Picasso inédit et intime à Landerneau
- Publié le 19-07-2017 à 11h09
- Mis à jour le 19-07-2017 à 11h48
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Passionnante exposition Picasso à Landerneau, en Bretagne, au Fonds Hélène et Edouard Leclerc. Avec 200 oeuvres, dont de nombreuses jamais vues et intimes, toutes tirées de la collection particulière de Catherine Hutin, la fille de Jacqueline Picasso, le dernier amour de l’artiste. Landerneau devient ainsi, de plus en plus, un lieu à visiter pour les amateurs d’art.
Le 8 avril 1973, Picasso mourait au mas Notre-Dame de Vie à Mougins. Né en 1881, il avait 91 ans et laissait une succession énorme : plusieurs propriétés et 70000 oeuvres de tous types (peintures, sculptures, dessins, gravures, céramiques) qu’il avait conservées.

Jacqueline assise de profil, 1954
Une partie de ce trésor régla les drotis de succession et fut à l’origine du musée Picasso à Paris.
Jacqueline Roque qu’il avait épousée en 1961 à Vallauris, hérita de plusieurs milliers d’oeuvres qu’elle légua à son tour à sa fille Catherine Hutin. Celle-ci prête volontiers ses Picasso indiquant simplement « collection particulière ». Pour la première fois, au Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau, on peut voir 200 oeuvres, toutes issues de cette collection, dont de nombreuses jamais vues ou intimes. C’est une vraie découverte et cette exposition qui vient après tant d’autres consacrées à Picasso, est à marquer d’une pierre blanche.

Femme étendue à la main gigantesque, 1945
La question posée en filigrane est le sort futur de cette fabuleuse collection. Ira-t-elle demain à l’étranger? Vendue? Ou l’Etat aidera-t-il à ce qu’elle reste en France et soit à la base d’un nouveau musée Picasso?
Jean-Louis Andral, directeur du musée Picasso d’Antibes est le commissaire de cette exposition qui parcourt toute l’oeuvre à travers des tableaux et dessins que Picasso conserva toute sa vie près de lui.
Cadre baroque et doré
Le parcours débute par « Picasso avant Picasso »: deux pigeons peints par son père, ses premiers tableaux à Barcelone et Paris, avant qu’il ne signe simplement « Picasso » du nom de sa mère.

