Les premiers "Beaux livres" jamais imprimés
Publié le 06-03-2018 à 07h43 - Mis à jour le 06-03-2018 à 07h52
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Exposition exceptionnelle d’incunables enluminés à Bruges, au Groeninge Museum.
C’est à une plongée fascinante dans l’histoire de l’art et du livre que nous invite le musée Groeninge à Bruges. Sous l’intitulé d’apparence pointu « Haute lecture, Colard Mansion », on découvre tout un monde de beauté et d’innovation.
On est au XVe siècle, peu après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1455, à Mainz. La révolution de l’imprimerie s’étend alors peu à peu sur toute le continent et Bruges devient une « capitale mondiale » du livre, en particulier du livre de luxe, qu’elle produit et vend à toutes les cours d’Europe.
Dans le musée Groeninge, l’ambiance est feutrée, la seule lumière est celle des livres, de leurs beautés. On est stupéfait de découvrir ces manuscrits et imprimés si anciens dans un tel état de fraîcheur, avec leurs couleurs éclatantes.
L’exposition s’intéresse à un des plus grands imprimeurs brugeois, Colard Mansion dont on ne sait quasi rien sauf qu’il exerça son métier de 1457 à 1484. II avait commencé à Bruges comme copiste, traducteur, libraire, calligraphe et miniaturiste. Mais ce qui intéresse le musée est son activité d’imprimeur et on a pu rassembler toute la collection de ses incunables (on appelle incunables, les livres imprimés entre 1455 et 1500) qu’il a produits jusqu’en 1484. Grâce à 150 prêts venus de 55 institutions du monde entier.
Innovations techniques
A Bruges, il travailla d’abord aux côtés d’un autre imprimeur célèbre, William Caxton avant de se lancer à son compte en innovant dans de nouvelles et coûteuses polices de caractères. La production commerciale de Colard Mansion comprenait autant des manuscrits bourguignons luxueux écrits à la main et enluminés par des artistes que des premiers livres eux aussi enluminés (un des intérêts de l’expo est de voir ce chaînon entre le manuscrit moyenâgeux et le livre imprimé) . Il a innové encore en introduisant dans ses livres des gravures réalisées par des artistes qu’on connait sous leurs noms étranges de « Maître FvB » ou Maître WA ».

Livre d'heures de Charlotte de Bourbon-Montpensier, Alnwick Castle, Duke of Northumberland
Enluminer un manuscrit ou un livre imprimé était un exercice d'une très grande difficulté surtout dans de livres religieux quand ces enluminures étaient en elles-mêmes des prières, le texte et l'image ne formant qu’un.
Pour un livre, on imprimait d’abord le texte en noir, puis les titres et « chapeaux » en rouge et on laissait la place libre pour l’intervention des artistes. On montre à l’expo, côte à côte, des manuscrits non enluminés et d’autre qui le sont. Et un film reconstitue tout le processus de fabrication.
On est frappé aussi de voir que beaucoup de ces livres étaient en français, alors la langue du peuple, preuve de la volonté de Colard Mansion d’atteindre de nouveaux publics. Il avait aussi lancé la production d’ouvrages d’actualité et même, d’almanachs populaires.
De vrais tableaux
Ces enluminures sont de vrais tableaux comme ceux des primitifs flamands et s'ornent de marges faites d'un fouillis très ordonné de fleurs et de saints. Il faut admirer le fuite en Egypte de Marie, Joseph et Jésus et au fond, le magnifique paysage. Une des plus belles peintures est celle du viol et du suicide de Lucrèce réalisé par Valerius Maximus.
On utilisait beaucoup d’or déposé délicatement par feuilles collées sur de légers creux faits dans le papier (ou la peau pour un manuscrit). Chaque artiste avait ses recettes pour faire ses couleurs qui sont restées intactes et fraîches de manière inouïe. Quelle beauté aussi chez toutes ces femmes en blanc et gris portant de longs chapeaux, dans « la remise du manuscrit à Margaret d’York ».
Un livre de prières étonnant a ses pages rondes. Le chef d’oeuvre de Colard Mansion recherché par les bibliophiles est « De la ruyne des nobles hommes et femmes » (1476), un texte de l’humaniste italien Boccace, qui décrit les destins tragiques des personnages bibliques, antiques et médiévaux qui connurent un revers de fortune après une période faste. On admire divers exemplaires de ce livre splendidement illustré, à côté de tableaux est gravures de l’époque.
Haute lecture, Colard Mansion », Groeningemuseum, Bruges, jusqu’au 3 juin