Au coeur du génie de Rubens, avec ses magnifiques esquisses
- Publié le 07-09-2018 à 08h33
- Mis à jour le 07-09-2018 à 08h34
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Exposition exceptionnelle au musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam. Avec le Prado, il montre une centaine d’esquisses de Rubens.
C’est dans ces esquisses, plus que dans ses tableaux, que le peintre exprimait le mieux, un génie qui reste formidablement contemporain.
Il y avait, paraît-il, 65 ans qu’on n’avait pas rassemblé une centaine des esquisses à l’huile sur panneau de Rubens: 93 exactement sur les 440 qu’on a conservées. Elles viennent des plus grandes collections de Rubens: du Prado qui a co-organisé cette exposition, du Boijmans Van Beuningen lui-même, du musée des Beaux-arts de Bruxelles qui en a prêté deux, et des plus grands musées américains et européens.
On n’y voit donc quasi pas ses grands tableaux mais bien des petits formats dont on est sûr qu’ils sont tous de la main du peintre anversois, comme surgis directement de ses doigts, contrairement à ses grands tableaux qui furent souvent réalisés en plus ou moins large partie par ses assistants sous ses indications, lui se chargeant des retouches finales.
Avec ses esquisses, on entre dans son génie de pouvoir tout peindre avec une liberté totale et très moderne.
Deux exemples frappants: La chasse au lion prêtée par la National Gallery de Londres. On y voit la liberté de la touche, l’expression forte qui ressort avec quelques simples coups de pinceau rapides: l’effroi du cavalier attaqué par le lion, la hargne de l’animal, les mouvements désespérés des chevaux. Une grand partie de l’oeuvre est laissée vide ou dans le flou, Rubens se concentrant sur l’essentiel. Il ajoute un peu de blanc pour rehausser l’esquisse.

Il faut aussi s’arrêter sur la Fuite en Egypte prêté par le Courtauld Institute de Londres. On y voit la Vierge effrayée par l’approche des soldats, mais c’est surtout le paysage de forêt dans la nuit qui impressionne: en quelques touches à peine, Rubens exprime l’angoisse de la nuit qui vient et de la forêt menaçante.
Le goût d’aujourd’hui
Ces esquisses nous touchent car elles correspondent à notre goût actuel. On ne veut plus d’un art qui montrerait tous les détails et, 250 ans avant les impressionnistes et les expressionnistes, Rubens appliquait déjà ce qui sera leur leçon: laisser non terminé, privilégier la touche rapide, laisser ainsi de l’espace et du flou pour que l’imagination du spectateur puissent compléter et y projeter son émotion.
Voir ces esquisses c’est comme préférer les plâtres de Rodin ou Giacometti à leurs marbres et bronzes car on y sent davantage les hésitations et le génie de ces artistes.
Rubens a peint ainsi, le premier dans l’histoire de l’art, des centaines d’esquisses. Il ne les vendait pas et n’aurait sans doute pas aimé qu’on les montre aujourd’hui. Mais il les a gardés amoureusement et, à sa mort en 1640, on les a retrouvées dans son atelier. On en dénombre encore 440 conservées aujourd’hui.
Plusieurs servaient à montrer aux commanditaires d’un tableau comment l’oeuvre serait et lui donner l’occasion de le faire modifier.
D’autres esquisses servaient à l’atelier de Rubens qui compta jusqu’à 20 assistants selon le volume des commandes. Au plus l’esquisse est précise, au plus les assistants devaient la suivre très exactement. Une esquisse sommaire indique que Rubens lui-même ferait le tableau.
Quand il collabore avec Snyders qui prenait en charge la nature morte d’un tableau, lui se chargeant des personnages, il réalise d’abord une esquisse très complète pour que Snyders la suive. Mais rassuré sans doute par le talent de ce dernier, il se contente ensuite d’esquisser sa « partie » et de laisser carte blanche à Snyders.
Rubens se lâche
D’autres esquisses servaient de modèles d’atelier récurrents pour les tableaux. On voit ainsi le portrait qu’il fit d’un de ses assistants, Deodat del Monte, le peignant en adolescent très caravagesque. Ce portrait devenant ensuite, dans l’atelier, le modèle pour un même personnage dans une dizaine de tableaux.