Minotaure au verre, 1958
Toutes ses périodes défilent ainsi avec des moments émouvants comme cette huile sur carton de1908, « Deux femmes nues debout », qu’il plaça, près de 50 ans plus tard, dans un surprenant cadre baroque doré pour l’offrir à Jacqueline ! Ou ce dessin de 1917, autoportrait, qu’il dédie à « Jacqueline chérie ».
Un parcours Picasso est toujours scandé par ses amours. Lors du mariage de Jacqueline et Picasso, Pierre Cabanne eut cette formule: « Jacqueline eut l’honneur et la charge d’être l’épouse du moins humain des hommes et du plus bienveillant des monstres ».
Après l’épisode cubiste, on voit comment il redécouvre la sensualité et l’énergie, à près de 50 ans, avec Marie-Thérèse Walter rencontrée quand elle avait 17 ans. Cela donne par exemple sa série de « baisers » exposée à Landerneau.
Puis vinrent les années de ténèbres de la guerre, associées à son amour pour Dora Maar. Des tableaux en grisaille mais aussi des portraits pleins de couleurs. L’exposition démontre à nouveau que l’adage disant que Picasso ce serait la forme et Matisse la couleur, est faux. Picasso fut aussi un fabuleux coloriste même si à la fin de sa vie, il disait encore: « Tout de même, avant de mourir, je voudrais deviner ce que c’est la couleur ».
Ma fille de lait
En toute logique, trois quarts de cette exposition sont centrés sur Jacqueline que Picasso rencontra en 1952. Il a rompu avec Françoise Gilot et rencontre dans l’atelier de céramique Madoura à Vallauris, une nouvelle arrivée qui le fascine par sa beauté énigmatique: Jacqueline Roque. Dès 1954, elle deviendra le personnage principal, presque omniprésent de l’oeuvre. D’emblée, il lui donne sa « forme »: assise à même le sol, de profil , les mains jointes sur les genoux, de très grands yeux, une abondante chevelure, le profil grec, le cou démesuré.
En une seule année, il la peint 163 fois. Elle ne posait pas pour lui, il la connaissait si bien.
On découvre toutes les variations si inventives qu’il fit de Jacqueline assise. « Elle a le don de devenir peinture à un degré inimaginable », disait-il. Il indiquait la date de ses œuvres de manière maniaque. Sur un portrait de Jacqueline, on voit 16 dates, preuve qu’il reprit ce tableau à 16 reprises. Sur un beau dessin de Catherine Hutin, la fille de Jacqueline, il laisse cette dédicace charmante: « Pour ma fille de lait, son Picasso ».
Cette période est à nouveau très féconde avec une explosion de couleurs, des vues audacieuses de son atelier, des Minotaures, parfois d’humbles et beaux dessins (la série du « lavage de pieds ») ou des variations infinies sur le thème de l’artiste et son modèle.
En 1965, à 84 ans, il angoisse de devoir être opéré d’un ulcère à l’estomac. Mais quand il en sort, c’est à nouveau le désir de peindre sans cesse qui l’étreint. Et pour la critique ce fut le choc et la surprise de découvrir en 1970, dans le Palais des papes à Avignon, alignés sur trois niveaux, les 165 tableaux qu'il peignit en 1969 avec ses obsessions: nus, mousquetaires, fumeurs, etc.
On y trouve une liberté incroyable que la critique ne comprit pas alors mais qui influença par exemple des artistes comme Basquiat et Schnabel.
Le parcours à Landerneau se termine par le dernier tableau de Picasso, forcément très émouvant, une ode à la peinture avec une forme énigmatique qui semble nous regarder. « L’art lave notre âme de la poussière du quotidien », disait-il.
Picasso, Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau, ouvert tous les jours jusqu’au 1er novembre.
« La Bretagne, c’est ma Californie »
Installer un centre d’art à Landerneau, au bout du bout de la Bretagne, près de Brest, était une gageure. Elle semble devenir un succès. Il y a déjà eu 700000 visiteurs depuis son ouverture en 2012. Et cette seule exposition Picasso attend de 180000 à 200000 visiteurs, espère Michel-Edouard Leclerc, le président du Fonds et fils d’Hélène et Edouard Leclerc. « Les 3/4 d’entre eux, en juillet et août, sont des touristes. Ensuite, ce seront surtout des Bretons ».
Depuis le début, le choix a été de prendre de grands commissaires pour des expositions variées, depuis Gérard Fromanger, la première, en juin 2012, jusqu’à Picasso en passant par Dubuffet, Hartung et celle sur Giacometti en 2015 qui marqua les esprits.
Landerneau est le fief des Leclerc, leurs racines. Edouard Leclerc y a ouvert sa première épicerie en décembre 1949. Il construisit en 1964 sur le site, alors en friche, de l’ancien couvent des Capucins son premier « super-centre ». Les Capucins s’y étaient installés en 1634 mais après la Révolution, les bâtiments devinrent tour à tour, une prison, une école , des magasins de stockage, une brasserie, une usine de production d’eau de Javel, etc.
Malgré l’expansion phénoménale du groupe, les Leclerc restent attachés à Landerneau.
Pour créer leur centre, ils ont transformé l’ancien « supermarché » en lieu d’exposition, recouvert du granit de la région et ont restauré l’église des Capucins en y plaçant leur collection d’art religieux.
Un fonds de dotation
Ils créent un « fonds de dotation », sans intervention directe de l’Etat pour financer les activités avec 600 donateurs, petits et gros, chefs d’entreprises, cadres ou banquiers et la région, utilisant les défiscalisations permises pour le mécénat d’intérêt public.
« La Bretagne, ce ne sont pas seulement mes racines, nous explique Michel-Edouard Leclerc, mais c’est aussi un projet, c’est ma Californie. On va ouvrir en plus, une résidence d’artistes à Concarneau. La Bretagne est un horizon. »
Grand collectionneur de BD, c’est sa collection qui servit à l’exposition sur « Métal hurlant » qui fut créée là, à Landerneau, avant de partir à Liège au musée de La Boverie. « Ma Belgique à moi, dit-il, c’est d’abord la BD et aujourd’hui, je suis ami de Philippe Geluck, Jean Van Hamme ou Bernard Yslaire. »
« La culture se déploie bien dans les marges. Et en Bretagne particulièrement. On y est loin de la frénésie de twitter et d’internet. Y aller c’est se ménager une coupure, abandonner la fébrilité. La culture bretonne c’est avoir à la fois, les pieds dans la glèbe et l’esprit ouvert vers l’extérieur, c’est créer des liens ». Jeune, il suivait les cours de Michel Serres, se voyait comme un missionnaire, comme un acteur avec une mission.
Il s’enthousiasme pour ce Fonds et son projet de médiation. On y présentera à la fin de l’année une expo Basquiat-Keith Haring et devrait s’ouvrir ensuite à des artistes vivants. Tout en continuant sa paissions pour la BD, y compris les mangas si peu connus en France.