Hugo Claus, poète, « rebelle sans bretelles »
Publié le 27-02-2018 à 09h37 - Mis à jour le 28-02-2018 à 10h38
Une grande évocation « Con amore » d’Hugo Claus, l’écrivain, le peintre, le poète, le réalisateur, mort il y a juste 10 ans. Au Palais des Beaux-Arts, un parcours sensible, rempli d’œuvres d’art et de souvenirs intimes, préparé par Marc Didden.
Non, Hugo Claus (1929-2008) n’est pas mort à 78 ans, d’une euthanasie, le 19 mars 2008, il y a juste dix ans. Son génie et son charme ravageur sont encore bien vivants à l’exposition que lui consacre le Palais des Beaux-Arts à Bruxelles. Une exposition intime qui ne vise pas à être complète ou scientifique car comment dire tout d’un homme qui a écrit des dizaines de livres, des centaines de poèmes, qui fut cinéaste et peintre. C’est, à la place, une vraie déclaration d’amour que lui rend Marc Didden, ami de Claus et, lui-même, multi-talents: journaliste, réalisateur, professeur, acteur, scénariste et commissaire de cette exposition.
« Je n’aurais jamais voulu faire une exposition sur Claus, mais bien une exposition pour Claus », nous dit-il. Il a pris comme titre « Con amore », la phrase que l’écrivain ajoutait souvent à la fin de ses lettres.
Marc Didden a croisé dans son adolescence l’oeuvre d’Hugo Claus et elle a bouleversé sa vie comme ce fut le cas pour tant de jeunes Flamands désireux de secouer un conservatisme marqué par la religion et les traditions : « J’étais élève chez les Jésuites au collège Saint-Jean Berchmans à Bruxelles dans les années 60-61, et nous avions visité une fête du livre néerlandophone où se trouvait un recueil de poèmes d’Hugo Claus. Le prêtre s’est alors écrié : ‘Didden ne touche pas à ça, c’est de la saloperie’. Bien entendu, l’interdit était attirant. Et peu après, je découvre dans le magazine Elsevier que lisait mon père, une photo d’Hugo Claus à Rome, assis à une table avec Karel Appel et deux superbes femmes, en train de boire des camparis. Je me suis alors dit que c’était cette vie là que je voulais avoir ! Et depuis, je suis tombé amoureux de tous les écrits d'Hugo Claus. »
L’exposition est conçue comme une film divisé en chapitres. Elle débute par « L’artiste en jeune chien », avec Claus enfant, dans l’atelier d’imprimerie de son père (il imprimait surtout des images pieuses) frappé par « l’odeur de l’encre et les rouleaux luisants de la presse ».
Vite, il s’échappa de ce petit milieu courtraisien qui l’oppressait pour aller à Gand, Ostende, Lille.
Les tableaux
Il se maria une première fois en 1955 avec la superbe mannequin Elly Overzier. En une nuit, il lui avait écrit un long poème illustré « Herbarium » montré à l’expo. Le couple avait choisi de se marier dans le café de la Fleur en Papier Doré (celui de Magritte). Hugo Claus fut un homme à femmes, mais précise Marc Didden, « ce n’était jamais lui qui les séduisait mais elles qui tombaient dans ses bras. Il avait un charme et une gentillesse énormes, tout le monde l’aimait ». On sait comme il fut aussi le mari très « people » de la si belle Sylvia Kristel, l’actrice d’Emmanuelle.
Sur les murs de l’expo, on découvre des tableaux évocateurs de l’oeuvre de Claus, avec des noms célèbres comme Thierry De Cordier (magnifique marine), Luc Tuymans, Michaël Borremans, Jorn, Alechinsky, Ensor, Raveel, Jan Vanriet, etc., avec des jeune artistes actuels, un film d’Henri Storck et, mélangés à cela, des souvenirs humbles comme la carte de membre de Claus dans un club culturiste ou l’emblème en bois du café La Fleur en Papier Doré. Un mélange de haute culture et de culture populaire comme l’aimait Hugo Claus.
Ostende fut fondateur pour l’écrivain. Ostende, c’est Spillaert, Ensor, les film de Storck qu’il aimait tant et qu’on voit à l’expo, le « Blues de la mer » disait Claus.
Là, désargenté, « le soir, comme il sied aux romantiques, nous allions dans des bars avec des ‘entreteneuses’, j’étais à mon affaire ». Il y rencontre un homme qui lui propose un deal: « Je te prête une chambre pour un mois et je te paie 25000 francs (une grosse somme à époque) si tu termines un roman dans ce délai.» Hugo Claus réussit le pari avec son premier roman « La chasse aux canards » qui reçoit peu après, un prix, de 25000 francs à nouveau.
