Magritte et Broodthaers: le duo qui inventa l’art actuel
Publié le 12-10-2017 à 18h07 - Mis à jour le 12-10-2017 à 20h21
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L’exposition au musée des Beaux-Arts à Bruxelles qui clôture l’année anniversaire de la mort de Magritte en 1967 s’avère passionnante.
Elle montre en 150 oeuvres, les liens de pensée entre René Magritte et Marcel Broodthaers et la manière avec laquelle ils ont influencé ensuite de nombreux artistes d’aujourd’hui.
Pour plagier Magritte, « Ceci n’est pas une rétrospective Magritte », celle-ci existe déjà au musée Magritte, juste à côté de cette importante exposition « Magritte-Broodthaers et l’art contemporain ».

Keith Haring: Homage à Magritte , 1989
Elle prolonge et amplifie plutôt celle du Centre Pompidou, il y a un an. Loin d’un Magritte réduit à des chromos populaires et des images sans cesse revues, elle présentait déjà un Magritte discutant avec les penseurs de son temps, s’interrogeant sur le statut de la peinture, de l’objet, du langage, sur le rapport entre signifié et signifiant.
Au musée des Beaux-Arts à Bruxelles, l’exposition a été réalisée par Michel Draguet, son directeur, en collaboration avec Charly Herscovici de la fondation Magritte et Maria Gilissen, la veuve de Broodthaers.

Magritte: la trahison des images 1929, LACMA muséum
On y retrouve comme oeuvre centrale, « La trahison des images » (1929), « Ceci n’est pas un pipe », avec l’idée si moderne que l’image n’est pas la réalité et peut la trahir. Il peignit d’ailleurs dans sa « période vache », un philosophe envahi de pipes.
Magritte a expliqué avoir eu deux périodes. D’abord son adhésion au surréalisme de Breton et à une beauté onirique de hasard. Mais aussi une autre, qui débuta avec les « tableaux-mots » et la recherche d’une beauté raisonnée, basée sur la philosophie. C’est ce Magritte-là, conceptuel, qui séduisit après-guerre, lors d’une exposition en 1954 à New York, les grands peintres américains Jasper Johns, Warhol, Rauschenberg qui achetèrent Magritte. L’expo montre des oeuvres emblématiques de ces artistes fascinés par Magritte.
Magritte comme conceptuel
Si en Europe, on catégorise souvent Magritte comme un surréaliste (tendance belge), aux Etats-Unis, il est d’abord un conceptuel. Il est présenté à cette expo, plus intellectuel, dynamiteur de nos idées préconçues, répétant que "ce n’est pas ce que nous voyons qui nous permet de voir ».

Broodthaers reçoit autant de place que Magritte. C’est une chance pour un large public de découvrir ainsi, via un Magritte plus facile d’accès, l'oeuvre de Broodthaers subversive, pleine d’humour, essentielle pour les artistes contemporains mais réputée parfois à tort, être difficile.
Quand on voit ce dialogue si fécond Magritte-Broodthaers, on regrette que la Belgique n’ait pas pu conserver en 2011 la grande collection Broodthaers d’Herman Daled qui fait aujourd’hui les beaux jours du MoMA à New York.
L’exposition bruxelloise évoque peu sa première période surréaliste et pop, à la sauce belge, marquée par les moules et les coquilles d’œuf. Par contre elle insiste sur les questions fondamentales qui restent actuelles et qu’il posa ensuite avec un sens politique contestataire et très poétique, posant des rébus plus qu’apportant des réponses: Que devient l’objet courant, ou l’objet dit d’art ? Le langage? La place du visiteur?
Mallarmé
Magritte et Broodthaers furent tous deux fascinés par Baudelaire et surtout Mallarmé qui les amena à poser la question du langage, à émettre des énigmes poétiques, à jeter des pierres dans la mare de l’art et de voir les ronds formés, avec humour, générosité et intelligence. Nous laissant séduits et perplexes, nous empêchant de devenir de simples consommateurs.
L’expo veut éviter toute chronologie et débute par le dernier tableau de Magritte « La page blanche » où subtilement, il peint la lune devant les feuilles de l’arbre et non pas derrière, s’exclamant: « Si on voyait des feuilles dernière la lune, ce serait inouï, la vie aurait enfin un sens ».
On découvre les photos amusantes prises par Maria Gilissen avec Magritte et Broodthaers jouant avec un chapeau melon.
Mallarmé poussait la poésie au-delà de ses limites. Broodthaers qui fut poète avant d’être artiste, et Magritte, en furent fortement influencés. A la fin des années 60, Broodthaers est sous l’influence de Barthes et Lacan. Il retrouve son "métier" initial de poète et le mêle à celui de plasticien. Il joue avec les mots, fait glisser les signifiants loin des signifiés, continue l’œuvre pionnière de "Ceci n’est pas une pipe", montrant que la représentation d’un objet n’est pas l’objet.
"Un coup de dé jamais n’abolira le hasard", que Mallarmé écrivit en 1897 est un poème visuel, incompréhensible, à la typographie variable. Broodthaers reprend ce texte que Magritte, dans un geste symbolique, lui avait offert en 1945 quand il n’avait que 21 ans. Il barre chaque phrase, ne laissant qu’une partition vide, un poème sur lutrins, réduit à son essence rythmique. Et il suspend au-dessus quatre plaques émaillées avec la pipe de Magritte.
Liens avec des artistes contemporains
On voit aussi à l’expo comment Magritte utilisa Alice au pays des merveilles pour dynamiter la peinture et comment Broodthaers s’empara de la fable "Le Corbeau et le Renard", pour découper les phrases et en faire un film qui fait défiler les mots, sans que le sens apparaisse, comme dans la vie courante où nous sommes entourés de signes sans signifiés.
L’expo se déploie autour de concepts: les mots-portraits, l’objet pour horizon, la malédiction, etc., sans oublier la « période vache » si longtemps incomprise où les tableaux de Magritte sont comme ce que verrait un prisonnier sorti de la caverne de Platon, et qui découvre brusquement la réalité à la lumière du soleil et serait pris pour un fou.
A cette période, sont associés les artistes contemporains George Condo et Martin Kippenberger.
On retrouve à l’expo les post-magritiens belges (Leo Copers, Jacques Lennep, Jacques Charlier). A « Ceci n’est pas une pipe » est relié Joseph Kosuth qui montre les états possibles d’un radiateur: définition du dictionnaire, photo et objet.
Les associations entre Magritte et les artistes actuels montrées à l’expo sont très littérales et d’apparence évidente, forçant sans doute un peu les filiations. La bouteilles-carotte de Magritte côtoie la bouteille-lait de Broodthaers. Dans « Le Sourire », Magritte peint une date comme le fera On Kawara. La pipe de Magritte est réinterprétée par Broodthaers et Keith Haring. La cible (« Target ») de Jasper Johns se retrouvait déjà chez Magritte. Ses « pieds-souliers » ont une réplique chez James Lee Byars. Son trombone en feu est repris par Arman et Leo Copers. Les mots-portraits sont comme ceux de Baldessari et Barbara Kruger.
Ne manquez pas, à la fin du parcours, la fenêtre ouverte sur le ciel, un vrai-faux ou faux-vrai de Robert Gober, une touche d’humour de plus pour une belle expo qui évoque le paradoxe de Magritte : «C’est le mystère qui éclaire la connaissance ». « C’est à partir de cette pipe que j’ai tenté l’aventure », disait Broodthaers.
Magritte-Broodthaers et l’art contemporain au musée des Beaux-Arts à Bruxelles jusqu’au 18 février. Exceptionnellement, le musée sera ouvert 7 jours sur 7