La collection de Dundo, atout décisif pour le futur de l’Angola
L'Angola a récupéré six oeuvres d'art volées durant la guerre (1975-2002) au musée Dundo. Le travail de recherche est mené par la Fondation Sindika Dokolo. Le patrimoine retrouvé doit aider à changer l'image du pays.
Publié le 13-06-2018 à 14h56 - Mis à jour le 13-06-2018 à 00h22
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L'Angola a récupéré six oeuvres d'art volées durant la guerre (1975-2002) au musée Dundo. Le travail de recherche est mené par la Fondation Sindika Dokolo. Le patrimoine retrouvé doit aider à changer l'image du pays.
Six œuvres d’art. Le butin peut sembler dérisoire mais à l’aune de l’Angola, pays sorti d’une guerre dévastatrice (1975-2002), ces six objets sont loin d’être anodins. Ils viennent combler le vide sidéral laissé par la destruction du musée de Dundo, créé en 1936 par l’ancienne Diamang (compagnie de diamants angolaise), tout près de la frontière avec la République démocratique du Congo.
Depuis 2015, Sindika Dokolo, célèbre homme d’affaires et collectionneur d’art africain, s’est mis en tête de retrouver ce patrimoine disparu, une collection riche de plus de 7000 œuvres qui a permis au musée d’éditer, au fil des années, des ouvrages qui continuent à faire référence dans le domaine de l’histoire de l’art africain.
L’équipe de la Fondation Dokolo a mené les recherches dans les vieilles photos, archives, etc. afin de retrouver le numéro de séries des œuvres et ensuite, identifier où ces dernières seraient réapparues au fil des 30 ou 40 dernières années. "C’est un travail de fourmi", reconnaît Sindika Dokolo. Un inventaire minutieux pour lequel il a reçu l’aide d’un certain nombre de marchands d’art reconnus et appréciés (voir ci-dessous).
Rendre son patrimoine artistique à l’Angola
Coup du sort : dans cette liste se trouve un masque dont il s’était lui-même porté acquéreur. "C’est la première œuvre d’art que j’ai achetée dans une vente aux enchères aux Etats-Unis en 2007. Personne ne savait qu’elle avait appartenu au musée. Je l’ai rendue. C’est un sentiment aigre-doux en tant que collectionneur parce que cette œuvre, j’y tenais. Mais en même temps, c’est vraiment utile car ces objets doivent jouer un vrai rôle aujourd’hui au pays…"
L’occasion de montrer l’exemple à tous ceux qui hésiteraient peut-être encore ?
"Il n’y a pas à hésiter, le musée a été complètement réhabilité. Il est tout à fait sécurisé, avec une politique proactive pour valoriser, rendre accessibles et protéger ces œuvres. Donc il n’y a pas de question qui se pose. Comme n’importe quel autre musée dans le monde qui aurait perdu des pièces, lorsqu’on les retrouve, on les rend immédiatement."
"Dans un mois ou deux", un site sera mis en ligne mentionnant les données de toutes les œuvres identifiées comme faisant partie du musée de Dundo. "Il n’y a que 60 œuvres identifiées sur des milliers disparues. Ce sera un outil très important car il y avait en Angola des sculptures qui faisaient partie des plus belles du monde."
"Pour moi, la mission sera accomplie lorsqu’on aura récupéré ces œuvres-là et qu’on aura généré suffisamment de crédibilité et de confiance pour que les gens qui les détiennent se sentent assez à l’aise pour les rapporter", précise M. Dokolo.
"Comme je l’ai déjà dit, on n’a pas une approche coercitive, je ne suis pas là pour revisiter l’histoire coloniale : s’il n’y avait pas eu les collectionneurs, des gens passionnés, notamment les Belges, ces pièces auraient disparu car le musée a été complètement détruit par la guerre. De ce point de vue-là, ils ont fait œuvre utile. Si le musée n’était pas en état aujourd’hui, il vaudrait d’ailleurs mieux qu’ils gardent les œuvres."
Mais aujourd’hui, la donne a changé… Une situation saluée par "le grand collectionneur et marchand d’art français Daniel Hourdé qui a naturellement et spontanément refusé la moindre contrepartie financière. Généralement, j’indemnise les propriétaires. Car je considère que les actuels dépositaires des œuvres ont agi de bonne foi".
