La Biennale de Lyon ouvre de nouveaux mondes
- Publié le 01-10-2017 à 12h04
- Mis à jour le 01-10-2017 à 12h07
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Très belle Biennale d’art orchestrée par Emma Lavigne. Poétique, mélancolique, politique. L’art peut générer, comme la musique et la poésie, de nouveaux espaces pour envisager le monde.
Parmi toutes les Biennales d’art, celle de Lyon est une des plus agréables. Pas trop grande, on en découvre l’essentiel en une journée. Cette année encore, elle est concentrée sur deux lieux: la Sucrière, grande friche industrielle sur les bords très branchés de la Saône et le MAC, le musée d’art contemporain.
Elle est aussi le fruit de vrais choix d’un commissaire différent à chaque édition et qui marque le parcours de son empreinte en en faisant une grande réflexion artistique sur notre monde moderne.
Cette année c’est encore le cas avec l’excellente Emma Lavigne qui fit de superbes expos au Centre Pompidou (comme « Danser la vie ») et qui dirige maintenant le Pompidou-Metz.
Elle a choisi pour thème « Les mondes flottants », c’est-à-dire notre monde actuel en pleine mutation, avec ses inquiétudes si fortes face à l’avenir. « Un monde en constante mobilité, générant la dissolution des relations et des identités où, fait-elle remarquer, les gens choisissent alors souvent la sécurité aux dépens de la liberté.»
Belle promenade
L’art, comme la poésie et la musique, garde alors « une grande force émancipatrice et permet au spectateur de prendre la tangente par le rêve. » L’art peut générer de nouveaux espaces pour penser le monde et ensuite, peut-être, le changer, comme le dit le metteur en scène Philippe Quesne: « Faire du théâtre, c’est aussi se réinventer des espaces possibles ».
On pourrait dire cela des 75 artistes présents à cette Biennale qui offre un voyage, une promenade aussi riche que très agréable avec tous des artistes qui « expriment une vision du monde à la fois contemplative et subversive pour nous conduire à des mondes autres ».
En ce sens, Emma Lavigne assume que beaucoup d’oeuvres soient mélancoliques car, dit-elle, « la notion de l’écoulement, de la disparition, du flottement, peut créer la mélancolie mais aussi laisser ainsi advenir du nouveau par sa capacité à engendrer une dimension poétique et une beauté contemplative. »
On le voit par exemple dans la reprise judicieuse du délicieux petit film de Marcel Broodthaers (seul Belge à cette Biennale) où il écrit un poème sous la pluie, l’eau emportant l’encre à peine posée. Ainsi le Japonais Shimabuku parvient à renverser l’ordre du monde en faisant voler les vaches (sous forme de cerfs volants).
Monde laiteux
La grande installation immersive d’Ernesto Neto au Mac crée ainsi un autre monde, laiteux, cotonneux, maternel, où l’on déambule dans des labyrinthes doux, peuplés de sculptures d’Arp, Calder et de peintures de Fontana.

Ernesto Neto (1964): Two Columns for One Bubble Light 2007
L’enjeu explique Emma Lavigne est de révéler l’oeuvre d’art comme « un infini contenu dans le fini ».
Pour évoquer l’idée de « modernité » aujourd’hui, elle en appelle à Baudelaire qui envisageait le moderne comme « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immobile. »
Ses choix sont particulièrement lisibles et accessibles à tous. Une vrai plaisir comme en témoignent les nombreuses écoles qui viennent visiter la Biennale. Comme le montre le grand dôme géodésique de l’architecte utopiste Richard Buckminster Fuller placé au coeur de Lyon, près de la place Bellecour, dans lequel on découvre les centaines de bols flottant sur une eau bleutée et tintinnabulant en une musique aléatoire et planante. Une oeuvre de Céleste Boursier-Mougenot.

Céleste Boursier-Mugenot (1961) dans le dôme de Buckminster Fuller (1895-1983): Clinamen V4 2017
La musique et la couleur blanche sont d’ailleurs des constantes de cette Biennale. Même si le blanc peut cacher bien des choses et devenir très politique comme ce grand monochrome blanc de l’artiste chypriote Christodoulos Panayiotou. Rien de neuf ? Sauf que sa « peinture » est faite de la pâte de papier de milliers de billets de banque démonétisés. Une image de la perte de l’argent et de la valeur du travail. L’art se montrant plus fort que le commerce.
