Le fabuleux jardin de Niki de Saint Phalle
Publié le 08-08-2017 à 09h08 - Mis à jour le 08-08-2017 à 09h47
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Chaque été, on peut redécouvrir avec bonheur, cette folie artistique et colorée au coeur de la Toscane.
C’est un coin perdu au sud de la Toscane, à Garavicchio, dans la terre des Etrusques. En ce début août, la température grimpe à 41 degrés, les routes sont jaunes et poussiéreuses. Il n’a quasi plus plu depuis Pâques. Près de Grosseto, se trouve le mystérieux Jardin des tarots, l’oeuvre monumentale de Niki de Saint Phalle (1930-2002).
Cette grande figure du Nouveau Réalisme a imaginé et y a construit ce jardin pendant vingt ans, de 1978 à 1998. Il a ouvert au public en mai 1998. Pour y pénétrer, on traverse un grand mur dessiné par son ami, l’architecte Mario Botta: « Il a fait un mur masculin, disait-elle, comme une forteresse avec des pierres de la région et qui marque clairement la séparation entre le monde à l’extérieur et le monde à l’intérieur. »
Le Jardin des tarots est « un dialogue entre sculpture et nature, un lieu où rêver, un jardin de joie et d’imagination ».
On le sillonne comme on veut, pour y rencontrer les symboles (on dit les « arcanes ») des tarots transformés en grandes sculptures colorées. Des familles, des enfants s’amusent à pénétrer ou à escalader les grandes sculptures et à se prendre en selfies.
Les oeuvres cinétiques de Jean Tinguely, le sculpteur et grand amour de Niki de Saint Phalle crachent de l’eau, ou, sur le sommet de la « Tour de Babel », symbolisent l’éclair. Dans une grande représentation de la Justice, Tinguely a enfermé avec une grille et un cadenas, l’injustice faite de machines en mouvement, de squelettes et de matériaux de récupération. Sur le sentier, est écrit de la main de Niki de Saint Phalle: « Jean Tinguely a piégé l’injustice à l’intérieur de la justice et a fermé la porté à clef ».
Niki de Saint Phalle a réalisé ailleurs ses grandes sculptures anthropomorphes, colorées et ludiques comme on peut le voir au Zoute, quasi devant le Siska, avec le « Dragon de Knokke » qu’elle a réalisé de 1973 à 1975 comme une maison de jeux pour les enfants de ses amis, les Nellens.
Gaudi et le facteur Cheval
Au Jardin des tarots, elle a construit la même chose en bien plus vaste avec la représentation des vingt deux figures du tarot: Le pendu, Le choix, La lune, La tempérance, L’ermite, etc.
Elle avait été fascinée en 1955 par une visite au parc Guëll dessiné par Gaudi à Barcelone, avec ses figures de céramiques. En 1960, elle découvrait avec Jean Tinguely, le « Palais idéal » du Facteur cheval à Hautrives dans la Drôme. Ces deux « chocs » furent décisifs pour imaginer le Jardin des tarots.
Elle eut la chance de recevoir le terrain de ses amis italiens rencontrés lors d’une cure à Saint Moritz: Marella Agnelli et les frères Carlo et Nicola Caracciolo. Elle avait obtenu une liberté totale de créer et elle se finança en créant un parfum et en vendant des multiples de ses oeuvres.
Pendant vingt ans, elle y dirigea toute une équipe d’artisans, d’artistes et d’ouvriers avec, comme bras droits, Tinguely et l’artiste hollandais Dok van Winsen. La majeure partie du temps, elle dormait sur place. Il fallait pour chaque sculpture, construire l’armature métallique, projeter le ciment, prévoir un isolant et recouvrir le tout d’une mosaïque de miroirs, de verres et de céramiques très colorées. Un travail titanesque. D’autant qu’elle commençait à souffrir de polyarthrite rhumatoïde.
L’inceste
« Je suis l’architecte du jardin, a-t-elle écrit. J’ai imposé ma vision parce que je ne pouvais pas faire autrement. Ce jardin a été fait avec beaucoup de difficultés, d’amour, d’enthousiasme fou, d’obsession et, le plus important de tout, rien ne pouvait m’arrêter. Comme dans les contes de fées avant de trouver le trésor, j’ai rencontré sur mon chemin des dragons, des sorcières, des magiciens et l’ange de la tempérance. »
Dans « La Force », une petite fille domine un dragon vert, allusion à l’inceste perpétré sur elle par son père quand elle n’avait que 11ans. L’arbre de la vie est une hydre à dix têtes. Le Diable est superbe « le triomphe de courte durée du pouvoir matériel », disait-elle.
En arrivant au Jardin, on voit surtout l’immense « Impératrice », la « Nana » par excellence, aux formes énormes, « l’héroïne » comme les aimait Niki de Saint Phalle, s’affranchissant de l’existence sans relief des femmes de son temps.
Cette sculpture fut habitée par Niki de Saint Phalle pendant près de dix ans. C’était aussi sa maison atelier, le lieu pour les réunions de chantier. On voit encore son lit installé dans un sein, sa salle de bain couverte de morceaux de miroirs, sa table de travail, sa cuisine. On y marche comme dans un rêve.
A ses cotés, l’immense « Papesse » crache sans cesse de l’eau. La carte de l’ « Empereur » est représentée par un « cloître » coloré, plein de têtes de morts et de textes en céramique, et, au milieu, une fontaine de nanas couchées.
Le Jardin des tarots est une autobiographie astrale de Niki de Saint Phalle, la recherche d’un équilibre intérieur qui l’a occupée toute sa vie, c’est la conquête de la sagesse, la victoire sur ses peurs de jeunesse. « Si la vie est un jeu de cartes, nous sommes nés sans en connaître les règles et nous devons jouer notre main, » écrivait-elle.
Il giardino dei tarocchi, Garavicchio, ouvert du 1er avril au 15 octobre, tous les jours de 14h30 à 19h30; http://ilgiardinodeitarocchi.it