La Fondation Dokolo a établi un partenariat avec l’Etat. "Heureusement, il y a eu une volonté politique qui s’est traduite par la mise en place d’instruments qui nous permettent d’être fonctionnels. On a un mandat pour aller identifier, négocier et rapatrier ces œuvres. Pour être clair, je paie les œuvres mais je pense qu’au fil du temps, la position de quelqu’un comme Daniel Hourdé va être généralisée. Lorsque les œuvres seront répertoriées sur notre site et que l’objet que vous détenez y apparaîtra, il sera brûlé, vous ne pourrez plus jamais le vendre. Pour le moment, le système d’indemnisation fonctionne. Il est donc important que les personnes se manifestent maintenant."
Patrimoine et atout touristique
Le Bénin est en pointe dans la bataille de la restitution des œuvres d’art qui en fait le cœur de son développement touristique. Une piste à suivre pour l’Angola…
"Depuis la fin de la guerre, l’Angola est une puissance pétrolière, militaire et minière et c’est vrai que dans le travail de reconstruction nationale, l’économie et le plein-emploi ont confisqué toute l’attention. En même temps, il y a une vraie prise de conscience. Dans les atouts naturels du pays, il y a cette question du tourisme et le gouvernement fait des efforts. On a parlé de la création de certains musées. Dans cette stratégie, l’existence de trésors comme la collection de Dundo, constituée de chefs-d’œuvre universels, sera un atout décisif."
À savoir
Où : c’est à Bruxelles que les six œuvres d’art retrouvées ont été restituées à l’Etat angolais, représenté par son ambassadeur en Belgique et par le directeur des musées nationaux.
Quand : depuis 2015, la Fondation Sindika Dokolo s’est donné pour mission de récupérer le patrimoine inestimable du musée de Dundo dont les catalogues faisaient autorité dans le monde entier.
Comment : la mise en place d’un site consacré aux collections volées devrait permettre d’accélérer le mouvement de la "restitution".
La collaboration efficace du marché de l’art
La restitution des pièces aux instances culturelles officielles du pays n’est que la phase finale d’un travail de très longue haleine au cours duquel le rôle des marchands d’art s’avère indispensable. Sans leur collaboration, le projet ne serait pas réalisable, car c’est dans les circuits du marché, en galerie, en ventes publiques, chez les collectionneurs privés, que circulent les pièces. C’est donc là qu’elles peuvent être repérées et qu’un travail scientifique d’identification peut être mené.
L’un des acteurs de ce travail, Didier Claes, marchand d’origine congolaise établi et réputé sur la place de Bruxelles, joue un rôle primordial dans cette chasse aux objets volés.
"Sur plusieurs centaines que contenait le musée de Dundo, seulement une soixantaine de pièces ont pu être identifiées avec certitude, dit-il, car il n’existe aucun inventaire." Selon un collectionneur anglais présent lors de la cérémonie bruxelloise, "plusieurs milliers de pièces ont probablement été dispersées, principalement en Europe et aux Etats-Unis et on peut craindre qu’une grande partie ait été détruite pendant la guerre d’Angola".
Valeur patrimoniale
Les marchands concernés, auteurs de restitutions, s’accordent sur la nécessité de rendre ces pièces à l’Etat pour une conservation muséale et s’opposent à une victimisation des propriétaires qui les ont acquises de bonne foi. "Au cours des années quatre-vingt", nous dit l’un d’eux, "toutes ces pièces circulaient librement et n’étaient pas répertoriées."
Aujourd’hui, certains détenteurs ont refusé l’indemnisation proposée par la Fondation. "J’ai d’autres œuvres semblables", confient-ils, "je peux offrir celle-là." Tous insistent sur le fait qu’il s’agit d’un patrimoine muséal national et que les œuvres rendues sont des chefs-d’œuvre de l’art Chokwe "dont il faut célébrer la dimension artistique".
Didier Claes insiste sur un aspect humain de premier plan : "Nous devons créer une conscience de l’existence et de l’importance de ces pièces auprès du public. Ce n’est pas une question de valeur financière. Il s’agit de rapporter un patrimoine absent, manquant, à travers lequel la population et les jeunes en particulier, parfois méfiants à l’égard des relations au cultuel (sorcellerie), peuvent s’identifier et restituer leur histoire pour écrire celle du futur d’une Afrique en construction d’elle-même."
Et le marchand d’ajouter : "Rassurez-vous nous n’allons pas vider les musées et le marché de l’art africain ne va pas s’effondrer !" Claude Lorent