Lafayette Anticipations: au cœur de Paris, Rem Koolhaas imagine une usine à artistes
- Publié le 06-03-2018 à 14h07
- Mis à jour le 06-03-2018 à 14h08
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Parmi les Fondations d’art qui prolifèrent en France, celle des Galeries Lafayette, très loin du show, détonne par sa radicalité « au service des artistes ».
Rem Koolhaas a créé ce « laboratoire » pour la Fondation Lafayette Anticipations à deux pas du Centre Pompidou.
Les Galeries Lafayette, à leur tour, se lancent dans l’art contemporain. Mais pas du tout comme la Fondation Vuitton à Paris (Bernard Arnault), ou comme François Pinault à Venise et bientôt à Paris à l’ancienne Bourse de commerce ou comme Prada à Milan.
La société, toujours familiale, a choisi un terrain beaucoup plus modeste, pointu et singulier. Elle veut, avec sa filiale « Lafayette Anticipations » créer une usine, un vrai laboratoire pour artistes, un lieu de production d’oeuvres de jeunes artistes internationaux mais aussi un lieu de débats et d’échanges.
La Fondation est dirigée par Guillaume Houzé, 36 ans, descendant des familles propriétaires, petit-fils adoré de Ginette Moulin, l’actionnaire majoritaire du groupe, Le lieu s’ouvre ce week-end, à la rue du Plâtre, à deux pas du Centre Pompidou en plein quartier du Marais. C’est un ancien bâtiment industriel du BHV aménagé par le grand architecte Rem Koolhaas.
Koolhaas est l’homme de la Casa della Musica à Porto, de la tour CCTV à Pékin. Grand théoricien aussi de l’architecture, il a déjà rénové une usine à Milan pour la collection Prada (il y inaugurera fin avril une tour), et un garage à Moscou pour en faire en centre d’art.
C’est la première réalisation de Rem Koolhaas à Paris. Notons que OMA, son bureau, se trouve aussi dans la dernière sélection des architectes pour le futur musée Kanal-Citroën à Bruxelles.

Planchers mouvants
Le bâtiment datant de 1891 était classé et situé dans une zone où quasi rien ne peut être fait, sauf sur la cour au centre du lieu. Le point fort du projet Koolhaas est bien là, invisible de la rue mais audacieux. Dans cette tour de verre enchâssée dans le bâtiment et glissée dans cette cour, il a imaginé quatre planchers qui peuvent bouger verticalement grâce à six crémaillères et changer les configurations des espaces (49 configurations possibles) en fonction des besoins des artistes. Pour créer par exemple des espaces très hauts.
Rem Koolhaas reprend ainsi l’idée qu’il avait appliquée pour la maison Lemoine, à Bordeaux, maison iconique conçue pour un client paralysé et où ce sont les pièces qui bougent verticalement.
Il a choisi comme matériaux, le minimalisme de plaques de métal et de bois et murs couleur sable.
Le siège de Lafayette Anticipations a ainsi 840 m2 d’exposition sur cette tour mobile et sur les cinq niveaux tout autour de la tour pour exposer à l’avenir les oeuvres produites. Mais il y a aussi 500 m2 de laboratoires-ateliers. Aux étages, pour des ateliers légers de sérigraphie par exemple et en sous-sol, avec toutes les machines et le personnel spécialisé pour travailler le métal, le bois, la peinture. Il s’agit de donner aux artistes sélectionnés toutes les libertés et les moyens pour créer et produire. A plus petite échelle certes, le projet veut se relier aux mythiques Bauhaus en Allemagne et au Black Mountain Collège aux Etats-Unis.
Au rez-de-chaussée, une « rue traversante, lieu de vie » a été ouverte, reliant la rue du Plâtre et la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie qui passe par un snack très tendance (Wild & the Moon), une boutique « A rebours » et la vision sur la tour de Koolhaas.
Lieu de production
« Nous avons longuement étudié le projet car nous ne voulions pas faire une simple Fondation de plus. Notre question était : comment nous rendre le plus utile aux artistes ? On a identifié avec eux un grand besoin: la production des oeuvres. Et nous voulons leur donner le moyen de le faire », nous résume Guillaume Houzé. « C’est dans l’ADN des Galeries Lafayette de chercher l’innovation et de la faire partager au plus grand public. »
Vingt et millions d’euros sont prévus en cinq ans pour faire fonctionner cette « usine » pendant les cinq ans à venir, inclus l’aide à la production des artistes. « Lafayette Anticipations » a noué aussi des liens de co-production avec des lieux comme la Kunsthalle de Bâle, Performa à New York et la Tate à Londres.
