Guillaume Désanges: "Ce qui continue à m’intéresser dans l’art, c’est précisément ce qui échappe à la connaissance"
Publié le 25-09-2018 à 12h39
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À la Verrière Hermès, Guillaume Désanges tire sur les idées préconçues concernant l’art conceptuel.On parle souvent des expos, mais bien peu souvent des curateurs. On essaie de faire parler les expos, mais pas forcément la petite voix du créateur. Mais voilà que survient un nouvel opus du grand cycle d’expos intitulé Poésie Balistique, à La Verrière Hermès. En plein montage de l’expo de l’artiste franco-tunisien Ismaïl Bahri, Des gestes à peine déposés dans un paysage agité, on a rencontré le cerveau de ce cycle d’expositions : Guillaume Désanges. L’idée : comprendre comment le curateur dépose les représentations de l’art contemporain dans les mains du public.
Comment êtes-vous arrivé à l’art ?
Je suis arrivé à l’art de manière autodidacte, comme spectateur d’expositions. On peut dire que j’y suis arrivé par une certaine ignorance. Je sentais de l’intelligence sous-jacente dans les œuvres, mais elle m’était lointaine. L’art demeurait un mystère, quelque chose d’inaccessible. Et je me disais que, peut-être, un jour, à force de travail, je finirais par comprendre. Le temps a passé, et je n’ai pas atteint ce stade de la compréhension. Progressivement, j’ai compris que je n’atteindrais jamais la maîtrise, peut-être même qu’il ne fallait pas que je l’atteigne… Finalement, ce qui continue à m’intéresser dans l’art, c’est précisément ce qui échappe à la connaissance.
Sacrée révolution chez le curateur qui est d’habitude l’homme des explications…
Pour préparer une conférence, je me suis allongé sur le divan d’une psychanalyste pour lui parler de mon rapport trouble à l’art contemporain. Je lui ai dit que j’avais l’impression d’être un escroc, manipulant des objets que je ne maîtrisais pas. Comme un pilote qui n’a pas de plan de vol mais fait semblant que tout va bien pour rassurer son équipage. Le paradoxe, c’est ce qui m’intéresse, c’est justement le grand public, lutter contre l’élitisme. Et j’en arrive à lui dire cette phrase : "C’est la question du nombre qui m’intéresse." Et là, la psychanalyste arrête la séance brutalement […] Et soudain je prends conscience que ce qui m’intéresse, c’est la question "d’une ombre", et non "du nombre" ! Dès lors, mon rôle en tant que curateur est non pas d’éclairer mais de préserver des zones d’ombre.
Ce n’est donc pas très grave si on ne comprend pas tout dans l’art contemporain…
Au contraire. À La Verrière Hermès, il y a plusieurs milliers de visiteurs parmi lesquels le public de l’art, mais aussi les visiteurs du magasin, et les vendeurs qui travaillent juste à côté, qui sont nos premiers regards. Souvent, ils me disent : "On veut tes explications." Beaucoup de spectateurs de l’art contemporain ont ce réflexe… J’ai créé ce cycle de Poésie Balistique pour leur répondre spécifiquement qu’il n’y a rien à comprendre. Je peux vous raconter plein de choses mais il n’y a pas de clefs. En tout cas, moi, je ne l’ai pas trouvée.
Vous proposez de discuter de l’art, plutôt que vous ne livrez un discours prémâché, pré-pensé ?
Je ne propose pas un discours au sens linéaire et démonstratif, je propose une situation incontrôlée, mais qui entend toucher. Pour autant, je ne veux pas négliger la pensée en disant que c’est l’émotion qui compte plus que le reste. Disons que dans l’art, l’émotion est inséparable de l’intelligence.
Que dit l’art contemporain de notre époque ? Est-il politique ?
Je pense que toute pensée qui vient contester des formes de pensées dominantes est un acte politique. Dans l’actuelle exposition d’Ismaïl Bahri Des gestes à peine déposés dans un paysage agité, ce "paysage agité", c’est la tempête, mais aussi possiblement le mouvement, le chaos, la révolution. Certains artistes décident de représenter notre monde tourmenté de manière littérale, d’autres se laissent infuser par ces questions et les rendent plus abstraites. Ismaïl Bahri prend à contre-pied la notion de tourment, en en dévoilant le caractère poétique.