Europalia 2017: des ancêtres, des rituels et des hommes (VIDEO)
Publié le 12-10-2017 à 08h36 - Mis à jour le 12-10-2017 à 09h40
Il n’est a priori pas évident pour des Occidentaux bien éloignés des 13 000 îles de l’archipel indonésien, ses 250 millions d’âmes, 300 groupes ethniques et 700 langues, de s’y retrouver lorsqu’on leur parle de rites, traditions et ancêtres !
Nos propres croyances et leurs manifestations s’étant émoussées avec le temps, avec une certaine mise au ban de nos dieux, plonger ex abrupto dans une culture, si multiple et différente, est si peu évident que nous nous souvenons d’un Europalia Japon qui, il y a quelques années, avait mis bien à mal notre entendement.
Ce ne devrait pas être le cas cette fois, tant tout semble avoir été réuni pour faire de l’événement une véritable fête, tant aussi les propositions de découvertes ne manqueront pas durant trois mois.
Réalité indonésienne récurrente : malgré la diversité de ses peuples, l’importance des ancêtres y est primordiale. Bon à savoir, l’Indonésie, c’est une suite d’îles, peu ou bien connues : de Sumatra à la Papouasie, de Jakarta, Java ou Bali aux Philippines ou Moluques.
Une présentation vivante
Rejetant l’idée d’une exposition ethnographique qui nous aurait forcément embrouillé la vue et l’esprit, les organisateurs ont choisi un accrochage aéré, heureusement thématique, vivant par quelques films épars à travers le parcours, remarquable par la variété des statues et objets proposés.
Des paravents de bambou tressé s’accordent au parquet des salles et aux propos épinglés sur les murs pour nous en dire plus et mieux sur ce qu’il est bon de retenir en priorité sur une réalité qui, pour séculaire, reste de mise en bien des cas et régions.
L’exposition tente de répondre aux questions qui s’efforcent de nous situer cette ou ces cultures lointaines préoccupations d’Occidentaux individualisés.
Effigies et statut
Dès l’entrée, nous attend une échelle de bois surmontée d’un couple d’ancêtres, en bois, en provenance des Moluques du Sud-Ouest : elle renvoie aux rites de la naissance et de la mort. Mais elle est aussi utilisée pour les rituels liés à la fertilité.
Impressionnant, un "Tambour" rituel en bronze, daté d’avant Jésus-Christ, vient, majestueux, des îles de la Sonde occidentale. Non moins impressionnante, une "Hache" de Makassar, en bronze, de provenance inconnue, date de 200 ans av. J.-C.
Trois maternités très brutes, emplies de puissance originelle, font penser que c’était ce genre de culture vierge que Gauguin était allé chercher sous les Tropiques il y a plus d’un siècle. Ne manquez pas cette "Femme portant un enfant" (IIIe siècle ap. J.-C. ?) en pierre, de Sumatra sud. Qui sont les ancêtres, biologiques ou mythiques ? Leur "statut" et leur rôle sont évalués par leur importance et les objets qui les légalisent - souvent transmis de génération en génération.
Parures et autres
Les "Kriss", par exemple, sortes de dagues ouvragées, confèrent le prestige aux propriétaires. On les considère comme des "âmes" (armes) protectrices.
Divers couples d’ancêtres parsèment le cours du voyage, repères tangibles entre les suites de temps forts : Statut, Fertilité, Protection, Echanges, Communication, Rituels funéraires. Les ancêtres, apprend-on, assurent la pérennité des sociétés, d’où leur action bienfaisante. Parfois, ils sont représentés hardiment sexués, signe de fertilité et de force. Une fertilité dédoublée entre fertilité procréatrice et fertilité des cultures.
Impossible de décrire tous les objets réunis, des plus riches, parfois en or et pierres précieuses, aux plus usuels, comme les boucliers de cérémonie, les masques de protection, les cannes magiques, les textiles.
Témoin du syncrétisme et des échanges et influences réciproques, une Déesse de la sagesse et de la perfection, Prajnaparamita, du Royaume de Singasari, à Java orientale. En andésite, du XIIIe siècle, elle s’avère à la fois hindouiste et bouddhiste.
En fin de parcours, un espace d’activité permettra à chacun de s’interroger sur ses propres croyances et rites.
Agenda
Un important volet consacré aux arts de la scène complète les expositions d’Europalia Indonésie. Dès cette semaine, plusieurs rendez-vous sont déjà à retenir.
Danse. CC Strombeek a invité Darlane Litaay à travailler en résidence sur sa nouvelle chorégraphie, "Morning Star Dark Valley". Le danseur et chorégraphe s’inspire des danses de sa région natale, la Papouasie occidentale, où le chant et la danse sont traditionnellement considérés comme indissociables.
