Porquerolles, île rêvée pour l’art contemporain
Publié le 22-06-2018 à 09h47 - Mis à jour le 22-06-2018 à 09h50
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Au milieu du bois de l’île de Porquerolles, à distance de marche de la place du village et du port, vient de s’ouvrir, dans un cadre de verdure d’exception la Fondation Carmignac consacrée à l’art contemporain international.
Tombé sous le charme de l’île méditerranéenne, Edouard Carmignac, homme d’affaires baignant dans une ambiance culturelle depuis son enfance au Pérou, passionné d’art dès sa jeunesse à New York, a constitué une collection d’art contemporain depuis les années nonante à la suite de ses rencontres avec les Warhol et autres Basquiat ou Lichtenstein.
Voici cinq ans il acquiert, à Porquerolles, un mas traditionnel dans le but d’en faire une fondation d’art ouverte au public. Sur l’île, les conditions d’aménagement sont drastiques : la nature doit primer et les constructions s’effacer.
Planté entre les arbres sur une petite colline artificielle, le mas de pierre conservera donc son allure originelle et gagnera de l’espace en profondeur. En jouant avec les déclivités du terrain, l’architecte Marc Barani et l’agence GMAA adaptent le bâtiment sans en modifier la structure principale et en veillant à profiter au maximum d’une belle luminosité naturelle. Une pleine réussite, parfaitement fonctionnelle, antithèse des architectures grandioses mais inadaptées.

Pieds nus, un verre à la main
Le circuit s’organise sur deux étages autour d’une structure de base en croix dont le centre est une remarquable trouvaille, un plafond d’eau distillant la lumière du dehors ! D’autres ouvertures à différents niveaux, fenêtres allongées ou en demi-cercle, à la fois préservent l’intimité des espaces et apportent la clarté.
A l’extérieur, sur les toitures à différents niveaux, on remarquera les tuiles provençales en céramique aux tonalités chamarrées et douces, en harmonie avec l’environnement naturel. Pour accéder aux espaces d’exposition, lieux de silence et de communion avec l’art, le visiteur devra se soumettre à un petit rituel, se déchausser, marcher pieds nus et boire une concoction maison. Alors, on accède à l’escalier dans lequel est intervenue Janaina Mello Landini.
Trois-cents œuvres acquises sous le coup de l’émotion
En une petite trentaine d’années, Edouard Carmignac a constitué une collection d’environ 300 œuvres contemporaines, peintures, photographies et sculptures monumentales pour les jardins. Celui qui déclare : "Je n’aime pas l’idée de posséder une collection. Mes œuvres sont […] des traces de moments de vie, de pensée et d’émotions…"
Il n’est pas l’un de ces collectionneurs convulsifs, accumulateurs ou spéculatifs. C’est un passionné pour qui chaque œuvre acquise est une rencontre personnelle. "J’achète au coup de cœur, à l’émotion, nous dit-il, en galeries, dans les foires mais aussi dans les salles de ventes où je me rends, pas nécessairement pour acheter, mais pour découvrir des artistes que je ne connais pas."

Le hasard Basquiat
Il a ainsi acquis, presque par hasard dans une salle de vente, une peinture de Jean-Michel Basquiat de 1984, un portrait intitulé "Zing" ou "Portrait d’Edouard Carmignac", réalisé à New York lors d’une rencontre et laissé sur place.
Au regard de l’ensemble de sa collection reprise dans un ouvrage récemment paru, "Walk on the Wild Side", on est immédiatement frappé par la prédominance de l’humain et par la recherche d’une beauté, tiennent-elles du tragique du monde. C’est une collection certes constituée de grands noms de l’art contemporain, mais enracinée dans la vie, dans le vécu du monde et de son histoire, dans celui des hommes et des femmes engagés dans un combat personnel ou collectif. Des êtres aimants ou souffrants mais décidés à progresser dans la voie de l’humain.
"Cette collection, écrit Charles Carmignac, le fils, directeur de la Fondation, donne à voir le déséquilibre d’un monde qui souffre simultanément de manque et de saturation. Un monde intoxiqué, inconscient, soumis aux injonctions de la consommation, des médias et des écrans." De Ruscha à Sterling Ruby en passant par Warhol, Wool, Holzer et Lichtenstein, les Américains sont très présents dans une collection néanmoins éclectique où Richter occupe une belle place ainsi que des Clemente, Zhang Huan, Barceló ou Martial Raysse, et même le Belge Philippe De Gobert avec son "Atelier 12".
L’expo inaugurale
La fondation propose une double visite. D’une part l’exposition temporaire "Sea of Desire" due au commissaire Dieter Buchhart, d’autre part, à l’extérieur, les permanences sculpturales. Dans la cour d’entrée on est accueilli par "Alycastre", une sculpture monumentale de Miquel Barceló, inspirée du dragon légendaire de Porquerolles.
L’exposition temporaire se divise en huit chapitres thématiques et compte une septantaine d’œuvres dont, dans un espace à elle seule dévolu, une imposante installation très surprenante de Bruce Nauman.
Un groupe de poissons suspendus, crachant de l’eau comme une fontaine, au-dessus d’un bassin d’eau. Une œuvre réalisée spécialement en relation avec la situation insulaire. Autre œuvre permanente dans une salle adjacente architecturalement adaptée, une gigantesque peinture en u, des fonds marins, de Miquel Barceló. Aux murs, trois œuvres emblématiques pour le collectionneur : les portraits de Lénine et Mao par Warhol et un Richter abstrait.
Au fil des cimaises, une sorte d’hommage général à la femme (beauté et désir) avec des Lichtenstein, un Botticelli prêté, des Yves Klein, Cindy Sherman, Shirin Neshat, David LaChapelle… Selon les thèmes, des Cattelan, Boetti, Aitken, un bouleversant Zhang Huan, des Baldessari, Crewdson…
Dans le non-jardin
La visite se poursuit agréablement dans le non-jardin aménagé par Louis Benech qui a donné ce nom, car il a veillé à conserver à l’état le plus sauvage possible toutes les espèces locales dont certaines très rares, voire uniques. Dans son agencement au plus proche de la nature, il a inséré entre celles déjà existantes, plantées par le propriétaire précédent, quantité d’autres plantes exotiques. C’est dans cet environnement enchanteur, avec vue sur la grande bleue, que les sculpteurs invités à intervenir ont choisi leur emplacement pour leurs réalisations. Ils sont une douzaine dont Plensa et ses figures d’allure séculaire, dont Wang Keping et une œuvre sans âge, Ugo Rondinone et son quatuor saisonnier et encore Nils-Udo posté à l’orée du bois. Toutes œuvres qui nous imprègnent.