Le lion et les poux
Avec cet argent, il file à Paris. « Paris regorge de gens qui font de l’esbroufe. Quand je suis à Paris je constate que je suis un produit du pays de Permeke; toutes ces jacasseries, bah… » Là il vit la vie de bohème, rencontre Juliette Gréco, Bernard Buffet, le jeune Sollers, Antonin Artaud, croise de Beauvoir à une terrasse, participe à la révolution surréaliste fait partie comme peintre, du mouvement Cobra avec ses amis Appel et Jorn. « C’est grâce aux Belges et aux Danois que Cobra n’est pas devenu un mouvement de curés », écrit-il. « On devint partie de la croûte du monde. On continua à colorier l’épouvantail dans la cour de récréation par ailleurs déserte. »
Il y eut aussi un séjour en Italie où il apprend à connaître le milieu cinématographique.
On parcourt ainsi, par coups de coeur, la vie et l’oeuvre de Claus, le nez sur les tableaux, les yeux dans ses poèmes.
Il y a aussi Hugo Claus le dramaturge génial de « Vendredi » (pièce terrible sur l’inceste), Hugo Claus le peintre, Hugo Claus le réalisateur inégal mais toujours généreux.
Il fut aussi le « rebelle sans bretelles » dit Marc Didden. Sa langue baroque, remplie des bruits et odeurs de Flandre, a fait vite le tour de l’Europe. Il était déjà découvert en France en 1954 à 25 ans. Il osait débusquer le passé de la collaboration, les méfaits du colonialisme au Congo . Il n’avait que faire de nos problèmes linguistiques. « Le lion ne s’occupe pas des poux dans sa crinière », disait-il. La légende, qui ne prête qu’aux riches, prétend qu’il avait choisi d’être euthanasié, au bout de son Alzheimer, le 19 mars 2008, pour que le lendemain cette nouvelle puisse éclipser l’intronisation du premier gouvernement Leterme !
La Trinité nue
En mai 68, il buvait du champagne à la brasserie Lipp et demanda, dit-on, en blaguant, aux serveurs s’ils pouvaient dire aux jeunes en rue de faire moins de bruit. Généreux, intéressé par tout, « il était aussi un flambeur, raconte Marc Didden, qui payait avec des billets de 1000 francs très rares à époque. »
1968 c’est ami l’année du procès Claus. Jacques Ledoux qui dirigeait la Cinémathèque et le festival du film expérimental de Knokke lui avait demandé d’y faire, en janvier, une « performance ». Ce fut « Masscheroen » quand apparaissaient sur scène trois hommes complètement nus incarnant la Sainte Trinité. Yoko Ono à son tour monta nue sur scène. Le scandale fut grand et Hugo Claus fut condamné à 4 mois de prison (finalement avec sursis), pour outrage aux bonnes moeurs. C’était l’époque où le ministre Vranckx coupait dans les films et où les journaux (y compris La Libre) donnaient des cotes de moralité aux films.
Hugo Claus organisa en plein Mai 68 (dont Bozar fête ainsi les 50 ans) une réunion anti-censure au Palais des Beaux-Arts et y prononça ces mots qui restent d’actualité : « Nous vivons dans une terreur à première vie inoffensive qui nous impose un type de comportement , une vision du futur moisie, terne, sans espoir, qui anesthésie toute imagination et qui ne connaît pour tout slogan que ces mots: les avoirs et la rente. Il nous faut agir contre cette terreur. »
Bien sur, l’expo évoque aussi Hugo Claus l’écrivain du merveilleux livre « Le chagrin des Belges » (avec ce tableau d’un village flamand si traditionnel, par Luc Tuymans). Marc Didden conseille de lire tout et d’abord ses « Nouvelles ». Les Belges francophones découvrant Claus, sont évoqués avec Jacques De Decker pour son théâtre, Alain van Grugtem, son traducteur jusqu’aux écrivains Jean-Luc Outers et Caroline Lamarche qui lui disent tout leur amour.
« Je n’a pas le temps de mourir, disait-il, j’ai d’autres choses en tête ».
Le Nobel mal inspiré, a raté le coche et n’a pas couronné cet immense artiste dont "le seul tremplin est la passion" comme il le disait, ce lion rugissant des arts, cet anarchiste de la pensée, ce "Peau-Rouge qui ne marchera jamais en file indienne" comme aurait dit Achille Chavée.
« Hugo Claus, Con amore », à Bozar à Bruxelles jusqu’au 27 mai. Avec un superbe catalogue qui est plutôt un livre de tendresse pour Claus

Aussi au programme
Le KVS va rejouer « Le vie et les oeuvres de Léopold II » d’Hugo Claus, critique vitriolée du second roi des Belges et de son entreprise économico-religioso-coloniale (6 au 8 mars).
Au KVS aussi, avec le Rideau de Bruxelles, Christophe Sermet crée en français, « Dernier lit » d’Hugo Claus (du 19 au 30 mars).
A la Cinematek, trois films d’Hugo Claus seront au programme entre le 1-3 et le 10-4.
Et à Bozar, le 19-3, à 20 h une encontre littéraire sur Claus avec Jacques De Decker, Jean-Luc Outers et Caroline Lamarche, et divers poèmes.