La directrice artistique de Lemarié: "J’ai appris le goût de l’excellence, de la précision mais aussi la passion"
Publié le 15-06-2018 à 15h12 - Mis à jour le 15-06-2018 à 15h13
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Au festival de Hyères, nous avions devisé avec une jeune femme aux cheveux cendrés, Christelle Kocher. Directrice artistique de Lemarié, l’un des métiers d’art de Chanel, elle œuvre à la modernisation des savoir-faire anciens dans la mode actuelle.Christelle Kocher est blonde argentée, et vous regarde droit dans les yeux quand elle répond à vos questions. Quelque chose de spontané et d’authentique, dans ce regard et dans cette personnalité.
Christelle Kocher est directrice artistique de la maison "métier d’art" Lemarié, depuis 2010. Et, entre deux sessions du "jury accessoires" qu’elle présidait cette année au festival de la jeune création de Hyères, nous lui avons proposé une pause sur les marches d’un escalier, face à une piscine bleutée, dans les murs d’une villa hyéroise abandonnée au soleil de l’après-midi.
Nous avions voulu la questionner, car en fait Christelle Kocher a un drôle de métier. Quand elle ne gère pas sa propre marque de prêt-à-porter, qui s’appelle tout justement Koché (sans le "r", c’est plus facile à prononcer un peu partout dans le monde), elle est à la tête d’une maison qui promeut des métiers d’art : ces entreprises, qui sous l’escarcelle de Chanel, défendent des savoir-faire rares inscrits dans les processus de fabrication du luxe. Autant d’artisanats d’art qui étaient possiblement amenés à disparaître, et rachetés par Chanel, comme par exemple le brodeur Lesage, ou le bijoutier Goossens.
Mademoiselle Kocher gère, quant à elle, la maison Lemarié. Chez Lemarié, elle a la mission de mettre en valeur ces savoir-faire à la française qui participent à l’élaboration de la couture et du prêt-à-porter, autant pour les jeunes marques que pour les grandes enseignes de luxe.
Sans chichis et sans tralala, elle montre un intérêt profond pour ceux qui fabriquent la mode de leurs blanches mains. Il faut dire que, dans sa jeunesse, rien ne la prédestinait à travailler dans le milieu de la création artistique. Dès son plus jeune âge, la Strasbourgeoise avait marqué un intérêt pour le dessin et le tricot, mais personne, vraiment personne dans sa famille, n’était de ce milieu. Ce qui ne l’a pas empêchée d’atteindre son dessein initial : travailler dans le milieu de la création. Plutôt imperméable aux guéguerres du monde la mode, Christelle K. poursuit une ambition, celle de défendre les artisanats d’art, de leur faire prendre part à la mode de maintenant. D’intégrer le geste artisan à l’actualité.
Quelle est votre tâche à la tête de la maison d’art ?
Ma mission est de guider les artisans d’art de Lemarié un peu à la façon d’un chef d’orchestre, pour, surtout, mettre en valeur leurs gestes. Il nous faut nous challenger : trouver de nouvelles techniques et nouvelles idées, pour aller vers le futur. On pourrait considérer ces métiers anciens ou désuets et pourtant la maison est très dynamique dans les techniques qu’elle utilise. Quand je suis arrivée, il y a 8 ans, il y avait 17 personnes chez Lemarié, maintenant nous sommes 85. La moyenne d’âge était de 50 ans, et désormais de 25. Mon bras droit est chinois : on a des gens de partout dans le monde dans nos ateliers, et aussi d’horizons différents, en formation ou en reconversion professionnelle; avec des brevets des apprentissages ou d’autres venant d’écoles d’art, de la Belgique notamment de La Cambre ; d’autres gens sont formés sur place. A travers ce mix, on cherche à proposer des choses différentes.
Qu’avez-vous appris de cette fonction assez unique ?
J’ai appris le goût de l’excellence, de la précision mais aussi la passion. Car ce ne sont que des gens passionnés qui font ces métiers, et qui trouvent encore beaucoup de sens à vouloir renouveler, constamment, l’héritage de la couture française. J’aime voir cette lumière dans le regard de ceux qui travaillent là. C’est étonnant, mais on a toujours l’impression d’être tourné vers le futur.
Les savoir-faire pointus de Lemarié, parvenez-vous à les réinjecter dans votre propre marque de prêt-à-porter, Koché, qui est d’abord vraiment tournée vers un public jeune ?
C’est précisément l’histoire de la marque, le mariage entre la couture française de l’excellence, et de l’énergie de la culture urbaine, de la jeunesse, du street wear, de l’art contemporain. J’utilise les techniques de Lemarié pour Koché ; mes bijoux ont été créés par Goossens, mes chaussures ont été créées par Massaro. Ce vocabulaire du savoir-faire existe avec des joggings, des t-shirts, des maillots de foot. Le tout se marie de manière naturelle : le savoir-faire n’a pas besoin d’être ostentatoire. Je cherchais à créer un langage entre le prêt-à-porter, le streetwear et la couture.
En tant que présidente du jury accessoires au festival de Hyères, face aux jeunes créateurs qui se sont présentés à vous, qu’avez-vous vu de ce qui germe dans les jeunes têtes créatrices ?
J’ai, d’abord, endossé mon rôle avec sérieux, car on décide ici du destin d’un jeune créateur. On lui propose, tout le moins, de devenir un espoir de la création. J’ai été à leur place, il n’y a pas si longtemps, ce genre d’événement peut-être un vrai tremplin dans la carrière d’une personne.
Qu’est-ce qui vous frappe quand vous regardez la jeune création actuelle ?
Les jeunes sont "inclus" dans la société; ils proposent des projets qui doivent avoir du sens. Ils ont cette idée qu’un projet créatif doit être dans la durabilité, que leur création doit "rendre la vie meilleure"; ou bien avoir lieu dans un cycle qui n’est pas seulement consumériste. Leurs projets - presque politiques - concernent la société mais aussi les gens.
Ces questions de l’engagement dans la création, cherchez-vous à l’injecter dans vos différentes fonctions ?
Evidemment. Dans la façon dont j’ai créé ma marque, il y a cette volonté de démocratie, notamment quand je fais un défilé ouvert au grand public, place Carrée à Paris à la sortie du métro, ou sous la canopée de Châtelet-Les Halles. Quand je fais défiler des mannequins avec des corps différents : des tailles 34, mais pas seulement. Je fais en sorte que mon casting soit très multiculturel et pas parce que ces questions sont à la mode…
Enfin, je cherche toujours ce dialogue très simple dans ma mode entre des pièces très "couture", et des pièces luxe et du prêt-à-porter de l’ordre de l’accessible.
Vous naviguez dans des sphères très différentes et donc j’avais envie de vous poser la question : pour vous, qu’est-ce donc, in fine, que le luxe ?
Le luxe, c’est avoir quelque chose qui nous touche profondément. Le luxe, oui, c’est être touché et ému.