié le 26-06-2017 à 15h13 - Mis à jour le 26-06-2017 à 15h22
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On l’a oublié : mais la Belgique fut, un temps, un centre européen du design. C’est l’un des nombreux rappels de "Panorama - A History of Modern Design In Belgium", qui revisite un siècle de design moderne en Belgique au musée ADAM, le musée du design bruxellois.
Regard neuf
Les commissaires de l’exposition, Katarina Serulus et Thierry Belenger, ont le mérite de regarder au-delà des marronniers des arts décoratifs belges - les Victor Horta, Paul Hankar, Henry van de Velde, Alfred Hendrickx ou Jules Wabbes, pour ne pas les nommer. Des figures oubliées ou méconnues sont remises à l’honneur dans un parcours qui révèle aussi combien l’Etat belge joua un rôle dans l’émergence, puis le rayonnement, des créateurs belges, reflet de puissance économique du pays au début du XXe siècle.
Dans les années 50-60, le ministre des Affaires économiques, Jean Rey, fit même du design industriel un "soft power" d’une Belgique encore bien présente sur la scène internationale - notamment lors de la création du Marché commun (1957) et de l’Exposition universelle (1958).
Le même parti pris novateur a présidé au choix des 120 meubles et objets exposés : au best of d’objets ou meubles célèbres, il a été préféré des créations charnières, parfois plus confidentielles. Les pièces haut de gamme côtoient les productions de masse.
Au-delà de l’Art nouveau
Prenons, en début de parcours, deux pièces de mobilier réalisées pour l’Exposition universelle de Turin en 1902. Un bureau imposant de Victor Horta, chef-d’œuvre Art nouveau, marque aussi le chant du cygne du courant. Georges Hobbé, dont le nom est injustement moins célébré, signe au même moment un fauteuil aux lignes épurées qui annonce l’Art déco. Autre pièce étonnante du début du XXe siècle : la chaise de la collection Silex de Serrurier-Bovy. Fabriquée en peuplier et en série, elle était montable en kit - du Ikea avant l’heure - et destinée à rendre le design accessible aux classes populaires.
Elle annonce l’émergence du design industriel, dans lequel la Belgique, alors puissance économique, s’engouffre sous l’impulsion des pouvoirs publics. A l’Exposition universelle de Paris, en 1937, la Belgique est en bonne place. Henry van de Velde, qui a réussi la transition de l’Art nouveau à l’Art déco signe un tapis pour le bureau de Léopold III. Mais il réalise aussi un plus fonctionnel service de table pour la SNCB, déjà frappé du logo qui est toujours le sien. Un film publicitaire, précurseur de la société de consommation d’après-guerre, vante les cuisines modulables de la société Cubex.
On peut redécouvrir aussi les créations de Meurop, première société belge en 1958 à produire des meubles "tout plastique". Ou les meubles Knoll, qui furent fabriqués sous licence dans l’après-guerre - tout comme les produits de Tupperweare, Samsonite, Philips. Des designers belges travailleront pour eux - dont Jean-Paul Emonds-Alt, que "Panorama" remet à l’honneur (lire ci-contre).
Le Design Centre
La Belgique est encore un Etat unitaire et pour promouvoir ses industriels et ses créateurs, le Design Centre est inauguré en 1964 à la galerie Ravenstein, à Bruxelles. Sous la houlette de sa directrice Josine des Cressonnières (lire ci-contre), on va y exposer pendant vingt ans le must du design belge. Les pièces étaient choisies par un jury d’experts, sur des critères hérités du modernisme : qualité technique, esthétique, fonctionnalité, prix démocratique… Les foires belges - dont celle de Courtrai - font jeu égal avec celle de Milan. Le Design Centre organisera aussi une consultation populaire pour choisir la couleur des rames de métro de Bruxelles - toujours en vigueur.
Le Design Centre disparaîtra en 1985, alors que la fédéralisation de la Belgique s’achève. Il faut attendre les années 2010 pour voir réapparaître un label "Belgium is Design". Preuve que cette identité, qu’on avait oubliée, conserve du sens. "Panorama" en rappelle les heures de gloire et les recettes qui les rendirent possibles.
Josine de Cressonnières
La papesse. Si elle ne fut pas la mère du design belge, cette ancienne styliste pour le grand magasin A l’Innovation en fut la "papesse", selon les termes du commissaire d’exposition Thierry Belenger. Née en 1925, d’abord secrétaire du "Signe d’or", label de qualité décerné à partir de 1957 aux créations belges à potentiel international, elle devient secrétaire générale du Conseil international des Sociétés de Design International en 1961 puis directrice du Design Centre à sa création en 1962.
A ce double titre, elle va étendre son réseau de contacts - déjà important - et devenir l’ambassadrice du design belge. La photo où on la voit à Kyoto, unique femme au milieu d’un parterre d’hommes, témoigne de son rang. En pleine Guerre froide, elle fut aussi un pont entre l’Ouest et l’Est, entretenant des rapports d’amitiés avec son homologue soviétique, le designer Youri Soloviev.
Sa disparition en 1985 marque la fin d’une époque. Le Design Centre ferme moins d’un an après. Seule sa personnalité maintenait l’existence d’une telle instance dans un pays taraudé par ces courants régionalistes. Alors que depuis, les pays scandinaves, l’Italie ou l’Allemagne ont fait du design une image de marque, la Belgique a perdu l’héritage de cette grande dame.



Jean-Paul Emonds-Alt
Stib. Qui connaît le nom du créateur du logo du métro bruxellois ? Designer, sculpteur, peintre né à Etterbeek en 1928, Jean-Paul Emonds-Alt se fit remarquer avec une sculpture monumentale pour le pavillon du Syndicat Congo Mines à l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles, représentant un groupe de quatre femmes (on peut le voir dans le hall d’un immeuble à l’angle de l’avenue Louise et de la rue Defacqz, à Bruxelles).
A partir du milieu des années 1960, il se consacre essentiellement au design. Il signera des lampes pour Philips ou des modèles de visionneuses Viewmaster - autant d’objets qu’on peut revoir à "Panorama" -, ainsi qu’une bouteille de Spa. Aujourd’hui, l’identité graphique qu’il a conçue pour le métro bruxellois est toujours utilisée.
Monographie: un livre unique

A exposition exceptionnelle, livre exceptionnel. Plus qu’un catalogue, le livre "Panorama. A History of Modern Design in Belgium" est une monographie retraçant dans les détails l’histoire des arts décoratifs en Belgique. Sous la direction de Katarina Serulus et de Javier Gimeno-Martinez, cet ouvrage trilingue, abondamment illustré et très bien référencé, constitue un apport neuf et unique à ce jour pour ceux qui s’intéressent au design en général et belge en particulier. Il replace les différents courants dans l’histoire esthétique et industrielle - rappelant notamment les utopies d’amélioration du quotidien par la création d’objets de consommation de masse "beaux et fonctionnels". Comme l’exposition dont il est l’émanation, il remet aussi à l’honneur des personnalités capitales parfois méconnues ou oubliées - ouvrant potentiellement la voie à d’autres recherches. A. Lo.
---> "Panorama. A History of Modern Design in Belgium", publié chez CFC édition/Musée Adam (208 pp., 35 €).
À savoir
Quoi : "Panorama - A History Of Modern Design In Belgium", jusqu’au 7 janvier 2017.
Où : Musée ADAM, 1 place de Belgique, 1000 Bruxelles.
En pratique : tous les jours sauf le mardi, de 10 à 18 h. Prix 10 €. Rens. : www.adammuseum.be.