Gauguin, un artiste qui a tout osé
Publié le 13-10-2017 à 21h08 - Mis à jour le 13-10-2017 à 21h09
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On y entre en Gauguin un peu comme si l’artiste, nous prenant la main, nous conduisait, rebelle généreux à travers les arcanes de son long et passionné chemin de créateur sans filet.
Gauguin, c’est le refus des contraintes et des ordres et, malgré doutes et misère, une foi inébranlable en sa valeur créatrice. C’est le dur désir de créer en se projetant ailleurs et plus loin.
C’est l’imaginaire qui prend le pouvoir en renvoyant à leurs mesquineries les imbus du pouvoir, les piteux comptabilisant leurs actes et ce qui fonctionnarise la destinée humaine. C’est le battant anar dans sa splendeur (son horreur pour les prudes et les sectaires), son efficacité.
Et tant pis pour les grincheux petits-bourgeois n’ayant vu en lui qu’un homme aveuglé par un égoïsme de façade, un mari odieux envers les siens, un gribouilleur d’insanités, de tableaux obscènes, abominables d’où qu’on les regarde, un vicelard en quête de nubiles !
Chicago et Paris fers de lance
Déjà partenaires en 1989, au même Grand Palais parisien, l’Art Institute de Chicago, le Musée d’Orsay et le Grand Palais ont remis le couvert, vingt-huit ans plus tard, pour approfondir la connaissance d’un Paul Gauguin (Paris, 1848-Atuona, 1903) dont ils avaient, déjà alors, montré le prodigieux inventaire de techniques et matériaux abordés au long d’une vie vouée aux apprentissages, découvertes et appropriations des moyens créateurs.
Vouée à la découverte et la réappropriation des anciennes coutumes, des anciens rites, de la splendide innocence de populations qu’il escomptait préservées des affres d’une civilisation trompeuse et réductrice.
Simplement, magnifiquement, mise en scène, murs gris ou bleus, présentoirs et espaces, objets et tableaux ou dessins, sculptures ou bas-reliefs se répondant astucieusement, l’exposition est un régal empli de surprises ou de retrouvailles heureuses.
Prêts d’exception
Si le Musée d’Orsay est un prêteur important de cette rétrospective car il est riche en peintures, sculptures, céramiques de Gauguin héritées de proches de l’artiste, l’Art Institute de Chicago peut se prévaloir d’une très importante collection d’œuvres sur papier. D’autres prêteurs d’importance ont mêlé leurs trésors aux patrimoines précités.
Heureusement visuelle, surprenante à souhait vu l’importance d’œuvres rarement ou jamais montrées, l’exposition est aussi utilement didactique et, à diverses reprises, au cours de la visite, vous serez accueillis par des projections sur grand écran d’une rare utilité : des films intelligents vous y détaillent la manière de l’artiste de s’approprier les techniques à sa disposition : peinture à l’huile, taille du bois, modelage de la terre et recours aux engobes, gravure sur zinc, sur bois, lithographie, dessin, aquarelle et pastel.
Et puis, à travers tout cela, un seul mot d’ordre : admirer, se régaler ! Trop longtemps minimisé pour un côté jugé trop décoratif, Paul Gauguin retrouve, depuis quelques bonnes années, l’aura exponentielle qu’il mérite.
Venu au moment charnière d’un art enclenché vers la Modernité, un art qui renvoyait à leurs études les pontifes et les pompiers des académies, Gauguin - à l’instar d’un Cézanne, d’un Van Gogh - fut à l’avant-garde d’une révolution artistique à laquelle devraient toujours être attentifs les créateurs actuels.
On peut même penser que, plus que ses deux compères, Gauguin fut un révolutionnaire hors catégorie, un avant-gardiste au four et au moulin entre références au passé et projection dans l’avenir, entre art et artisanat. Un homme nouveau comme le revendiqueraient plus tard les suprématistes russes ou le Bauhaus.
A cet égard, l’expo parisienne est d’une surprenante importance !
Grand Palais, Square Jean Perrin, Paris. Du 11 octobre au 22 janvier. Catalogue RMN, 320 pages, 45 euros. Infos : www.grandpalais.fr/fr/evenement/gauguin-lalchimiste
Pièces à conviction
En exergue au début de l’expo une phrase d’August Strindberg à Paul Gauguin est symptomatique du registre dans lequel l’ex-agent de change se positionnait en passionné fou d’action à bride abattue : "Gauguin le sauvage a quelque chose du Titan qui, jaloux du Créateur, fait sa propre petite créature, l’enfant qui démonte ses joujoux pour en refaire d’autres, celui qui renie et qui brave !"
A l’époque dans le monde des affaires, époux d’une Danoise éprise de rigueurs protestantes et de vie cousue d’or, père d’enfants qu’il chérit, collectionneur amoureux des tableaux de Cézanne, de Pissarro son premier mentor, Gauguin utilise ses loisirs à l’étude de la peinture et du dessin.
Très vite aussi "La petite danseuse" de Degas, faite de cire et de matériaux composites, attire son intérêt pour la création tous terrains. Et il se met à tailler le bois de façon fruste, brutale, qui correspond bien à sa pensée sur l’acte créateur, naturel, presque votif. Des œuvres exceptionnelles nous renseignent à ces égards.
Non dénué d’humour, Gauguin, qui aimait rire, se représente, dans un bas-relief, sous une possible double casquette : le bohême ou le banquier ventru.
Un coffret en poirier de 1884 est interpellant à l’intérieur et à l’extérieur comme l’est cette "Bretonne assise", craie noire et pastel de 1886, par l’audace de sa mise en espace.
Et, de 1886 aussi, "La bergère bretonne", une huile sur toile, révèle tôt son choix des symphonies chromatiques quand, de pair, il accentue ses coloris et accuse l’identité du regard.
Fond et forme
Artiste et artisan, homme aimant, touchant, Gauguin harmonise la forme et le fond, le décor et la vie, les aplats et le foudroiement coloré. Il est un génie des arts visuels et de l’expression qui sublime la réalité. Et son symbolisme latent participa à bien d’autres aventures, sa conquête de la liberté couronnant l’ensemble d’une œuvre énergétique et, en même temps, jouissive par ses silences.
L’exposition est si réussie que la décrire serait leurre et manipulation. Il faut la vivre, chacun pour soi, c’est tout le bonheur que nous vous souhaitons. Et tant pis si son célèbre "D’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ?" n’est point du voyage, ses panneaux de bois de sa "Maison du Jouir", érigée à Atuona, sa dernière demeure (la même que pour Jacques Brel) aux Marquises, confèrent sa note finale à un voyage indispensable.
De nombreuses parutions sont à relever, romanesques ou signées Gauguin lui-même : "Et la terre de leur corps", par Zoé Valdes (éditions RMN); "Gauguin : ancien culte mahorie" (Gallimard), un spécial Telerama conduit par Sophie Cachon; et, bien sûr, le catalogue "Gauguin l’alchimiste", magistral et complet (Musée d’Orsay, Art Institute Chicago, RMN), piloté par Claire Bernardi et Ophélie Ferlier-Bouat, du Musée d’Orsay.
Gauguin, film polémique
Le film d’Edouard Delluc, où le peintre est interprété par Vincent Cassel, est sorti le 20 septembre dernier en France. "Gauguin - Voyage de Tahiti" retrace l’histoire de son exil à Tahiti, de sa rencontre avec cette culture et avec Tehura, 13 ans, qui deviendra sa compagne. La polémique est née du fait que le film ait gommé tant la réalité coloniale peu glorieuse de l’époque, mais également la jeunesse des compagnes du peintre.