Bacon, Freud, peindre l’humain dans sa chair
Publié le 28-02-2018 à 09h09 - Mis à jour le 28-02-2018 à 12h40
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En annonçant Francis Bacon et Lucian Freud dans le titre de sa nouvelle exposition, la Tate Britain attire la foule. Mais si chacun d’eux montre une quinzaine de tableaux, parfois très rarement vus, l’exposition « All Too Human » (« Humain, trop humain », disait Nietzsche) dépasse ces deux cas pour étudier « L’école de Londres ». Comment dans les années 50, un petit groupe de peintres, tous amis et s’admirant mutuellement, mais avec des styles différents, a choisi de réexplorer la vulnérabilité de l’homme et la fragilité de la destinée humaine. Ils ont alors réinventé la peinture figurative jusqu’aujourd’hui, exprimant la vie, parfois la souffrance et la solitude, à l’opposé des modes de l’art conceptuel, minimal, de l’abstraction et du Pop art.
Ils ont réussi bien souvent à montrer ce que les mots ne peuvent dire: ce qui nous rend humains, fragiles et merveilleux.
Il y a bien sûr Francis Bacon avec une salle consacrée à ses premiers merveilleux tableaux : le cri d’un homme, la souffrance d’un chien ou d’un singe devenus images de l’homme, confrontés à la Tate à une sculpture de Giacometti qui avait tant frappé Bacon lors d’un séjour à Paris. C’est la même angoisse après les désastres de la guerre et de la bombe atomique.
Mais on trouve aussi ce magnifique tableau de Michael Andrews : il s’est peint nageant avec sa fille Mélanie, la tenant tendrement par les mains, avec une immense douceur mais dans une eau noire entourée de rochers hostiles.
Ces peintres ne sont pas partis de rien. On montre l’influence qu’ont eu sur eux l’expressionnisme de Soutine et les nus fascinants de Walter Richard Sickert au début du XXe siècle.
La peinture se fait chair
Dans une salle consacrée à ses grands tableaux de maturité, on voit comment chez Bacon, les viscères semblent sortis et incarnent le cri, la souffrance, comme Picasso quand il peint Guernica ou Grünewald et son incroyable crucifixion d'Issenheim. On se souvient de sa phrase célèbre: «Je voudrais que mes tableaux donnent l'impression qu'un homme s'y est faufilé, comme un escargot, y laissant une traînée de présence humaine et une trace des événements passés, comme l'escargot laisse sa bave».

A côté de cela, il y a Lucian Freud à ses débuts, avec une peinture douce quasi hyperréaliste. Comme ce beau portrait de sa femme Kitty Garman assise, un chien blanc endormi sur ses genoux, un sein sortant de son peignoir. On y voit tout le mystère d’être-là au monde.
La grande salle des Freud de maturité est le centre de l’expo. Là s'expriment les fondements même de la peinture, avec comme chez Titien ou Rembrandt, ce corps à corps avec la matière et la toile pour tenter d’exprimer l’âme de ses modèles. Un processus jamais abouti qui vise à transformer la peinture en Chair comme Dieu avait changé le Verbe en Chair. On y revoit ses modèle si nus et massifs, le poids de l’Homme dans la pesanteur mortelle de ses chairs mais aussi le portrait de sa mère, une fille dormant ou les plantes à la fenêtre de son studio. Tout a été peint dans son atelier de Notting Hill, un atelier vide. Juste quelques objets : un vieux sofa, un lit, son chien qui dort, une plante verte. Le monde entier peut s’exprimer dans ce huis clos. "Pour moi, disait-il, le vrai voyage s’accomplit en profondeur. Il consiste à savoir où l’on est, à mieux l’appréhender, à explorer les sensations que l’on éprouve le plus profondément. Pour moi, le tableau est la personne. Je veux qu’il fonctionne comme la chair. »
Gros plan saisissant
L’expo montre des inédits comme ce beau portrait de Freud par Bacon. Ils s’était rencontrés au milieu des années 40 et pendant des années, se voyaient quasi chaque jour, dans les bars et clubs de Soho.
Bacon et Freud n’étaient pas seuls. On montre de beaux tableaux de Frank Auerbach, Leon Kossoff, R.B. Kitaj. On découvre aussi des artistes méconnus ayant travaillé à Londres, comme l’Indien Souza et ses personnages primitifs et écorchés comme du Basquiat ou la Portugaise Paula Rego et ses étranges mises en scène de femmes.
Tous ces peintres ont été au plus proches de l’humain. Leur héritage se poursuit dans une dernière salle qui montre comment des femmes peintres d’aujourd’hui reprennent cette ambition avec l’autoportrait de Jenny Saville montrant en gros plan sa tête couchée, comme sanguinolente ou les peintures de Lynette Yiadom-Boakye d’immigrés à Londres.
« All Too Human, Bacon, Freud and a Century of Painting Life », Tate Britain, Londres, jusqu’au 27 août. Avec Eurostar, Londres est à deux heures de Bruxelles. La Tate offre un second ticket d’entrée sur présentation du billet Eurostar.