A Ostende, dialogue humble et subtil avec l’art d’Ensor
Publié le 28-07-2017 à 08h41
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Au MuZEE d’Ostende, dialogue entre le minimaliste américain Richard Tuttle et les chefs-d’oeuvre d’Ensor.
Si l’artiste américain Richard Tuttle, né en 1941, a eu une influence importante sur de nombreux artistes contemporains, il reste peu connu chez nous même si Jan Hoet l’invita déjà en 1978 pour sa toute première exposition comme jeune directeur du musée de Gand.
Richard Tuttle est un post-minimaliste, un poète dont l’oeuvre est quelque part entre la peinture, la sculpture, la poésie, le dessin et l’installation. Il utilise les matériaux les plus humbles pour exprimer la fragilité et la poésie du monde et explorer la ligne, la couleur, l’espace.
Il fut un ami de la peintre minimaliste Agnes Martin morte en 2004 et il habite au Nouveau Mexique à Abiquiû dans une maison construite pour lui par le grand architecte Steve Holl.
Richard Tuttle a une admiration pour James Ensor et le directeur du musée d’Ostende, Phillip Van den Bossche, lui a proposé de créer des oeuvres qui dialogueraient avec celles d’Ensor.
Richard Tuttle parle d’Ensor en termes un peu mystérieux: « Ensor était capable de séparer la peinture de la couleur. La couleur devenait réelle. C’est pourquoi il a pu dire que les impressionnistes ne pouvaient comprendre ni la lumière ni la peinture. »
La guerre des couleurs
On retrouve dans les écrits d’Ensor des phrases étonnantes sur l’autonomie des couleurs qui voyageraient libres dans l’espace comme les sons voyagent, tels des bruits, avant de devenir musique quand l’artiste les arrange. « Mesdames les couleurs mal placées se disputent à outrance, en voisines. Mlle Vermillon pousse au noir devant Madame Blanc de plomb. Madame Laque de Chine se fâche tout rouge devant Mr Bleu Destrée. Mr de Cermium pousse au canari quand Mlle Bitume coule de source. Pour un rien, MM. les verts se grisent ou passent au bleu. Comment diriger ce beau monde rebelle. »
Après être venu deux fois à Ostende, Richard Tuttle a créé 25 petites oeuvres exposées aujourd’hui au musée, chacune à côté, et en dialogue, avec les tableaux Ensor du musée. L’expo occupe une partie de l’aile désormais consacrée à Ensor et Spilliaert.
La lumière est ma fille
Mais que veut dire cette autonomie de la couleur? Celle-ci peut-elle être indépendante? Ici, chaque oeuvre de Tuttle, humble et minimale (leur pauvreté voulue surprendra le visiteur), est faite d’un carton découpé et collé au mur avec un simple ongle. Sur le carton est fixé un morceau de toile découpée et comme chiffonnée sur lequel se trouve de la couleur avec de l’acrylique et des pigments purs. La lumière jouant sur les reliefs de la toile.
Si ces 25 oeuvres sont comme des variations à partir d’Ensor, elles ne sont pas une interprétation directe des tableaux mais entrent en résonance avec eux.
On pourrait par exemple y voir comme le précipité du tableau d’Ensor, comme un haïku serait le précipité d’un long poème. Comme si on était passé sur la peinture d’Ensor avec un tissu pour en extraire la couleur pure désormais détachée du sujet et de la forme.
Richard Tuttle s’en est expliqué à Phillip Van den Bossche: « Vous ne pouvez jamais voir deux fois la même couleur. L’art est la relation entre le visible et l’invisible. Ensor avait vu la lumière d’Ostende: elle est rouge. »
Ces humbles et poétiques assemblages colorés ne cherchent pas à concurrencer Ensor mais quand le regard du visiteur passe sans cesse de l’oeuvre de l’un à l’oeuvre de l’autre, on regarde autrement les tableaux de l’Ostendais qui disait: « La lumière est ma fille, elle est une et indivisible, lumière pain du peintre, lumière reine de nos sens. »
Richard Tuttle: « Light and color », MuZEE Ostende, jusqu’au 5 novembre avec aussi rétrospective Frans Masereel et Eric van Hove qui y expose ses très étonnants moteurs réalisés en bois sculptés par les artisans de Marrakech (!)