Blanc aussi, l’immense toile percée de trous dans laquelle glissent leurs têtes, les participants à une performance historique de Lygia Pape, artiste brésilienne du mouvement Frente, une toile signe du lien entre tous les gens.
Un tampon du Portugais Marco Godinho couvre des milliers de fois les murs de la Sucrière et se retrouve même sur les mains des visiteurs. On y lit « Forever Immigrant », tous nous venons d’ailleurs, pour aller vers ailleurs.
14e Biennale de Lyon, jusqu’au 7 janvier.
SECOND TEXTE
Parcours parmi quelques oeuvres marquantes
En déambulant dans les deux grands sites de la Biennale on peut souligner quelques oeuvres marquantes.
A la Sucrière, l’immense toile de soie blanche agitée par quatre ventilateurs, pièce historique d’Hans Haacke. Une mer agitée, image superbe du monde flottant. A côté, une autre oeuvre historique: le film de Bruce Conner reprenant des images d’essais nucléaires pour en faire un étrange poésie.
David Medalla crée une machine à bulles de savon construisant de perpétuels sculptures qui s’effondrent. Le Mexicain Damian Ortega a suspendu une réplique d’un ancien sous-marin allemand, mais fait de sacs de sel et le sel qui s’y trouvait s’écoule, grain à grain, sur un tas, vidant le souvenir de la guerre.
L’Argentin Tomas Saraceno a créé une oeuvre à découvrir dans l’obscurité qui est une grande et complexe toile d’araignée (l’araignée est toujours là !) prise sous la lumière du grand nuage de Magellan. Un lien entre le microcosme et la macrocosme.
L’Américain superbe et un peu mégalo, Doug Aitken, a creusé le sol en béton de la Sucrière pour y créer une pièce d’eau laiteuse circulaire. De la voûte, des gouttes ou des jets d’au y tombent, chaque arrivée sur la surface engendrant une musique. C’est à nouveau très mélancolique et beau comme l’installation de Susanna Fritscher qui fait tourner à vitesse croissante, de longs tubes d’orgue créant un souffle de vent et une musique de plus en plus forte et aigüe.
Le requiem de Fukushima
Marcelo Brodsky a repeint de couleurs vives des photos historiques de manifestations politiques en Amérique du Sud, soulignant la beauté de ces espoirs. Le Brésilien Daniel Steegmann Mangrané a recréé tout un biotope, un vivarium des tropiques rempli de phases qui se cachent parmi les feuilles.
Présents sur les deux sites, les grands dessins de Jorinde Voigt sont magiques: comme une vision mathématique du chaos du monde avec des couleurs or, bleue et brune, parcourue de lignes d’efforts et de notations. Comme un paysage, comme une mélodie musicale silencieuse qui se déploie tout au long des murs.
Melik Ohanian a créé aussi un monde qui rappelle celui de la Beat Generation. Il a déposé un groupe d’hommes errants, sur le toit d’un building new jerkais et les filme la nuit, à la lumière blafarde, projetant ces vagabonds célestes sur quatre écrans.
Au Mac, on est accueilli par la tour de radios anciennes rassemblés par le Brésilien Cildo Meireles comme l’image du bruit du monde. Marcel Duchamp est là aussi, lui qui ouvrit tant d’univers nouveaux. La Japonaise Yuko Mohri s’est directement inspirée du « Grand verre » de Duchamp pour imaginer des installations poétiques d’eau, inspirées des fuites dans le métro de Tokyo !
Lygia Pape, encore elle, figure magique de la culture brésilienne, montre une maison de favela éclatée, comme la fin du « white cube » et a recréé un paysage désolé du Sertao brésilien mais avec un sol fait de pop corn.
La vidéo du Mexicain Fernando Ortega pourrait résumer la Biennale, montrant la sortie d’un gigantesque tunnel à vent d’une soufflerie. Une flutiste toute fluette vient y jouer un requiem de Kazuo Fukushima mais le vent issu de la soufflerie se lève brusquement et l’empêche de continuer.