En flamand, dans le dessin
Publié le 17-10-2017 à 16h27 - Mis à jour le 17-10-2017 à 16h36
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Le centre belge de la bande dessinée offre un regard sur la "nouvelle bande dessinée flamande". Ils ont pour nom De Poortere, Vanistendael, Evens, Olbrechts... Si leurs styles et univers sont différents, ils ont en commun une vision audcieuse de leur art.
Le territoire flamand est étriqué, mais en ce qui concerne la bande dessinée, son horizon est vaste. Pour le grand public, les frontières du Neuvième Art à la flamande sont bornées par les bédés populaires des grands anciens : "Bob et Bobette" de Willy Vandersteen, "Néron" de Marc Sleen, "Jommeke" (Gil et Jo, en VF) de Jef Nys. Or, depuis une bonne quinzaine d’années, une génération d’auteurs a libéré la bande dessinée flamande du carcan de la BD de (bon) papa, triturant et bouleversant les codes narratifs et graphiques.
Les pousses de cette "nouvelle bande dessinée flamande" ont germé dans des écoles comme Sint-Lucas, à Gand ou à Bruxelles - sous la houlette d’aînés comme Nix, Johan De Moor - où ils ont parfait leur formation graphique et développé l’art de raconter. Surtout, elles ont été patiemment arrosées par le Vlaams Fond voor de Letteren (Fonds flamand des lettres), qui a investi en ces auteurs, leur accordant des bourses pour leur donner le temps et les moyens de développer leurs projets mais également en assurant la traduction et la promotion de leurs œuvres à l’international. Le Centre belge de la bande dessinée leur consacre une exposition, tirant le portrait d’une dizaine d’entre eux.
Humour décalé, récits intimes, expérimentation
Les uns, à la suite de Kamagurka et Herr Seele creusent le sillon de l’humour, souvent grinçant, vachard et absurde. Ils ont pour nom Nix (auteur des strips mettant en scène les jumelles terribles "Kinky et Cosy", et de "Billy Bob", le cow-boy le plus stupide à l’Ouest du Pecos), Pieter De Poortere, créateur de l’hilarant "Boerke" (lire ci-contre) ou encore le plus arty, mais non moins drôle, Brecht Vandenbroucke.
Les autres ont emprunté la voie de récits plus intimes et personnels. En la matière, chaque ouvrage, signé par Judith Vaninstendael est un bijou, que ce soit l’autobiographique "La jeune fille et le nègre", "David, les femmes et la mort" et "Salto", ou l’histoire d’un garde du corps d’une personnalité basque, qu’elle a rencontré sur le chemin de Compostelle.

D’autres encore, ont choisi de pousser loin l’expérimentation graphique, comme Brecht Evens. L’auteur des "Noceurs", récompensé à Angoulême en 2011, des "Amateurs", du dérangeant "Panthère") s’est affranchit du cadre étroit de la case, pour laisser libre cours à son travail à l’aquarelle et à la gouache, stupéfiant maelström de couleurs, sans perdre le sens du récit.
A leurs côtés figurent encore Serge Baeken, Ben Gijsemans, Ilah, Wauter Mannaert, Jeroen Janssen, Randall C., Simon Spruyt, Michaël Olbrechts, Maarten Vande Wiele… (manque, assez inexplicablement, Olivier Schrauwen) L’exposition de leurs travaux permet de découvrir ces auteurs, largement méconnus du public francophone. Tout comme les portraits croisés qu’ils livrent les uns des autres dans des interviews filmées… qui démarrent une fois que le visiteur a donné quelques coups de pédale sur le vélo placé devant l’écran. La nouvelle BD flamande se mérite.
La nouvelle BD flamande, Centre belge de la bande dessinée, jusqu’au 3 juin 2018. 20, rue des Sables, 1000 Bruxelles. Ouvert tous les jours de 10 à 18 h. www.cbbd.be

