L’implacable scalpel de David Goldblatt (PHOTOS)
Publié le 07-03-2018 à 08h45 - Mis à jour le 08-03-2018 à 09h25
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Le Pompidou consacre une superbe rétrospective au grand photographe sud-africain et son oeil inquisiteur.
A 87 ans, David Goldblatt (né en 1930 à Randfontein) fait figure de père de l’école sud-africaine de photographie où on retrouve d’excellents photographes comme Guy Tillim et Roger Ballen. Mais malgré cet âge, il n’a rien perdu de son acuité. Il le démontre dans les films qui ponctuent l’excellente rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou et où il explique, comme un conteur, l’histoire de ses photographies.
Son travail est un extraordinaire document sur la vie d'un pays et de deux peuples, les Blancs et les Noirs, de 1948 à aujourd’hui.
«J'ai commencé à photographier en 1948, lors de l'arrivée au pouvoir du parti raciste, le National Party. Nous venions de nous battre en Europe contre les Nazis. Tomber dans l'apartheid était pour nous un choc». Il ne cessera plus de dénoncer les aberrations du régime, mais en évitant tout militantisme ostentatoire, en fuyant les photos sensationnalistes. On ne verra pas chez lui d'émeutes à Soweto, de tortures dans les geôles. Goldblatt préfère vivre au plus près de la souffrance et de la joie des gens. Il raconte des chroniques, tantôt d'une mine, tantôt d'un quartier de petits Blancs afrikaners, tantôt de Soweto où les habitants se sentent si opprimés par les limites omniprésentes imposées à leur vie, leurs déplacements et même à leurs paysages.
"Lorsque j’ai décidé de devenir photographe, c’était pour moi une manière d’être politiquement actif. La photographie m’a aidé à résoudre ce dilemme : vivre dans ce pays ou émigrer".
Il n’a jamais émigré et il fut l’observateur attentif des ségrégations. Il montre comment les choses de la vie parlent de l’apartheid mieux qu’une photo choc. "L’un des pires effets de l’apartheid, c’est qu’il a empêché d’appréhender le mode de vie de l’autre". C’est là que le photographe peut agir.
Les navetteurs de la nuit
L’exposition est organisée en séquences, sujets soigneusement préparés par Goldblatt et commentés par lui-même. « Dans les mines » fut un de ses premiers projets, là où les mineurs noirs travaillaient au péril de leur vie, « Joburg », la mégapole fragmentée en quartiers selon la couleur de la peau; « A Boksburg », petite ville typique de la classe moyenne banche où les Noirs ne sont présents que pour travailler pour des Blancs.
Dans cette cohabitation on voit à coté d’un couple de vieux Afrikaners, surgir une petite fille noire. Plus loin, deux enfants jouent sur une auto de bois: un Blanc et.un Noir assis ensemble. Mais sur la photo suivante, le Noir pousse le Blanc dans les côtes.
Il nous montre ces Afrikaners vivant dans un monde sans Noirs, dans des intérieurs de petits bourgeois hollandais, croyant à l'éternité de leur système, organisant un concours « Miss belles jambes » réservé aux jeunes filles blanches et qu’à distance, viennent admirer les Noires.
En contraste, il y a la vie des navetteurs venus du towmnship de Kwa Ndebele au nord-ouest de Pretoria. Ces travailleurs devaient faire huit heures de bus par jour. On les voit assommés de sommeil, encore dans la nuit noire, s'entassant dans des bus misérables, parfois à 2h30 du matin pour ne revenir chez eux qu'à la nuit noire à nouveau. Et aujourd’hui encore rien n’a changé pour eux.
Marqué dans l’architecture
Il a aussi longuement suivi la vie d’alors d’un métayer noir, Kas Maine. Toute la fin de l’expo s’appelle « Structures » et analyse les architectures et les objets qui sont encore marqués par l’apartheid et ses suites: escaliers séparés pour la passerelle, plages séparées etc.
Goldblatt a suivi avec espoir, l’arrivée de Mandela au pouvoir, mais sans perdre son œil inquisiteur. Johannesburg a changé de visage. Vite, les Noirs pauvres ont envahi le centre-ville, on voit un trottoir éventré, mais les Blancs et les Noirs riches ont installé dans la banlieue, des ghettos dorés, surprotégés et barricadés.
David Goldblatt n'est pas un photographe de presse, il est un sociologue, un observateur aiguisé, un psychologue qui traque derrière le détail, la personnalité et dénonce les injustices au quotidien par la seule image des faits.




>>>> David Goldblatt, Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 13 mai