Carolyn Carlson lie la danse et les traces d’encre
Publié le 10-08-2017 à 08h45
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La chorégraphe et danseuse a toujours dessiné, d’un souffle, suivant le zen japonais. Exposition à la Piscine de Roubaix.
Inauguré le 20 octobre 2001, le musée d'art et d'histoire de Roubaix, appelé « La Piscine », a connu un succès inattendu. Au lieu des 60000 visiteurs annuels espéré, il y en a eu 240000 en 2015.
Le bâtiment est étonnant, construit en 1932 en style romano-byzantin, par l'architecte lillois Albert Baert. Ce laïque républicain avait imaginé un vrai temple dédié au corps, à l'hygiène et au sport. L'architecture avait de nombreuses références religieuses. Les bains qui entouraient la piscine rappelaient les baptistères des premiers chrétiens. L'aménagement global était calqué sur les abbayes cisterciennes. Les baigneurs, la serviette autour des reins, traversaient un cloître. On arrivait alors dans le saint des saints: la piscine, éclairée par deux grandes verrières demi-circulaires illustrant, l'une, le lever du soleil et l'autre, son coucher.
Agrandissement
Cette piscine a fonctionné jusqu'au 8 novembre 1985 et fut ensuite transformée en musée par l’architecte Jean-Paul Philippon qui lui a laissé son aspect de cathédrale. Il a comblé la piscine elle-même mais il a gardé en surface un bassin d'eau spectaculaire. Autour de celui-ci, devant les cabines alignées, sur des parquets de bois, est disposée la collection des sculptures du XIXe et début du XXe: des ouvriers à la manière de Constantin Meunier et des baigneuses romantiques et fort dénudées, un art un peu pompier, hétéroclite, représentatif des goûts de la riche bourgeoisie roubaisienne à la fin du XIXe siècle.
En 15 ans, la Piscine a organisé des expositions mémorables. On se souvient ainsi, en 2015, de celle magnifique, sur Camille Claudel.
La ville a décidé d’agrandir le musée et les travaux sont en cours sans fermer le musée. Il sera agrandi de 2300 m2 (coût: 9,3 millions d’euros). A l’automne 2018, il y aura alors 8000 m2 accessibles au public.
En attendant, elle propose une petite exposition sur les dessins de la chorégraphe et danseuse d’origine américaine Carolyn Carlson: « Writings on water ». Ses dessins très zen, calligraphiés en un souffle, se prêtent bien à être exposés dans l’intimité des ex-cabines de bains.
L’art et la danse ont depuis toujours, partie liée. Rodin et Degas ont tenté de figé le mouvement éphémère et la beauté fragile de la danse. Inversement, les chorégraphes ont toujours fait appel à des artistes pour la scénographie, depuis Picasso (ballets russes) et Léger jusqu’à Rauschenberg (Cunningham).
Se vider l’esprit
Parfois, le chorégraphe dessine lui-même, comme le faisait merveilleusement Trisha Brown. Carolyn Carlson est de cette veine.
Née en Californie en 1943, formée auprès du maître américain Alwin Nikolais (1910-1993), elle est installée en France depuis 1970, figure importante de la nouvelle danse française (avec par exemple Maguy Marin) elle a réalisé plus de 60 spectacles et occupé des fonctions de direction à Paris, Venise et Roubaix où elle dirigea le Centre chorégraphique de 2004 à 2013.
Dans ses spectacles, elle a souvent dialogué avec des artistes comme encore en 2013, à 70 ans, dans son « dialogue avec Rothko » accompagné par la musique sur scène du violoncelliste et chef d’orchestre Jean-Paul Dessy.
Durant toute sa longue carrière, elle a sans cesse dessiné sur des carnets comme on les voit à l’expo. Le lien avec sa danse est immédiat. C’est de la « poésie visuelle » dit-elle, un art qui comme sa danse est tourné vers la spritualité. Jeune, elle avait été influencée par un maître du bouddhisme zen qui lui a appris à saisir le mouvement d’un seul jet, d’un seul souffle sur le papier, sans jugement. Elle rejoint ainsi parfois les recherches d’Hartung ou de Soulages. Le calligraphe iranien Hassan Massoudi dit de sa danse: « Elle est une calligraphie sans pinceaux ».
« Dessiner consiste à se vider l’esprit pour qu'advienne l’imprévu », dit-elle aujourd’hui. Une sorte de gymnastique quotidienne de l’esprit, des exercices de méditation. Et l’espoir sans doute de laisser une « trace d’encre », aussi minimale soit-elle, elle qui a choisi un art voué à ne rester que dans les mémoires.
Carolyn Carlson, « Writings on water », Piscine de Roubaix, jusqu’au 24 septembre. , fermé lundi