"Nous ne sommes pas un mouvement, mais nous nous connaissons tous"
Pieter de Poortere (né à Gand, en 1976) est un des plus emblématiques représentants de la "nouvelle bande dessinée flamande". Son rayon à lui, c’est l’humour décalé. Dans ses strips, ce qu’on appellera, faute de mieux, le "surréalisme à la belge" rencontre le "non sense" anglo-saxon. La férocité de cet humour volontiers noir, et muet, est traduite par un trait minimaliste tout en rondeur.
"Boerke" ("Fermier", Dickie, en français) est son personnage fétiche. Un agriculteur pas trop malin, qui, quand il ne se prend pas les pieds dans le quotidien, traverse le temps et l’espace pour arpenter les plateaux des grands films hollywoodien, devenir prince-pas-trop-charmant, visiter les galaxies lointaines et qui se trouve être… le fils naturel de Hitler. Très vivement conseillé, crampes aux zygomatiques assurées, bégueules s’abstenir. "J’ai créé ce personnage durant ma formation à Gand", rappelle Pieter De Poortere. "A l’époque, il se suicidait beaucoup plus souvent que maintenant. Mais je dois toujours faire en sorte que tout ce qu’il entreprend se passe mal."

Quelle est, selon vous, la particularité de cette "nouvelle bande dessinée flamande" ?
La grande spécificité de tous ces auteurs, c’est qu’ils sont en rupture avec le passé. Il y a eu beaucoup de bande dessinée d’humour absurde - Kamarguka et Herr Seele ont montré la voie - mais depuis quelques années, des auteurs ont cherché de nouveaux horizons, dans le domaine de l’illustration, de l’art, de la poésie. C’est un peu comparable avec ce qui s’est passé en France, avec l’apparition du roman graphique. Il y a une profusion de styles. Nous ne sommes pas un mouvement, mais nous nous connaissons tous. Il y a dans la bande dessinée flamande beaucoup de richesse, beaucoup de talents. C’est sans doute dû au soutien apporté par le Vlaams Fond voor de Letteren (VFL - Fonds flamand des lettres), depuis 10-15 ans. Son soutien a beaucoup aidé cette génération à trouver le temps de mûrir des projets - Willy Vandersteen (créateur de "Bob et Bobette", "Bessy", "Le Prince Riri", etc., NdlR), devait, lui, rendre trois planches par semaine.
Beaucoup d’entre vous sont passés par Sint-Lucas, à Gand ou à Bruxelles. Quelle a été l’importance des écoles d’art, dans l’éclosion de cette génération d’auteurs ?
Je pense qu’elles y ont vraiment contribué. A Sint-Lucas Gand, il y a vraiment une formation d’auteur de bande dessinée. La plupart des auteurs ont eu cours dans ces écoles. Dans notre formation, il y a toujours une partie basée sur l’illustration, plus que par le passé. On a aussi pu compter sur quelques éditeurs, comme Oogachtend et Dries, qui ont commencé à publier notre travail.
Quelle est influence de la bande dessinée flamande "historique" de Vandersteen, Marc Sleen… sur les auteurs de la nouvelle génération ?
Il y a parfois des clins d’œil au passé, mais pas vraiment d’influence, je pense. J’ai lu énormément de bandes dessinées franco-belges et de l’école de Vandersteen, mais ça m’est très personnel.
La bande dessinée flamande s’exporte bien. Mais y a-t-il un large public flamand qui lit le travail de ces auteurs ?
Le VFL mène un vrai travail pour que nous soyons traduits. C’est le cas de beaucoup d’auteurs flamands qui sont souvent traduits, et ça permet d’avoir un lectorat international (De Poortere travaille notamment dans "Le Courrier international" et "Fluide glacial). Il y a un public flamand, mais il n’est pas très important. Aucun d’entre nous n’a le tirage de "Bob et Bobette". Les plus grands succès sont tirés à 5000 exemplaires. Ce n’est pas extraordinaire, mais ce n’est pas mal, quand même. Je ne suis pas certain que le grand public soit au courant de l’existence de cette nouvelle bande dessinée flamande, parce qu’il y a peu de possibilité de prépublication.