Le 12/10 à 20h30, CC Strombeek, place Communale, Strombeek-Bever. www.ccstrombeek.be
Otniel Tasman, un des chorégraphes majeurs d’Indonésie, présente à Charleroi une création, "NOSHEHEORIT", qui joue des oppositions et relations entre masculin et féminin dans le corps humain.
Le 14/10 à 20h30. Les Ecuries/Charleroi Danse, Boulevard Pierre Mayence 65c. www.charleroi-danses.be
Musique. Patrick Hartono est un jeune compositeur électro-acoustique et un artiste intermédia indonésien. Il interprétera à Mechelen et Bruxelles certaines de ses compositions qui mêlent instruments traditionnels indonésiens, images digitales et sons électroniques.
Le 14/10 à 16h. Point Culture Bruxelles, rue Royale 145, 1000 Bruxelles. www.pointculture.be/bruxelles/
A savoir
Quoi : Festival Europalia 2017 est consacré à l’Indonésie. La programmation s’étend jusqu’au 21 janvier 2018 en divers lieux de Belgique. www.europalia.eu
Ancêtres et rituels : La première grande exposition d’Europalia-Indonésie s’est ouverte au Palais des Beaux-Arts, rue Ravenstein, 1 000 Bruxelles. Jusqu’au 14 janvier. Catalogue : 38 euros.
Beyond the Spoken : En marge de l’exposition "Ancêtres et rituels", une série d’ateliers pour enfants et adultes sont organisés autour des rituels et cérémonies en rapport avec les ancêtres.

3 questions à Marie-Eve Tesch (Responsable des expositions Europalia)
1 Pourquoi avoir choisi les rites et les ancêtres comme première exposition d’Europalia Indonésie ?
Chaque année Europalia débute par une exposition qui fait office d’introduction au pays invité. Pour celle-ci, nous cherchons à chaque fois un fil rouge représentatif. Pour l’Indonésie, le thème des ancêtres s’est rapidement imposé. C’est un élément culturel très présent et un des principaux traits communs de l’Indonésie. C’est un pays immense de 250 millions d’habitants. Il fait plus de 6 000 kilomètres d’est en ouest, il compte plus de 300 groupes ethniques et 700 langues. Il a des cultures plurielles, mais les rites liés aux ancêtres transcendent leurs différences. Cela nous permet de parler du pays dans son entièreté, sans se focaliser sur une région, une période historique ou un groupe culturel en particulier.
2 Ces traditions et rites sont-elles le fruit de diverses influences extérieures ?
Il y a eu effectivement des influences majeures. Dès l’antiquité, l’archipel fait partie d’un vaste réseau maritime d’échanges commerciaux. On trouve des traces de la culture Dong Son, venue du Vietnam actuel, qui remontent à l’Age de Bronze. Dès le Ier siècle de notre ère, les échanges avec l’Inde et la Chine actuelles sont très nombreux et imprègnent toute la culture. Des royaumes hindouistes et bouddhiques règnent sur Sumatra et Java dès le VIIe siècle. Puis s’est ajoutée l’influence de l’islam à partir du XIIIe siècle, notamment dans les cités côtières et à Malacca. Les influences se sont parfois chevauchées, avec l’arrivée de musulmans venus d’Inde ou de Chine. Il subsiste d’ailleurs en Indonésie une importante communauté d’origine chinoise. Enfin, les influences européennes et chrétiennes, d’abord sous l’impact des premiers négociants commerçants portugais, puis du pouvoir colonial néerlandais. Ces influences se sont mêlées, dans une forme de syncrétisme, notamment dans le domaine religieux et dans le culte des ancêtres ou les rites funéraires. On peut le constater dans de nombreux objets religieux.
3 Que nous disent ces traditions de l’Indonésie actuelle ?
Ces rites ne font pas partie du passé. Elles subsistent encore de manière palpable dans plusieurs régions de l’Indonésie. Elles confinent parfois au folklore dans certains lieux, mais ces croyances ou ces pratiques restent très présentes. La constitution indonésienne reconnaît officiellement six religions, même si l’islam est de loin la plus dominante. Les traces de ces traditions se retrouvent dans les arts. On pourra le constater par exemple dans notre programme des arts de la scène, plusieurs danses traditionnelles, comme les danses Cirebon, ont des origines rituelles. Et elles influencent à leur tour des danseurs et chorégraphes indonésiens contemporains. Ces cultures religieuses ont été "digérées" par certains artistes contemporains qui, consciemment ou non, en reproduisent des traces ou les interrogent dans leurs créations.