Raoul De Keyser, grand peintre de la fragilité
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Publié le 05-10-2018 à 10h12
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Le Smak à Gand rend hommage à l’œuvre de Raoul De Keyser, mort en 2012, peintre de l’infime et du poétique.Raoul De Keyser, né en 1930 à Deinze au bord de la Lys, un de nos grands peintres de l’après-guerre, est mort en 2012, à 82 ans. Le Smak à Gand lui offre une belle rétrospective chronologique et thématique, qui reprend toute son œuvre, ses peintures surtout, mais aussi ses si beaux dessins et gouaches. Le Fonds Mercator éditera un livre important sur son œuvre.
Raoul De Keyser avait peu à peu épuré sa peinture jusqu’à toucher à l’essentiel avec des choses infimes. "Ce qui m’a toujours frappé chez lui, c’est la fragilité", explique Paul Robbrecht, l’architecte qui le suit depuis 25 ans et qui a réalisé une scénographie pour cette expo. "Mais cela ne veut pas dire qu’il avait des doutes, au contraire."
Ses peintures d’apparences abstraites, poétiques, et de plus en plus minimales avec le temps, avaient fait le tour du monde depuis que Kaspar König l’avait fait connaître sur la scène allemande, sélectionné à la Documenta en 1992 et à la Biennale de Venise 2007. Jan Hoet disait : "De Keyser calculait sa peinture, mais donnait l ’ impression que ses tableaux étaient nés du hasard. Il n ’ a jamais fait une image vraiment figurative, mais travaillait de manière abstraite, comme les traces que laisse un avion dans le ciel ou comme s ’ il regardait par une fenêtre, mais dont les rideaux étaient tiré s."
Raoul De Keyser était arrivé tardivement à la peinture, à 33 ans, alors qu’il menait une double activité de critique d’art et de reporter sportif. Il a débuté dans le sillage de la nieuwe visie de Roger Raveel, variante locale du pop art. Mais il choisissait des détails, des objets jamais présentés dans l’art. Il débuta avec des sujets tirés de son environnement immédiat qu’il agrandissait et ramenait à des données simples et linéaires en rapport avec le caractère bidimensionnel de la toile ou qu’il repensait sur des blocs peints.
À la frontière
La première salle consacrée à ses premiers travaux annonce sa démarche : il se situe à la frontière entre le figuratif et l’abstraction (comme Gerhard Richter qu’il admirait), entre l’intériorité et l’extérieur, entre l’objectif et le subjectif.
L’accent était mis sur le geste de peindre, une perpétuelle interrogation sur l’essence de la peinture. On voit dans ses premiers tableaux comment il représente une clenche de porte, un bout de fil de fer barbelé, son chien, ou les traces de chaux sur le terrain de football qu’il voyait depuis sa chambre. Ces éléments servaient de point de départ pour ensuite revenir sur ces thèmes, en les élaguant, en les reprenant sans cesse, en laissant sur ses dessins les marques de peinture, des erreurs et des remords, jusqu’à donner une apparence abstraite et inachevée, mais avec un rythme et une pulsation particuliers.
C’est cette idée des "traces" que Robbrecht a repris dans sa scénographie créant un kaléidoscope où nombre de petits tableaux forment l’autoportrait de toute l’œuvre. Sur les cimaises de bois, on a laissé les traces des vis et des doigts.
Il faut être attentif aux titres des œuvres, toujours expressifs, comme des poèmes minuscules. On y évoque les paysages de la Lys autant que le ciel.
Ses tableaux découlent de l’interaction entre l’artiste qui cherche à donner forme, la peinture en tant que matière et la toile en tant que support. Coloriste doué, il joua sur le blanc, le bleu (la mer), le jaune (le sable) et les verts (l’herbe) avant d’en arriver à une peinture gestuelle.
La beauté fragile de ses tableaux - souvent petits, non spectaculaires - tient à la tension qu’on sent toujours entre l’abstraction de son travail et le substrat figuratif qui lui a servi de point de départ jusqu’à toucher au minimal qui veut dire davantage que le plein. La réalité se condense chez lui dans des signes, restes d’une écriture oubliée.
De Keyser refusait un résultat définitif et harmonieux, préférant laisser les ratures pour donner une histoire à ses dessins. Ceux-ci rendent le sujet visible tout en le masquant, avec beauté et finesse.
Notons que cette belle exposition sera complétée à partir du 24 octobre par une expo de l’œuvre imprimée de Raoul De Keyser au CC Strombeek, près de Bruxelles.
Raoul De Keyser, au Smak à Gand, jusqu’au 27 janvier.