On retrouve aussi des esquisses pour les tapisseries qu’il faisait réaliser pour son beau-père, le marchand de tapisseries Daniel Fourment. L’expo présente un ensemble d’esquisses pour le cycle d’Achille.
Il y a encore des esquisses pour des projets architecturaux comme celles, peintes de manière virtuose, pour un arc de triomphe près d’Anvers (venus du musée des Beaux-Arts d’Anvers). On retrouve encore une esquisse pour un grand plateau en argent.
Une autre montre Hercule. Rubens après son long séjour en Italie répétait que tout artiste doit avoir intégré totalement l’art antique. Mais pas pour le reproduire. Une esquisse inspirée du grand Hercule Farnèse, montre comment Rubens quitte la représentation d’une statue pour rendre cet Hercule vivant et vibrant.
On y découvre encore l’esquisse de la célèbrissime Déposition du Christ et on voit comment l’esquisse nous touche encore davantage que le tableau, car plus humaine, plus universelle.
Dans beaucoup de ses esquisses, on sent comment Rubens « se lâche », il ose, il expérimente, il est le plus vivant, le plus baroque, annonçant déjà Goya, Delacroix ou Géricault.
La conversion de Paul, venu aussi du Courtauld Institute, est à cet égard stupéfiante d’audace et devait être un exercice personnel pour Rubens : l’esquisse est presque abstraite, faite de traits, de mouvements de lignes, et pourtant tout y est !
Dans L’arrivée de Psyché en Olympe des collections princières du Lichtenstein, il réalise une contre-plongée magnifique et vertigineuse.

Têtes de nèges
Chaque Belge connaît au moins une esquisse célèbre: la fameuse étude des Têtes de nègres, fleuron des collections du musée des Beaux-Arts qui ne le prête plus et qui n’est donc pas à l’expo, une étude préparatoire pour le monumental tableau des Rois mages. On a même longtemps placé l'oeuvre sur des billets de banque et en 1964, un vol tonitruant de ces têtes avait fait la "une" de l'actualité. Signe des temps, les Têtes de nègres ont été depuis rebaptisées plus "correctement" en 4 études d'une tête de Maure.
Peintre, humaniste et diplomate, Rubens fut l'homme de la transition entre l'Italie et la Flandre, le Renaissance et le Baroque, l'art et l'argent, la religion et le profane. Il est l'un des premiers grands Européens. Né en Allemagne en 1577, il passa sa jeunesse dans les Flandres, achèva son éducation en Italie où il séjourna à la cour de Mantoue, avant de revenir s'installer à Anvers, qu'il ne quittera plus (il y meurt en 1640) que pour des missions diplomatiques. A Anvers, Rubens fut l'homme le plus riche de la ville, le plus honoré; son atelier, où il forma de nombreux élèves, fut le plus célèbre. Sa renommée de peintre fut telle que les commandes arrivaient des cours de France, d'Angleterre, d'Espagne.
C'est dans ce contexte qu'il réalisa pour Marie de Médicis la série de Luxembourg. Très vite projeté dans le contexte politique de son époque, il fut chargé par les gouverneurs des Pays-Bas de négocier avec l'Espagne et l'Angleterre, notamment ce fameux traité franco-espagnol qui n'est que l'un des nombreux avatars de la guerre de Trente ans,
Dans son atelier anversois, Rubens faisait souvent intervenir des collaborateurs. Parmi eux, on retrouvait quelques grandes pointures (Van Dijck, Jordaens) mais aussi des artistes de second plan.
Rubens ne s'en cachait nullement, puisqu'il avait prévu cinq catégories de prix pour "ses" tableaux : les tableaux faits de sa main étaient les plus chers. Puis venaient les tableaux réalisés par Van Dijck mais retouchés par lui. Ensuite les tableaux réalisés par un autre collaborateur et retouché par le maître. Enfin, un tableau d'un collaborateur non retouché par Rubens et, en queue de liste, une simple copie.
A Rotterdam, c’est du « pur Rubens » qu’on peut admirer, et c’est formidable.
« Pure Rubens », musée Boijmans Van Beuningen, jusqu’au 13 janvier. Fermé le lundi