Franz West, la grande digestion de l’art
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Publié le 20-09-2018 à 15h20 - Mis à jour le 21-09-2018 à 20h27
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Franz West (1947-2012), figure inclassable, n’a cessé de surprendre, à contre-pied de l’art, de mélanger l’intellectualisme au trivial, l’actif et le contemplatif, et fut finalement un des artistes les plus influents de ces dernières décennies.
Le Centre Pompidou dans une expo reprise en 2019 à la Tate Modern, présente cette oeuvre polymorphe et déconcertante. Les visiteurs de Knokke connaissent tous, au moins, une oeuvre de Franz West, qui trône sur la place Rubens: deux grandes Têtes de lémure, informelles, carnavalesques, en résine. Les lémures sont des esprits tourmentés vivant dans les limbes. Quand Franz West les créa en 1992, en papier mâché, il proposait aux visiteurs de remplir leur bouches d’ordures pour que ces figures « aient mauvaise haleine ».
Franz West proposait une œuvre d’apparence minimale, volontairement négligée, mais qui interroge sans cesse ce qu’est l’œuvre d’art, l’interactivité avec le spectateur, la frontière entre art et design, les ambiguïtés de la forme et du non-formel, l’idée de socle, le rôle du musée pour "subvertir" l’objet.
Né en 1947 à Vienne, Franz West a assisté furieux aux performances des actionnistes viennois. Il s’en inspirera mais sans le côté trash, sanglant et sexuel d’Hermann Nitsch.

Les divans de Freud
A l’entrée de l’expo, on retrouve, comme on les avait vu à Kanal à Bruxelles, ce qui est devenu depuis 25 ans, la signature de ses expos: des divans, créés d’abord à la Documenta de Kassel en 1992, et hommage au divan de Freud, viennois comme lui. En fer et peu confortables, sur lesquels sont posés des tapis d’Orient ou des wax africains usagés, mais qui sont utilisés comme sièges par le public. Un exemple emblématique de ces objets à la frontière de la sculpture et du mobilier. Par leur côté artisanal, ils ne sont pas du design "léché", mais sont-ils alors de l’art? « Les divans sont des sculptures que l’on ne peut comprendre visuellement, mais leur message peut être perçu par la posture que l’on prend en s’y asseyant », disait-il.
Franz West qui se nourrit de Lacan, Wittgenstein ou Benjamin, adore les interrogations sur le sens de l’acte artistique. A la suite de Duchamp, il pose la question de la différence entre l’objet industriel et l’art.
Dans nombre de ses travaux, il propose aux visiteurs d’éprouver l’œuvre par le contact avec son corps. Au Pompidou, on retrouve ces Pass-stück qu’il a créés très tôt et poursuivis toute sa vie: des objets en papier mâché et plâtre à porter contre soi et dont les formes "molles" s’adaptent à celles du corps.
Les visiteurs sont même invités à s’en saisir et à les utiliser comme "prothèses", comme bon lui semble. A nouveau, il s’en réfère à Freud qui disait que l’homme est la prothèse de Dieu. Franz West réintroduit les objets d’art dans le circuit du quotidien. Ses objets sont, selon sa propre expression, des "adaptateurs entre l’art et la vie ».

Gros boudins
Poursuivant ce travail, Franz West crée des environnements avec des sièges primitifs en tôle et barres à béton, sur une plaque de métal, qui attendent les visiteurs. Ils permettent de regarder, fixés au mur, des monochromes.
Où commence l’œuvre, où s’arrête l’art? Et le visiteur en s’asseyant, fait automatiquement partie de l’œuvre.
Il a réalisé beaucoup de sculptures de papier mâché (souvent à partir de bottins de téléphone), qui sont en 3D, ce que les dripping de Pollock sont en 2D: des formes rapides, déstructurées formant des rochers ou des nuages colorés.
Franz West a collaboré avec nombre d’artistes (Albert Oehlen par exemple) et influencé d’autres (Wurm, le collectif gelatin), digérant tout l’art, y compris des autres.
De plus en plus monumentales, ses sculptures de plein air, pour parcs et jardins, en résine époxy, sont des boudins enfantins aux belles couleurs criardes ou comme des étrons brunâtres. Souvent rigolotes, on en trouve autour du Pompidou comme près de bien des musées du monde.
Pour Christine Macel, commissaire de cette expo, « Franz West a réussi à combiner son art et se vie, à devenir un dandy à l’oeuvre élégante, rebelle et à l’intelligence imprévisible, frivole et intellectuelle, entre individualisme et goût de la vie en société. »

Franz West au Centre Pompidou à Paris, jusqu’au 10 décembre