Renverser les codes pour créer dans le paysage
Publié le 18-08-2017 à 16h48 - Mis à jour le 18-08-2017 à 16h53
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De 200 habitants, le village gaumais passe, le temps d’un week-end, à 30 000 visiteurs. Mathématiquement étourdissant, le succès du festival de Chassepierre est surtout un pari à regagner chaque été, depuis 44 ans.
Lorsqu’elle est arrivée à la direction de l’institution, en septembre 2014, Charlotte Charles-Heep en avait assuré la direction adjointe, aux côtés de son prédécesseur Alain Schmitz, depuis 2012. Mais cette native de Sedan, dans les Ardennes françaises, fréquentait le festival de Chassepierre, de l’autre côté de la frontière, depuis l’âge de trois ans. " Chassepierre , dit-elle, c’est particulier. C’est une ambiance, un esprit, qu’il faut apprivoiser." Un vrai travail de passation s’est accompli avec la jeune femme, qui mise sur la continuité, sans exclure le changement.
L’axe neuf sur lequel elle planche se situe "en amont" . Avec notamment des résidences. Et le vendredi soir "qui pourrait devenir, dans cinq ou dix ans, l’ouverture officielle". Car globalement, "le festival ne peut plus grossir, à moins de sortir de Chassepierre" …
Les résidences donc. Elles s’inscrivent dans la lignée de la nouveauté de 2015, quand le festival a acheté un entrepôt à Chassepierre, pour en faire d’abord un lieu de stockage : l’équivalent de dix semi-remorques arrive pour le festival, avec du matériel en tout genre, des planchers de scène aux équipements de sonorisation, des barrières Nadar aux groupes électrogènes.
L’objectif était déjà alors d’en faire un lieu de résidence. Ce fut le cas en 2016 avec une compagnie de marionnettes belge. Et les demandes affluent, explique Charlotte Charles-Heep. " Au fil des ans, on aménage le lieu - on a installé des sanitaires notamment - dans la volonté de poursuivre dans ce sens. A l’horizon 2020-2022, on aimerait arriver à accueillir 5 compagnies par an, auxquelles apporter une aide financière, une coproduction, et une présentation de leur création dans le cadre du festival." Cette aide pourrait même s’organiser plus en amont encore, précise la directrice.
Des clefs et des codes
Cette volonté est née de deux constats : "D’abord un manque de lieux de création aux dimensions adaptées aux arts de la rue, qui donnent aux artistes la possibilité de répéter dans des conditions équivalentes à celles de la rue." Avec ses 9 mètres de haut, l’entrepôt de Chassepierre offre aux compagnies, notamment circassiennes, de quoi travailler. Par ailleurs, le festival possède des champs qui permettent, explique Charlotte Charles-Heep, de tester un spectacle parmi les éléments, qu’il s’agisse de l’effet du vent dans les câbles ou les toiles, ou de la façon dont porte le son, par exemple.
Autre constat : la nécessaire sensibilisation aux arts de la rue. "On travaille à créer de l’interaction, avec les écoles notamment. Par la rencontre et le dialogue, donner des clefs et des codes."
Si la particularité du festival de Chassepierre est de présenter les arts de la rue - plutôt urbains par définition - en milieu rural, il n’est pas la seule structure dans ce cas. Que l’on songe par exemple à Latitude 50, pôle des arts du cirque à Marchin.
D’autres existent, sous d’autres cieux. Le festival de Chassepierre s’était d’ailleurs engagé dans le développement d’un projet avec des partenaires européens (en France et en Grande-Bretagne). Ce réseau en devenir n’a pas obtenu le financement escompté, "mais on continue à notre échelle" , qui dans les parcs, qui en bord de mer, qui dans les marais, "et nous parmi les champs" …
L’idée, à travers toutes ces formes de ruralité, est de renverser la logique des arts de la rue : "créer dans le paysage, changer le sens de l’adaptation, penser dans l’autre sens" .
Festival international des arts de la rue de Chassepierre, les 19 et 20 août (prélude dès le vendredi 18 en soirée), ouverture du village dès 11h samedi et dimanche, spectacles entre 13h et minuit. Infos, programme complet, rés. : 061.31.45.68, www.chassepierre.be
Funambules à balancier et musiciens artificiers
Comme chaque année, le festival international des arts de la rue de Chassepierre coproduit deux compagnies, de la Fédération Wallonie Bruxelles ou d’ailleurs. Pour l’édition 2017, celles-ci ont bénéficié d’une résidence, dans des conditions particulières et différentes, en vertu des projets portés par chacune.
Compagnie bruxelloise de funambules fondée en 2012, les Chaussons rouges inventent un langage personnel, organique et ludique avec le fil et son espace. Pour "Hircus", nouvelle création, Audrey Bossuyt et Marta Lodoli ont invité Mariona Moya de la compagnie espagnole La Corcoles. Le trio explore les notions d’alliance, de confiance, d’unisson, d’individualité, à travers le funambulisme comme discipline circassienne mais aussi comme installation.
"Elles cherchaient un espace qui leur offre hauteur et largeur, raconte Charlotte Charles-Heep. Le climat étant avec elles lors de leur résidence, elles ont pu installer leur structure et travailler en conditions de spectacle extérieur." Dans le cas des Chaussons rouges, il s’agissait d’une dernière étape de travail, d’une phase de peaufinage. La sortie de résidence en public - en avril - offrant aux artistes des retours sur l’objet en création, dans un échange et un dialogue qui par ailleurs permettent aux spectateurs de mieux saisir tant la technique (du balancier en l’occurrence) que les enjeux artistiques.
De rythme et de feu, la compagnie française les Commandos percus sillonne les festivals du monde entier depuis 20 ans, dont Chassepierre dès le début. Où "Silence", leur création 2017, a en partie été travaillée. Les musiciens artificiers, explique la directrice du festival, ont installé leur structure en intérieur afin de travailler les percussions. "Ils ont souhaité ouvrir certaines de leurs répétitions à des groupes scolaires notamment, et proposaient des échanges où les élèves apprenaient un morceau selon la méthode des bâtons, suivant les explications de Raymond Gabriel, le metteur en scène des Commandos percus."
La sortie de résidence, dans leur cas, a été organisée à Florenville, le festival souhaitant y associer une série de partenaires dont la commune de Florenville, le Centre culturel du Beau Canton, le Syndicat d’initiative… dans un esprit d’ouverture et d’échange que cultive le festival.
A l’affût
Gardienne de l’esprit du festival de Chassepierre - qu’elle connaît depuis l’enfance -, Charlotte Charles-Heep est aussi une observatrice attentive du secteur, à l’affût de ses évolutions. "Des formes apparaissent, d’autres s’estompent; les formats changent" , note-t-elle. Les durées, notamment, s’allongent jusqu’à une heure, une heure quinze. "On voit se développer des spectacles déambulatoires, avec des arrêts à quelques endroits, comme une volonté de réappropriation de la ville par les compagnies." Dans le secteur des arts de la rue aussi, les tendances vont et viennent. "Il y a eu un pic des entresorts" (ces roulottes ou petits espaces où le spectateur pénètre pour quelques minutes seulement), "aujourd’hui on voit beaucoup arriver le numérique, mais aussi les arts plastiques. Ça bouge, l’important est de ne pas rester cloisonné dans une vision unique."