Villa Empain: invitation à regarder, décrypter et imaginer

A la Villa Empain, des chemins du regard pour aborder l’art actuel.

Claude Lorent
Villa Empain: invitation à regarder, décrypter et imaginer

L’exposition "Ways of Seeing", initialement montrée à Istanbul par les commissaires Sam Bardaouil et Till Fellrath, rappelle à très bon escient le fondamental des arts plastiques. Les œuvres sont destinées d’abord à être vues et donc à être regardées. Leur approche est avant tout visuelle. C’est une évidence, soit, mais au moment où depuis des années on nous bombarde de commentaires parfois moins accessibles que les œuvres elles-mêmes, il est bon de rappeler cette base qui ouvre la porte de l’art à chacun. La sous-question à la formulation du "que vois-je ?", posée devant une œuvre d’art, peut-être pour ne pas être dupé, est : "ce qui est montré est-ce bien ce que je vois ?". Car, comme le disent les commissaires, les artistes s’y entendent pour élaborer "des stratégies formelles pour reconfigurer notre perception du monde".

Extraire les sens

Il suffirait donc de regarder pour comprendre ? Pas si simple ! Il faudrait tout d’abord s’entendre sur le mot comprendre et ne pas oublier que l’art tient aussi du ressenti, des émotions, des sentiments et que c’est toujours une fiction quel que soit le degré d’abstraction ou de réalisme. Sans négliger, très loin s’en faut, les qualités esthétiques qui donnent de la valeur. Peut-on, par exemple comprendre la beauté ? C’est précisément au point de conjonction de tous ces éléments que le regard agit et va ouvrir la voie aux richesses. Non pas donner du sens, mais extraire les sens multiples en dépassant les apparences, les habitudes visuelles et les certitudes de notre savoir individuel. En fait, l’enjeu de cette exposition est assez colossal car il engage de reprendre à zéro le rapport à l’art contemporain même s’il est indéniable que quelques connaissances en la matière ouvrent d’emblée l’œil et l’esprit.

Questionner l’art

On abordera dès lors les 70 œuvres de 27 artistes en posant son regard avec la plus grande attention sur chacune d’elles. En scrutant chaque détail, en convoquant ses acquis, en laissant émerger le ressenti, en interrogeant les intentions (cachées ?) de l’auteur, en laissant filer l’imagination vers des chemins imprévisibles. Et en prenant son temps ! La peinture de Ghada Amer est un simple réseau abstrait de fils ? Cherchez la femme qui s’y cache ! Que montre la vidéo de David Claerbout ? Des scènes ou une scène d’oiseaux qui volent ? Quelles est l’heure indiquée au cadran d’Alicia Kwade ? Vois-je bien un cube de lingots d’or ou… ? Qu’occulte le voile qui recouvre les photos que Gustav Metzger nous oblige à voir au plus près et camouflé ? Le verso du tableau étiqueté Picasso nous dit-il la vérité ? Le tableau de Markus Schinwald est-il une peinture à l’ancienne ou une ancienne peinture modifiée ? Les pages de Tintin au Congo nous livrent-elles une vision correcte de la réalité ? On peut poursuivre ce jeu de questions pour chaque œuvre. Et chaque réponse apportée engendrera une nouvelle question, provoquera notre curiosité, déterminera notre adhésion ou pas, titillera notre imaginaire et risque malgré tout de ne pas épuiser l’œuvre, tant les pistes de la découverte s’avèrent multiples !

---> "Ways of Seeing", d’après l’ouvrage (1972) de John Berger. Fondation Boghossian, Villa Empain, 67, av. F. Roosevelt. Jusqu’au 18 février. Du mardi au dimanche de 11h à 18h. Cat. : 170p., texte (trilingue) des commissaires, illus des œuvres. Conférences, concerts et performances.

Troisième phase

Après deux ans d’activité et quelques expositions marquantes, Asad Raza, le directeur artistique de la Fondation, prend congé pour se consacrer à d’autres projets. La directrice générale de la Fondation, Louma Salamé, cumulera désormais les deux fonctions de directions. Elle sera donc à la tête de la programmation à venir et assumera le commissariat de la prochaine exposition qui s’ouvrira en mars sur le thème de la mélancolie. Ce changement marque la troisième phase des activités de la Fondation à la Villa Empain. Initialement dirigé par Diane Hennebert, le centre d’art a d’abord privilégié les sujets liés au Proche et Moyen-Orient, il s’est ensuite ouvert plus largement à l’art contemporain et actuel globalisé. Louma Salamé entend s’appuyer sur ces riches acquis pour engager une nouvelle voie et pour poursuivre les activités jointes, attributions de prix, résidences d’artistes, accueil des publics, conférences, concerts… A suivre !

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