La restauration de l'Agneau mystique des Van Eyck dévoile un lot de surprises
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Publié le 19-06-2018 à 11h09 - Mis à jour le 19-06-2018 à 11h46
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La restauration du polyptique de l’Agneau mystique des frères Jan et Hubert Van Eyck est une entreprise de longue haleine qui changera notre regard sur ce chef-d’oeuvre absolu de l’histoire de l’art.
Commencé en 2012 et réalisé par une équipe de l’IRPA (Institut royal du patrimoine artistique) dirigée par Helène Dubois, le travail ne sera terminé qu’en 2024, tant le travail est délicat et complexe. Rappelons qu’elle se fait en public au musée des Beaux-arts de Gand.
Une étape capitale a été franchie et ses résultats ont été présentés mardi, avec la restauration du grand panneau central et des deux panneaux à côté. C’est le coeur de l’oeuvre: une symphonie de couleurs avec une dominante rouge et verte, une vision d’"Apocalypse" au sens exact du terme, c’est-à-dire de "dévoilement". L’Agneau perdant son sang est le centre d’une grande procession symbolisant l’ancien (les juifs) et le nouveau testament, les soldats, les juges, les ermites et les pèlerins. Le retable récapitule en lui tous les sujets et tous les savoir-faire, et les déverse en offrande sur l’autel du sacrifice.
Avec "l’Agneau mystique", les frères Jan et Hubert Van Eyck inventèrent la peinture à l’huile et travaillèrent 12 ans(de 1420 à 1432) à ce fabuleux retable et ses 24 peintures sur bois.
Surprise, un tout autre Agneau se dégage aujourd’hui de l’oeuvre. Au cours des siècles, il y avait eu des couches de vernis de protection qui avaient jauni et on avait« surpeint » l’oeuvre au milieu du XVIe siècle pour cacher des « lacunes » (petits dommages) et pour rendre la peinture plus au goût du XVIe siècle: on avait changé l’emplacement des yeux de l’Agneau, on lui avait donné un large front, de grosses oreilles et un aspect neutre, les couleurs étaient affadies. 45 % du panneau central avait été ainsi « surpeint ».
Avant/après:
Une restauration en 1951 avait déjà nettoyé les vernis jaunis et gratté une petite partie des surpeints. On avait partiellement dégagé les oreilles initiales de l’Agneau, peintes par les Van Eyck, mais les oreilles ultérieures, plus grosses, placées autrement étaient restées là ! Pendant 67 ans, l’Agneau a eu ainsi quatre oreilles.

Année Van Eyck
Aujourd’hui, l’Agneau a retrouvé son regard frontal, ses gros yeux, il regarde directement le visiteur et l’appelle à la conscience de la Révélation. Plusieurs bâtiments ont été mis au jour dans la ville peinte sur le paysage à l’horizon, qui étaient cachés jusque là par la peinture ajoutée. Les couleurs sont à nouveau plus vives et plus subtiles, les plis des vêtements ont retrouvé leur volume et leurs jeux d’ombres, la nature est sublimée par l’éclat des couleurs.
Le travail d’abrasement des surpeints est d’une délicatesse absolue pour n’exercer aucune pression sur la couche picturale. Elle est réalisée millimètre par millimètre avec l’aide de microscopes 3D et l’aide d’un scalpel dont on remplace la lame toutes les dix minutes. La bonne surprise est qu’on a redécouvert la peinture originale des Van Eyck encore en excellent état, avec très peu de lacunes (3% de la surface).
La restauration avait d’abord porté sur les huit panneaux de l’extérieur du retable, que l’on voit quand on ferme les volets de l’œuvre. Des panneaux "désolidarisés" de l’avant du retable quand, au XVIIIe siècle, il fut démembré afin de mieux vendre les deux faces séparément. Seuls les panneaux avec Adam et Eve n’ont pas été sciés.
Après 4 ans de traitement délicat, la première phase s’est terminée en 2016 et ces volets extérieurs sont revenus à la cathédrale Saint-Bavon. La restauration des panneaux centraux sera totalement achevée, avec un nouveau vernis, pour 2020 et l’« année Van Eyck », quand se tiendra une exposition exceptionnelle sur le peintre au musée des Beaux-arts de Gand.
Il s’agira ensuite, après 2020, de restaurer encore les panneaux supérieurs, ce qui devrait demander 3,5 ans de plus avant de redécouvrir enfin, l’entièreté du polyptique dans un éclat neuf.
Le travail de restauration (plus d’1,5 million d’euros) est payé à 80% par le gouvernement flamand et 20 % par la fondation Baillet-Latour.