Il ne faut pas s’attendre à des expos blockusters (la riche collection de Ginette Moulin n’est pas dans la Fondation). On découvrira plutôt des artistes internationaux jeunes que Guillaume Houzé compare à des « voyants » qui seuls, « peuvent porter la vue des hommes plus loin que n’avait coutume d’aller l’imagination de leurs pères», des oeuvres très singulières, hors des codes habituels. C’est « l’inconnu comme moteur de production », dit encore la Fondation. « II n’y a que la création qui puisse envisager dans sa diversité le mouvement d’une époque et nous pousser sans cesse vers de nouveaux horizons ».
Guillaume Houzé se défend d’être trop élitiste dans ses choix: « On veut élever le débat mais aussi l’éclairer grâce à un intense programme de médiation vers le public. »
On est donc aux antipodes du spectaculaire. Pas de Jeff Koons ou Richter, mais derrière une architecture très originale susceptible de changer à chaque visite, on pourra se frotter à la création en train de se faire.
L’exposition d’ouverture est un bon exemple, avec l’Américaine Lutz Bacher, née en 1943, très influente auprès des artistes mais inconnue du grand public. Cette femme qui fuit le médias et réutilise ce qu’elle trouve, a confronté l’architecture du lieu avec les plages de Normandie. Elle projette sur les murs des images de bunkers sur la plage, tandis qu’on entend le bruit assourdissant du vent du large et que le sable est symbolisé par des myriades de paillettes brillantes qui volent dans tout le bâtiment. Au sommet, elle a remplacé les vitres par des surfaces réfléchissantes renvoyant au ciel. Une intervention minimale mais directement sensible, qu’elle appelle « Le silence de la mer », en souvenir du livre de Vercors.

Le souffle dans les caves
Les expositions suivantes montreront les oeuvres réalisées sur place par des artistes sélectionnés dans le monde par le directeur artistique François Quentin et trois curateurs (Charles Aubin, Anna Colin et Hicham Khalidi). Des artistes jeunes qui mêlent souvent les disciplines (art, design, video, etc.). Lors de préfiguration, on vit par exemple, le travail d’Yngve Holen qui avait découpé en quatre quartiers égaux (la pièce s’appelle Cake) une vraie Porsche Panamera et en exposait les morceaux soigneusement découpés pour se demander « s’il est possible de redistribuer les ressources dans un monde où les inégalités ne font que grandir ».
Déjà dans le sous-sol, à côté des ateliers, on a placé l’oeuvre semi-pérenne, étrange, un exemple des possibilités de production, de Camille Blatrix (né en 1984): une forme en aluminium argenté et rouge accrochée au mur comme un triptyque et qui souffle dans cesse de l’air, accroché au mur par un anneau fragile. Dans le « ventre du lieu ».
Après cette ouverture centrée sur le bâtiment, une première exposition collective ouvrira le 20 juin.
Ouvert du 11h à 20h, tous les jours sauf fermé le mardi. Jeudi, vendredi et samedi jusqu’à 22 h. Au 9 rue du Plâtre.
Une foule de Fondations
S’il y a des Fondations historiques comme la Fondation Cartier construite par Jean Nouvel, c’est la loi Aillagon de 2003 sur le mécénat, la défiscalisation de l’art et les Fondations, qui a lancé un vaste mouvement.
On peut citer la Fondation Vuitton à Paris de Bernard Arnault, les lieux vénitiens de François Pinault et en 2019, son installation à la Bourse du commerce près des Halles, la Fondation Luma à Arles avec sa tour de Frank Gehry (ouverture en 2019). Cet été s’ouvrira sur l’île de Porquerolles, la Fondation Carmignac (financier et collectionneur) qui veut y recréer un lieu comme celui de la sublime île de Naoshima au Japon. Sur l’île Seguin, Laurent Dumas du gorge Emerige, fait sa Fondation avec les architectes espagnols RCR. Au bout de la Bretagne, à Landerneau, Michel-Edouard Leclerc a crée son musée qui propose de passionnantes expositions. Agnès b. va aussi créer son lieu. Etc., etc.
« Les pouvoirs publics ne peuvent plus occuper seuls d’art, commente Guillaume Houzé. Les musées n’ont plus les moyens de financer les achats d’oeuvres. Cette loi Aillagon a eu le mérite de rapprocher l’entreprise et le monde artistique. Mais nous travaillons aussi avec les musées. Nous avons par exemple permis la récente exposition de Jean-Luc Moulène au Centre Pompidou».
G.Dt